Malgré les annonces de Gabriel Attal, les agriculteurs restent mobilisés. Sur l'un des points de blocage de la Drôme, les agriculteurs ont passé la nuit à la belle étoile. Entre convivialité et détermination, la mobilisation ne faiblit pas. L'action sur l'autoroute A7 est "mémorable", les plus jeunes ont le sentiment de vivre un moment "historique".
"On a vraiment besoin d'être là. C'est notre avenir qui est en jeu", explique Pauline Bourdi. Mardi soir, l'agricultrice drômoise, bientôt 27 ans, se préparait à passer sa première nuit blanche sur le point de blocage à Loriol-sur-Drôme, en compagnie d'autres agriculteurs en colère. Ils sont une vingtaine à tenir le blocage.
Organisation bien rodée
Alors que la nuit tombe, les agriculteurs se regroupent autour des braseros pour affronter le froid. On installe et on branche les éclairages sur les tracteurs. Ces paysans en colère et bien organisés ne veulent rien lâcher. Une nouvelle nuit dehors, loin de leurs familles et de leurs exploitations, a débuté pour plusieurs dizaines d'entre eux.
Dans la Drôme, ils ont pris position sur l'autoroute A7 depuis plusieurs jours déjà. Après Montélimar, plus au sud, certains agriculteurs ont remonté lentement, mais sûrement, la vallée du Rhône. Avec le rythme d'un train de sénateur, leurs tracteurs sont arrivés jusqu'à Loriol-sur-Drôme pour rejoindre ces exploitants mobilisés depuis le 24 janvier. "On est sur le pont depuis mercredi matin tôt. On est nombreux, on est soudés. On est déterminés", assurait un peu plus tôt dans la soirée, Régis Aubenas, responsable de la section fruits de la FDSEA de la Drôme. "Nous nous sommes organisés, des entreprises du secteur nous aident. Le réseau fonctionne, les équipes se relaient, le boulot continue sur les exploitations. On s'est organisé : jusqu'à dimanche notre planning est fait. On a l'appui de tout l'écosystème agricole et de la population aussi".
Le barrage de Loriol-sur-Drôme, point stratégique, est géré par les syndicats agricoles. Les agriculteurs organisent des quarts, des rotations de six heures pour tenir et surveiller le barrage, empêcher qu'il soit forcé. La planification est bien rodée pour que personne ne s'essouffle, mais épuisante physiquement malgré tout. Heureusement, du renfort est arrivé du sud et notamment de l'Ardèche depuis le week-end. "La semaine dernière a été assez éprouvante. On a beaucoup donné parce qu'on était un petit nombre, il fallait revenir souvent pour les rotations. Dimanche, c'était tendu", explique Benjamin Aubert, secrétaire général des Jeunes Agriculteurs de la Drôme depuis trois ans. Il a dormi plusieurs nuits sur place : "le plus compliqué, c'était le froid". Mais l'agriculteur de Montoison n'envisageait pas d'aller "poser ses bottes" sur un autre barrage.
Ambiance nocturne
Pour le jeune homme de 28 ans, le moment restera cependant gravé dans sa mémoire. "La semaine dernière, si on m'avait dit : tu seras sur l'autoroute, assis sur un transat à boire une bière et jouer à la pétanque, je ne l'aurais jamais cru ! Ce qu'on vit là, on s'en souviendra toute notre vie, ça restera gravé", assure Benjamin Aubert avec un grand sourire.
Alors qu'il fait nuit noire, l'heure est au café chaud. Indispensable pour tenir toute la nuit. On débouche du vin. On discute, on fait le point sur la suite du mouvement. Les esprits ne s'échauffent pas. Au contraire, on écoute avec calme la voix qui sort du mégaphone et qui appelle à tenir bon. Dans le tableau, les gendarmes feraient presque office de figurants.
Que faire sinon casser la croûte à cette heure tardive ? À la guerre, comme à la guerre. On se regroupe pour manger ensemble dans ce bivouac improvisé sous les panneaux de l'autoroute A7. Des palettes font office de dessertes. Et les agriculteurs ne manquent pas de ravitaillement, stocké à l'abri derrière des bottes de paille. Si des plateaux de verrines et petits fours circulent dans les rangs, Fred, un restaurateur de Loriol-sur-Drôme, est venu leur apporter un plat chaud, fumant et consistant. Un gage de solidarité. Le cuisinier a prévu une Croziflette aux Diots de Savoie, qu'il distribue en personne. Quasiment un plat de barricades : copieux et réconfortant, de quoi tenir un siège.
"Ce n'est pas du 4 étoiles, mais le principal est de passer un moment avec eux et les appuyer. C'est convivial. Je ne peux pas être là pendant la journée", s'excuse le cuisinier. "Dans la restauration, sans paysans, on n'aurait pas grand-chose. Sans eux, je ne suis rien non plus", assure le restaurateur. Il n'est pas le seul professionnel à venir alimenter les agriculteurs. Une initiative appréciée. "Il y a ceux qui fournissent, ceux qui transforment... c'est toute une logistique. On est presque à un repas midi et soir sur chaque jour. Ça fait plaisir, c'est du chaud !", se réjouit Benjamin Aubert.
Dépit et déception
Plus tôt dans la soirée, après avoir écouté le discours de politique générale de Gabriel Attal devant l'Assemblée nationale, les réactions étaient unanimes. Même sentiment chez les paysans partagés entre dépit et détermination : on piétine.
"On nous mène en bateau depuis 25 ans. Depuis 15 ans, on n'a que de la communication politique. Il faut que ça cesse", tempêtait en fin d'après-midi Régis Aubenas, responsable de la section fruits de la FDSEA de la Drôme. Selon lui, le Premier ministre n'a pas donné "d'engagements concrets". "La confiance est rompue. Nous, agriculteurs, nous sommes des gens pragmatiques. On croit ce que l'on voit. Il faut des engagements et surtout des actes. Des décrets peuvent être pris rapidement. Pas besoin d'aller à Bruxelles pour le faire. La confiance, ça ne se décrète pas, ça se prouve. Tant qu'on n'a pas d'engagements forts et des décrets, on va rester ici", a assuré Régis Aubenas.
Après Montélimar, Dany Barnier, agricultrice spécialisée dans les semences, a aussi suivi le mouvement. Elle est venue participer au blocage de l'A7 à Loriol-sur-Drôme. Le discours de politique générale de Gabriel Attal devant les députés, elle l'a suivi, mais n'en a pas retenu grand-chose. "Il n'a pas pris la parole pour défendre les agriculteurs. S'il veut qu'on débloque, il faut qu'il avance. On dirait qu'ils ne veulent pas qu'on débloque. Ils ne sont pas prêts à nous écouter", déplore l'agricultrice qui ne cache pas sa déception.
Pour le représentant des Jeunes Agriculteurs de la Drôme aussi, il faut des engagements. Si avant le déclenchement des blocages, certains ambitionnaient de tenir bon jusqu'au salon de l'agriculture, Benjamin Aubert garde les pieds sur terre : "c'était osé. Il le faudrait, mais on n'est pas en capacité humaine et physique de le faire". Ce dernier attend aujourd'hui le retour d'Emmanuel Macron ce mercredi.