Les vendanges ont encore commencé très tôt cette année. Les viticulteurs des Côtes-du-Rhône apprennent saison après saison à composer avec le réchauffement climatique. La collaboration avec les techniciens s'impose pour fixer au plus juste la date optimale de la récolte et garantir sa qualité
Les vendanges s'achèvent dans la vallée du Rhône. Et pour cause, elles ont commencé très tôt cette année, entre le 25 et le 30 août, pour les parcelles les plus précoces. Et ce jour là, il fait encore très chaud sur les hauteurs qui offrent un superbe panorama sur les coteaux autour de Valence. On élève ici des rouges et des blancs d'appellation d'origine contrôlée, des AOC de belle facture, du Cornas, du St Joseph au nord et du St Peray au sud.
30° mi-septembre
Ce 18 septembre, le thermomètre dépasse encore ici les 30 degrés. Les viticulteurs des Côtes-du-Rhône ont appris à s'accommoder de ces températures élevées, qui d'année en année ne font plus figure d' exception. A Tain l'Hermitage (Drôme), les techniciens d'Inter-Rhône, qui conseillent les viticulteurs, observent "une accélération spectaculaire" du réchauffement climatique depuis les années 80. Une élévation de la température de 2 à 3° en moyenne qui a contraint la filière à composer avec cette nouvelle contrainte qui précipite la maturité des raisins.
Francoise Dijon, oenologue et responsable de l'observatoire de la qualité à Inter-Rhône, souligne que les viticulteurs d'aujourd'hui disposent d'un accompagnement technique qui leur permet de déterminer très précisément la période optimale des vendanges. La teneur en sucre du raisin a longtemps servi d'étalon à des générations de vignerons pour arrêter la date de la cueillette. Maintenant, cette référence ne suffit plus pour optimiser la qualité du vin dans un contexte de fortes chaleurs. Car l'on ne parle plus seulement ici des périodes de canicule estivale mais plutôt d'une élévation des moyennes saisonnières au fil des ans.
"Le choix de la date des vendanges est un élément clé dan la réussite d'un millésime" explique Françoise Dijon : "Ce qui est important pour nous est de trouver un bon équilibre des raisins, entre le sucre qui va donner le degré alcoolique à la fin de la fermentation, l'acidité, une belle couleur et des arômes adaptés". Des données plus complexes à appréhender que la seule teneur en sucre et qui demandent cette expertise technique qu'offre l'interprofession.
Des recherches autour des cépages oubliés
Julien Ducruet, directeur du service technique d'Inter-Rhône, explique que ce travail d'expert se double d'une recherche sur de nouveaux cépages. Car si jusqu'à présent "ce réchauffement climatique s'est montré plutôt bienveillant pour le vigneron avec des taux d'alcool qui vont monter gentiment", les vingt prochaines années pourraient bien lui demander un effort d'adaptation accru avec l'aggravation du phénomène.
"On a lancé des programmes de recherche ambitieux pour sélectionner des enfants des cépages actuels, un peu moins précoces et plus résistants à la chaleur, à la sécheresse et aux maladies. Des cépages qui s'adapteraient un peu mieux au réchauffement climatique". Une chance, les vins des Côtes-du-Rhône disposent aussi de variétés ancestrales qui répondent à ces nouvelles exigences, tout en restant conformes au cahier des charges de l'Appellation d 'origine contrôlée.
Entre le croisement naturel des variétés emblématiques des Côtes du Rhône et la redécouverte de ces variétés oubliées, le vignoble pourrait donc trouver là des solutions aux effets du réchauffement climatique. On verrait donc arriver d'ici quatre ans les premiers raisins de ces plantations expérimentales. L'objectif de l'interprofession est de garantir des vins de grande qualité qui résisteront à la concurrence des vins du nouveau monde, toujours plus présents, toujours plus compétitifs .
Le vigneron en juge de paix
En définitive, quel regard le vigneron porte-t-il lui-même sur ce réchauffement climatique ? Il est le premier confronté au problème et doit malgré tout veiller saison après saison, année après année, à l'équilibre gustatif de ses crus.
Joël Durand produit des AOC Cornas, St Peray et St Joseph sur 20 hectares. Dans ce domaine où l'on élève la vigne depuis trois générations, on commercialise 90 000 bouteilles par an. Y-a -t-il de quoi s'inquiéter ? Nécessairement. Il constate chaque année la précocité des vendanges et doit affiner davantage les grands équilibres de sa production, entre teneur en sucre, tannins et acidité. Un subtil mariage qui demande encore plus d'attention. C'est cette note qui fera sa signature sur les grandes tables.
La collaboration avec les oenologues et les techniciens de laboratoire est devenue strictement nécessaire pour garantir un vin de qualité. "Mais en définitive, c'est le vigneron qui décide, des risques qu'il prend ou ne prend pas". Car il en va, à chaque vendange, de la survie de son exploitation.
Joël Durand se dit heureux et soulagé. La vendange est terminée, désormais en sécurité, à l'abri de la chaleur et des aléas climatiques."Mais tout reste à faire en cave", pondère-t-il, avec la conscience que se joue là aussi l'avenir de sa récolte."2015, 2016, 2017 étaient de grands millésimes. 2018 le sera à son tour avec de très belles maturités et des volumes corrects" De quoi réjouir ce vigneron qui distille cette maxime avec une sagesse toute paysanne : "Le scientifique a toujours raison. Le vigneron n'a jamais tort".