"Il y a une liste de personnes à abattre qui circule" : à Valence, la psychose des habitants après des mois de violence

Un homme a été tué par balles dans la nuit du 9 au 10 mai, un autre gravement blessé à Valence. Les auteurs des coups de feu sont toujours en fuite. Dans les quartiers de Fontbarlettes et du Plan, la peur s'empare des habitants malgré l'arrivée de 36 CRS en renfort.

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Après la mort d'un homme de 29 ans tué par balles en pleine rue, la préfecture de la Drôme a annoncé le déploiement d'une quarantaine de policiers de la CRS8. 

"Une dizaine de fourgons est venue, ils ont circulé dans le quartier, ils n'ont pas hésité à contrôler s'il y avait des armes" raconte un habitant de Valence, ce jeudi 11 mai 2023. 
Des policiers d'élite formés pour constituer une sorte de "super compagnie" de CRS capable d'intervenir en urgence dans des situations de tension extrême. 

"Les gens parlent avec des armes" 

Depuis deux ans, les habitants alertent les pouvoirs publics sur leurs conditions de vie et l'escalade de la violence qu'ils subissent dans leurs quartiers du Plan et de Fontbarlettes. 

"Moi, je suis là depuis que je suis né, dans les années 80, et on n'a jamais connu ça", raconte un habitant qui tient à rester anonyme. "C'est devenu grave, les gens parlent avec les armes, et ça fait peur à tout le monde. Je ne suis pas mêlé à ces histoires. Mais je me dis qu'une balle perdue ça peut toucher n'importe qui."

L'arrivée en urgence de la CRS8 ne le rassure pas vraiment. 

Par habitude, je sais qu'ils viennent, ils font la sécurité pendant une semaine, et après, ils partent et on ne les revoit plus. Il faut vraiment déployer les forces de l'ordre et arrêter tout ça. 

Un habitant du quartier du Plan à Valence

Un voisin confirme cette analyse, "dès que les CRS tournent la tête, ils sortent de tous les côtés, (les auteurs des violences, ndlr.) Même la police ici a peur, je me dis qu'il faudrait l'armée. Avant, c'était mieux... Il n'y avait pas ces conneries. On peut recevoir une balle à tout moment. Il y en a trop qui sont armés, ils provoquent et ils tuent les gens".

Les témoignages se suivent et se ressemblent. Mais toujours anonymes, car la peur, voire la psychose, ont gagné les esprits. Il règne dans ces deux quartiers de Valence, une ville moyenne du sud-est de la France, un climat de guerre avec des réflexes de survie. 

Il y a, par exemple, ce père de famille, qui ne laisse plus son fils aller au foot tout seul le mercredi, "car c'est trop dangereux". Ces élèves qui développent des symptômes de stress posttraumatiques. Des habitants qui se cachent sous leur table quand ils entendent une détonation ou sursautent dans la rue quand les enfants jouent à cache-cache. 

Et depuis plusieurs semaines, il y a ces messages qu'on s'échange, évoquant une peur panique d'être visés. 

"Il y a une liste qui circule de personnes à abattre et on ne sait pas qui est sur cette liste. Mais elle semble très longue et peut concerner n'importe qui ayant grandi à Valence. Plusieurs personnes ont été visées et ont reçu des appels téléphoniques de menace. Ils parlent peu car ils ont peur."   

Pour certains, il pourrait s'agir d'une affaire de vengeance à grande échelle. Compte tenu du fait que des enquêtes sont en cours, le procureur de Valence s'en tient à des données très factuelles.

Dans la soirée du mardi 09 mai, les services de la police nationale ont été appelés pour intervenir dans le quartier de Fontbarlettes à la suite de coups de feu. Une fois sur place, ils ont découvert une victime au sol, blessée par balle et inconsciente. Les policiers ont prodigué les premiers soins, et elle a été rapidement transportée à l’hôpital, où elle est décédée. Dans le cadre de cette intervention, un autre blessé a été également découvert, avec notamment une blessure grave non vitale. Il dit avoir été enlevé et violenté plus tôt dans la soirée Une enquête a été ouverte, des faits de meurtre en bande organisée, ainsi que d’enlèvement et séquestration et de tentative de meurtre en bande organisée. Ces investigations ont été confiées à la police judiciaire.  

Communiqué du Parquet de Valence

Enfermé dans un coffre de voiture 

Des faits d'enlèvements et séquestration, et meurtre en bande organisée, voici les mots qui font peur et imposent le silence à tous sauf quelques-uns qui acceptent de partager leur vécu en toute discrétion. Selon plusieurs témoignages, un jeune homme aurait été enlevé et enfermé dans un coffre de voiture. "Et ce n'est pas la première fois que ça arrive".

En effet, il y a deux ans, lorsque nous avons commencé notre série documentaire sur ces quartiers de Valence, des récits de jeunes torturés et enfermés dans des coffres de voiture pour des expéditions punitives avaient déjà ressurgi. C'est désormais l'omniprésence des armes et l'escalade de la violence qui affectent la santé mentale des habitants.

Il y a quelques semaines, l'Éducation nationale avait dépêché des psychologues pour venir à l'écoute des parents dans une école du quartier. Ils ont constaté plusieurs situations critiques, et un très fort besoin d'être entendus pour ces familles. 

"Nous avons le sentiment d'être déshumanisés" ose affirmer une mère de famille. "Je ne peux pas décrire ce qu'il se passe dans mon quartier, car ce qu'il s'y passe est impensable." 

Un sentiment d'abandon

Des habitants qui attendent beaucoup des pouvoirs publics. La préfecture assure "qu'un travail de fond est mené sur le long terme pour lutter contre les trafics", le maire de Valence, quant à lui, dénonce "une faillite de l'État". 

Avec le sentiment que chacun se renvoie la responsabilité, les acteurs de terrain deviennent de plus en plus silencieux, et renoncent même à appeler la police, de peur des représailles, mais aussi parce qu'ils ne croient plus, pour beaucoup, à l'action de l'État. 

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