Que reste-t-il des témoignages d'abus sexuels et du rapport de la commission présidée par Jean-Marc Sauvé un an après leur publication ? Dans la Drôme, on prend conscience que les choses avancent mais que le chemin est encore long...
"Ça continue toute la vie en fait, c’est comme Tchernobyl, on met ça sous un sarcophage mais cela continue"... "Longtemps, longtemps j’ai pensé l’avoir tué, anéanti, détruit. Je ne savais même plus qu’il avait existé. Je ne savais même plus rien du mal qu’il m’avait infligé. Mais il a continué son travail de sape, de minage, de destruction de ma vie à mon insu"... "J’aimerais savoir comment vieillit un homme qui a sali ma vie"... "Il était toujours gentil avec moi, je me suis dit qu’il savait ce qu’il faisait. J’ai donc fait ce qu’il m’a demandé, ce maudit geste qui me dégoûte encore à bientôt 44 ans"... Quand les victimes témoignent, plusieurs décennies après les faits.
"De victimes à témoins", ce n'est pas une bible mais un petit livre de souffrance qui a circulé dans les paroisses de France. Des paroles d'hommes et de femmes abusés dans leur enfance par des religieux. Elles sont regroupées dans ce petit livre vert, une annexe du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Eglise. Un rapport accablant aux chiffres vertigineux : près de 330 000 victimes depuis les années 50. La publication de ces témoignages a fait l'effet d'une bombe.
Quid de la sacralité des prêtres ?
Dans la Drôme, un groupe de parole était né pour apaiser la communauté catholique dans le pays de Romans/Isère. Face à l'ampleur des révélations, des fidèles, diacres et prêtres, avaient ressenti le besoin de se réunir, de partager leur trouble. Une initiative qui a apporté un peu de réconfort : "les personnes ont pu s'exprimer. La parole a été libérée dans certains lieux, ça a permis que la parole se libère et ça a provoqué un mouvement dans l'Eglise qui fait que les choses bougent. Doucement mais les choses bougent", explique Francis Caudron, un paroissien.
Il y a un an, après les révélations explosives de la Ciase, la question de la sacralité des prêtres était posée. Elle est encore d'actualité. "Tous les abus sexuels sont la résultante d'une emprise, d'un pouvoir, d'une autorité. Notre église a besoin d'une plus grande mixité dans les lieux de décision. La femme apporte une vision totalement différente même sur les notions de pouvoir et d'autorité. Tant qu'on n'aura pas compris ça, on sera dans un cheminement un peu bancal", selon Jean Michel, Diacre de la paroisse Saint-Jacques.
Et le tribunal ecclésiastique ?
Le père Vignon, prêtre du diocèse de Valence, conserve un exemplaire du rapport de la Ciase. Sur la page de garde figure une dédicace de Jean-Marc Sauvé. Le père Vignon avait dénoncé l'omerta de son institution en 2018 et la gestion des affaires de pédophilie par l'Eglise. Le curé avait même demandé la démission du Cardinal Barbarin lorsque l'affaire Preynat avait éclaté au grand jour.
Au moment des révélations de la Ciase, en octobre 2021, il n'avait pas caché son émotion. "C'est quelque-chose de tellement sidérant qu'on a envie de se taire. Oui je me sens en deuil. J'ai appris les chiffres vendredi et depuis, je ne suis pas très bien. Mon cœur pleure en moi, en pensant à tous ces drames", avait déclaré à l'époque le curé de la Chapelle-en-Vercors. "On ne va pas pouvoir en rester là. Maintenant c'est l'abattement. Il faut boire la honte jusqu'au bout, en touchant le fond, pour pouvoir reprendre un départ !" avait-il ajouté.
En novembre 2021, le prêtre drômois avait regardé les évêques de France faire acte de pénitence. Après le rapport Sauvé, les premières mesures allaient dans le bon sens pour lui. Qu'en est-il aujourd'hui ?
"Le point qui m'a paru difficile, c'est l'installation du tribunal national ecclésiastique pour décharger les évêques d'être les personnages qui ont toutes les cartes en main. La mise en place a été annoncée pour avril de cette année et ce n'est toujours pas fait", explique Pierre Vignon. Ce tribunal devait être le premier à concerner tous les diocèses d’un même pays et le premier dévolu aux procédures pénales dans l’Église.
"Ça prend du temps..."
Pour l'évêque de Valence Pierre-Yves Michel, le rapport Sauvé a eu un véritable effet d'accélérateur sur les actions de prévention. "Veiller à ce que les acteurs qui accompagnent les jeunes dans la catéchèses, dans les aumôneries, dans le monde scolaire... soient des gens fiables. Ça se met bien en place," constate l'évêque Pierre-Yves Michel. Il n'en va pas de même pour tout. "Du côté des réflexions de fond, il y a un certain nombre des questions qui ont été posées par le rapport Sauvé. Ce sont des attitudes. Et bien, ça prend du temps !" explique l'évêque de Valence.
Une question de temps pour une institution bousculée par le scandale des abus sur mineurs. Certaines victimes perdent aujourd'hui patience. Jean Michel, Diacre de la paroisse Saint-Jacques, en Pays de Romans, a pourtant bon espoir.
"J'aurais aimé avoir des changements un peu plus radicaux. On est dans l'urgence, on a envie que ça bouge. Mais il faut accepter aussi que notre Eglise est le fruit d'une évolution millénaire. Elle bouge petit à petit mais je pense que le mouvement est lancé et on ne reviendra pas en arrière".