Sans eux, le fromage n'aurait pas la même saveur. Savez-vous que la texture, l'odeur et le goût du saint-nectaire et du cantal, par exemple, sont l’œuvre de microorganismes ? On vous dit tout sur ces bactéries, champignons et autres moisissures qui subliment les fromages d’Auvergne.
Quand vous dégustez un fromage d’Auvergne, vous n’en avez peut-être pas conscience, mais vous consommez aussi des microorganismes. Initialement, on compte jusqu’à 400 espèces de microorganismes identifiés dans le lait cru. Chaque type de fromage est élaboré par une communauté de microbes spécifiques, présents dans le lait ou provenant de l’environnement laitier, ou ajoutés par le producteur du fromage. Ils cohabitent ou se succèdent au cours du procédé de fabrication. Jean-François Combes, formateur au CFPPA-ENILV d’Aurillac, détaille les différents microorganismes qui interviennent dans la fabrication du fromage : « Dans les fromages, des bactéries lactiques rentrent en compte. Leur rôle est de provoquer une acidification dans le milieu. Cela va avoir une action sur l’aromatisation, sur la texture du produit final. Il y a aussi la famille des levures, qui vont travailler en salage et en début d’affinage. Elles ont un rôle de désacidification et elles préparent l’affinage. De plus, il y a le monde des moisissures, qui sont plutôt présentes pour les croûtes fleuries, comme le saint-nectaire, le cantal, des tomes. D’autre part, il y a les bactéries du rouge, présentes dans les fourmes de Montbrison par exemple. Enfin, on trouve les acariens, qui sont des araignées qui se développent sur le produit et consomment la croûte du fromage : c’est le cas des fromages aux artisous et des vieux cantal ».
"Pas de bactéries, pas de fromage ! "
Tous ces microorganismes ont des missions bien différentes. Jean-François Combes indique : « Les bactéries lactiques ont un rôle d’acidification : elles créent un milieu acide qui va décomposer la protéine du fromage et décomposer le sucre du lait, le lactose. Cela provoque l’apparition de composants acides et de composants aromatiques. Les levures ont un rôle de désacidification et aussi un rôle de couverture. Les moisissures et les bactéries du rouge agissent sur la croûte, sur l’apparence du fromage. Elles produisent aussi des enzymes qui vont dégrader le fromage : en se dégradant, cela provoque l’apparition de nouveaux éléments qui vont être volatiles pour l’arôme et l’odeur, et non volatiles pour le goût ». Mais ces microorganismes n’agissent pas de la même façon selon le type de lait : « Une multitude de levures et de moisissures travaillent mais tout dépend de la nature du lait. Si on a du lait cru, on a une variété plus grande que le lait pasteurisé. L’âge du fromage induit aussi des conséquences différentes sur le produit. Plus il est vieux, plus il y a du monde pour dégrader le produit ».
Le goût du produit qui est changé
Le fromage est une matrice complexe du point de vue de sa composition chimique et de sa texture, ce qui permet à des microbes spécialisés d’en consommer les divers ingrédients et de s’installer selon leurs besoins en oxygène à la surface ou au cœur du fromage. Jean-François Combes poursuit : « Ces microorganismes sont responsables en partie du goût du fromage. Le lait en est responsable au départ. La nature des bactéries va jouer un rôle sur le goût du produit. Cela joue sur l’aspect du fromage, sur la texture et sur les arômes. Quand on a un lait pasteurisé, on va apporter un ensemencement. Pour le fromage salers c’est différent : on utilise une gerle en bois, une bassine de caillage qui est déjà ensemencée ». L’environnement enrichit le produit. « Le lieu de fabrication, la salle de traite et la cave vont aussi à leur manière apporter des flores microbiennes, sous forme de levures et de moisissures en particulier » rappelle Jean-François Combes. Le formateur insiste : « Les fromages AOP ont travaillé sur la flore spécifique à leur fromage. Par exemple, pour la fourme d’Ambert, on a des souches de moisissures qui sont spécifiques à ces fabrications-là. Elles ont été isolées et elles sont utilisées pour cela ».
Le grand public imagine le monde bactérien comme une altération ou comme pathogène. Mais ce n’est pas du tout ça. On le voit pour le pain, pour la bière. Ce monde a un rôle constructeur. Le microbe est indispensable
Jean-François Combes, formateur
A Aurillac, on trouve le LIP, laboratoire interprofessionnel de production, qui produits des ferments d’affinage nécessaires à la production de fromage. « Le LIP est un organisme qui produit des moisissures et des levures pour des professionnels. C’est un fabricant » indique Jean-François Combes.
Des dizaines de milliers de souches précieusement conservées
A l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) d’Aurillac, on conserve précieusement ces microbes au sein d’une souchothèque. Christophe Chassard, directeur de l’Unité mixte de recherche sur le fromage à l’INRAE d’Aurillac, présente cette stucture : « A l’INRAE on a une souchothèque qui est construite depuis quasiment le début du laboratoire. C’est un lieu, un congélateur à -80 degrés, qui permet de stocker des échantillons, des souches, des microorganismes qui ont été isolés, des années 80 jusqu’à aujourd’hui. Il y a vraiment une dimension patrimoniale, afin de préserver cette diversité, cette complexité, et pour potentiellement la ressortir pour l’industrie fromagère ». Il explique comment est composée cette souchothèque : « On trouve beaucoup de microorganismes bactériens, des champignons, des levures, des champignons filamenteux. On a une collection qui est particulièrement riche en penicillium roqueforti, le champignon qui permet de faire tous les fromages à pâte persillée comme les bleus. Cette collection est liée à celle du LIP, un laboratoire de production basé près de nous et qui commercialise ces microorganismes pour l’industrie fromagère au niveau national et international. Il est difficile de chiffrer notre collection. Entre une souche qui est parfaitement caractérisée, et une souche qui l’est un peu moins, il y a différents niveaux. Mais je pense qu’on en a des milliers voire des dizaines de milliers ».
"La mémoire microbienne des fromages d’Auvergne"
Cette souchothèque a un rôle de préservation d’un patrimoine : « On parle de plus en plus d’érosion de la biodiversité. C’est aussi vrai pour la biodiversité microbienne. On sait que depuis une quinzaine d’années, les laits crus sont de plus en plus paucimicrobiens : leur charge microbienne est beaucoup plus faible. Elle baisse quantitativement. On se demande aussi si elle ne baisse pas qualitativement. On a peur que cette biodiversité se perde avec le temps ».
En agroalimentaire, l’hygiène est stratégique mais l’hygiénisation peut parfois poser un certain nombre de questions. Si on élimine le microbe partout, tout le temps, dans les unités de production, on risque d’avoir moins de diversité microbienne
Christophe Chassard, INRAE d'Aurillac
Christophe Chassard souligne le caractère unique de cette collection : « Par rapport à sa richesse, son origine, son temps de collecte, il s’agit d’une souchothèque assez rare et assez unique. On a beaucoup travaillé sur les fromages d’Auvergne, notamment AOP. C’est la mémoire microbienne des fromages d’Auvergne ».
"Le cœur du réacteur, c’est le microbe"
Il explique : « Un fromage est un aliment fermenté et un aliment microbien. Pour fermenter, il faut des microbes. Quand on mange un fromage, on consomme aussi des bactéries. Le cœur du réacteur, c’est le microbe. Bien sûr qu’il faut du lait, mais derrière, il faut le transformer, avec des microorganismes ». Christophe Chassard définit les liens entretenus avec le LIP : « Nos liens avec le LIP sont historiques. Il a commencé dans les murs de l’INRAE. Environ deux tiers du chiffres d’affaires du LIP sont liés à des souches de l’INRAE ». Le LIP produit et commercialise des souches de microorganismes nécessaires à l’ensemencement des fromages AOP saint-nectaire, cantal, bleu d’Auvergne, fourme d’Ambert et de Montbrison et notamment les fameuses souches de la moisissure bleue, appelée « penicillium roqueforti » , indispensables au bleuissement des fromages à pâtes persillées tel que le fromage AOP bleu d’Auvergne. Le LIP multiplie environ 80 souches qui ont 3 origines : INRAE, LIP et des souches de propriété industrielle sous contrat d’exclusivité.