Pour avoir le temps d'évaluer les risques sur une espèce protégée, le Réséda de Jacquin, le tribunal de Privas demande la suspension des travaux du chantier à Saint-Pierre-de-Colombier (Ardèche). La décision a été prise en référé, le 6 novembre au soir, afin d'étudier l'impact des travaux sur cette plante à fleurs.
Le tribunal judiciaire de Privas vient de suspendre les travaux du chantier de la future "basilique" de Saint-Pierre-de-Colombier en Ardèche. La décision du juge des référés demande d'attendre la réalisation d’une étude d’impact sur une espèce protégée, le Réséda de Jacquin, avant toute poursuite du chantier.
Plainte déposée
"C'est une vraie victoire !", se réjouit Sylvain Eranguel de l'association "Les Ami.es de la Bourges", opposant au projet du complexe religieux. Lui, était mobilisé depuis plus d'un mois pour empêcher la reprise des travaux qui mettent en danger cette espèce protégée.
"Manifestement, le tribunal de Privas applique mieux le code de l’environnement que la préfète…", soulignait de son côté Pierrot Pantel, ingénieur écologue de l'Association nationale pour la biodiversité (ANB).
Les opposants au projet annoncent qu'ils vont désormais déposer plainte dans la semaine contre la préfète pour "complicité de destruction d'une espèce protégée et de son habitat". Ils reprochent, entre autres, à la Famille Missionnaire, d'avoir entamé des travaux avec des engins lourds sans autorisation environnementale de destruction de l'espèce protégée.
Une plante endémique
L'histoire du complexe religieux de Saint-Pierre-de-Colombier s'est transformée en serpent de mer. Désormais, toute l'affaire repose sur cette plante à fleurs blanches, reseda jacquinii, espèce protégée depuis 1990. La plante est endémique franco-espagnole mais, rarissime en Espagne, "les Cévennes et surtout l'Ardèche sont le cœur de l'aire de répartition mondiale de la plante", explique Simon Contant, écologue botaniste indépendant.
"Protéger une plante ne se fait pas uniquement en fonction de sa rareté.", précise l'expert. La population de la plante n'est pas dense, "on observe rarement plus de cinq à six individus sur 20m2", explique Simon Contant.
La Famille Missionnaire Notre-Dame avait demandé à un bureau d'études de réaliser une évaluation des spécimens sur le site du chantier. Celui-ci n'avait "pas retrouvé d'individus lors de passages effectués en 2021". Rien de surprenant pour Simon Contant puisque le Réséda de Jacquin est une plante annuelle, son cycle de vie se déroule en quelques mois. Ce qui signifie que d'une année à l'autre, le nombre d'individus et leur emplacement peuvent changer.
La banque de graines du reseda jacquinii se trouve dans le sol, dans plusieurs endroits d'une même zone, c'est ce qui assure le maintien et le dynamisme de l'espèce."
Simon Contantbotaniste
"Faire un rapport sur une année, c'est risquer de ne pas avoir certaines plantes ou mal estimer leurs populations.", tempère le spécialiste.
La dispersion des graines, phénomène peu étudié, est notamment liée aux colonies de fourmis qui considèrent la graine comme un "déchet" et la transportent. Mais elle est aussi gravitaire : les graines tombent au sol. Ainsi, elles sont ainsi dispersées dans un rayon restreint, moins d'une dizaine de mètres autour d'un individu.
Aussi, "préserver la plante sur 2m2 carrés autour d'un pied n'a aucun sens. C'est comme un zoo, le spécimen sera protégé mais il finira par mourir car il est coupé de son environnement".
Un passage de l'Office français de la biodiversité, établissement public, en mars 2023 avait permis de trouver sept spécimens de Réséda de Jacquin sur le site remanié mais pas encore bétonné. La plante apprécie "les milieux naturels ouverts", c'est-à-dire les rocailles et les pelouses sèches mais aussi les milieux touchés par l'homme. "Le Réséda de Jacquin aime les friches donc il peut vivre proche de l'activité humaine dans le sens où l'homme remue la terre ou créé de légères perturbations, mais l'urbanisme à outrance, surtout la bétonisation reste la principale menace à sa conservation.", conclut le spécialiste.
L'importance de l'habitat
Car l'écosystème de la plante a une importance capitale. "On pourrait construire un magasin de meubles ou des logements, la polémique ne m'intéresse pas, je ne regarde que le droit", prévient d'emblée Dorian Guinard, docteur en droit public et maître de conférences à l'Université de Grenoble - Sciences Po Grenoble. Dans cette affaire ancienne et complexe, le juriste déplore une omission totale ou partielle du droit de l'environnement de la part de la Préfète de l'Ardèche, notamment les articles L-411-1 et suivants.
"Dans ce dossier, les services de l'Etat ne se focalisent que sur la localisation exacte du végétal et oublient, ou ne comprennent pas, l'importance de son milieu, donc de son habitat. Alors que l'article L-411-1 3° du code de l'environnement consacre la protection de l'habitat de la plante.", relate Dorian Guinard.
Lors d'une conférence de presse, les services de la préfecture avaient en effet affirmé que les mesures de protection de l'espèce végétale protégée prise par la famille missionnaire sont suffisantes. Mais seuls les pieds et leur localisation exacte ont été considérés.
Pour rappel, détruire une espèce protégée est puni de trois ans de prison et 150 000 euros d'amende. Toutefois, l'article du code de l'environnement (L-411-2) permet de déroger à l'interdiction de protection, dans des conditions extrêmement encadrées.
Il faut pouvoir démontrer l'absence de solution alternative satisfaisante à l’atteinte de la biodiversité protégée, l’adoption de mesures d’atténuation et de compensation, et enfin, que cela soit justifié par une raison impérative publique majeure.
Dorian GuinardMaître de conférences en droit public à l'Université Grenoble Alpes (Sciences Po Grenoble)
Autre texte cité, l'avis du Conseil d'Etat du 9 décembre 2022. Selon l'instance, le responsable du projet (ici, la Famille Missionnaire), doit obtenir une dérogation "espèces protégées" lorsque "le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé". Cependant, la présence seule de ce spécimen ne suffit pas à déclencher l'obligation de dépôt d'une demande de dérogation.
En d'autres termes, ce n'est pas parce qu'il y a la présence du Réséda de Jacquin qu'il faut demander une dérogation.
"Cet avis porte uniquement sur le spécimen, mais encore une fois, tout le monde oublie l'habitat du végétal", s'indigne Dorian Guinard, citant notamment la directive européenne de 1992 ainsi que la jurisprudence de la Cour de Justice du 4 mars 2021 qui s'appliquent toutes deux aux juridictions françaises administratives.
Ainsi, il faut considérer la présence de spécimen, ce qui a été vérifié sur le site du chantier par le Conservatoire national botanique, mais également la protection de son milieu.
Quand je regarde les vidéos des pelleteuses, il y a un énorme risque de destruction des spécimens et des habitats. Les plantes évoluent dans un milieu qui ne peut pas être réductible à leur seule présence !
Dorian GuinardMaître de conférences en droit public à l'Université Grenoble Alpes (Sciences Po Grenoble)
Méconnaissance du droit
"Donc le risque n'a pas été bien caractérisé, aucune dérogation espèce protégée n'a été ni demandée, ni déposée par la communauté religieuse mais la préfète non plus n'a pas enjoint la communauté à le faire.", rappelle l'universitaire. Car il revient à la préfète d'imposer à la communauté une demande de dérogation d'espèce protégée, pour ensuite vérifier sa validité.
"On ne peut même pas passer à l'examen du bien-fondé de cette dérogation puisqu'on a sauté la première étape", soupire Dorian Guinard. Lui, pointe une "carence manifeste de l'autorité préfectorale". "Pourquoi la préfète de l'Ardèche opte pour une interprétation restrictive à la fois de l'avis du Conseil d'Etat, de la jurisprudence de la Cour de Justice et du code de l'environnement ?", s'interroge l'enseignant-chercheur. Un problème qu'il relève par ailleurs sur le glacier de la Girose, à La Grave dans les Hautes-Alpes.
Finalement, le tribunal de Privas aura décidé, avant la préfecture, de suspendre les travaux afin de déterminer le risque pour la plante protégée. Une décision dénoncée par la communauté religieuse. "La Famille Missionnaire de Notre Dame prend acte de cette ordonnance qu’elle considère comme manifestement infondée", peut-on lire dans le communiqué de la communauté ce 7 novembre. Elle a annoncé faire appel de cette ordonnance dans les plus brefs délais.
La préfecture de l'Ardèche n'a pas encore répondu à notre sollicitation.