Faire le plein gratuitement : avec la hausse des prix du carburant, beaucoup en rêvent mais pour Pascal, c’est presque une réalité. Cet habitant de Haute-Loire a pris depuis de nombreuses années le parti de rouler à l’huile de friture recyclée, qu’il mélange avec du gasoil.
C’est un parti pris qui se veut écologique mais aussi économique : certains particuliers mélangent de l’huile de friture recyclée au gasoil, dans un moteur diesel. En Haute-Loire, depuis de nombreuses années, Pascal filtre lui-même l’huile de friture qu’il récupère à droite à gauche, pour s’en servir de carburant. “Cela pollue moins que du diesel. Il y a également une chose qui est très importante pour moi, maintenant que je touche une petite retraite : ça me fait faire des économies substantielles.” Pascal utilise de l’huile de friture depuis une quinzaine d'années : “J'avais envie de tester ça. J'avais entendu parler de ce carburant possible, l'huile de friture, pour mettre dans les véhicules diesel.” Il a donc vendu sa petite 104 à essence avant de racheter une 405 diesel : “On m'avait bien signifié qu'il fallait une pompe Bosch, une pompe à injection. J'ai trouvé une 405 d'occasion à vendre. Je suis allé la voir, j'ai ouvert le capot, j'ai vu que c'était la bonne pompe et à partir de ce moment-là j'ai commencé à tester.” Quelques années plus tard, il rachète une Mercedes : "Je me suis rendu compte que, le moteur étant plus gros, un 6 cylindres, ça fonctionnait encore mieux que sur la 405 !”, se félicite Pascal. Pour trouver de l’huile, il utilise ses connaissances : “J'ai commencé par aller démarcher dans les restaurants. À l'époque, on avait encore le droit de demander l’huile à des établissements scolaires...”
Filtrer l'huile
Il parvient donc à récupérer de l'huile, qu’il transforme lui-même en biocarburant : “Je la laisse décanter dans de gros fûts de 100 ou 200 litres, pour que toutes les crasses tombent au fond. Ensuite, j'ai toujours le même mode de filtration. C'est une petite pompe branchée sur une perceuse qui aspire l’huile à filtrer. Elle passe dans un filtre assez fin, 5 microns, c'est bien, 3, c'est encore mieux. Je laisse donc d’abord l’huile décanter pendant au moins 15 jours et je la passe dans ce filtre. Ensuite je la mets dans le réservoir de la voiture, dans des quantités que je calcule”. L'huile étant plus visqueuse que le gasoil, Pascal en met davantage en été qu'en hiver. “Quand j'ai commencé, dans ma 405, et que je prévoyais de faire un voyage, par exemple, je mettais de l'huile dans le réservoir la veille. C'est une erreur parce que l'huile est plus lourde que le gasoil, donc elle descend au fond du réservoir. L'aspiration du carburant étant au fond du réservoir, pour démarrer, c'était beaucoup plus difficile. Donc il faut le mettre le jour même. Ça, c'était sur la 405. Sur Mercedes, c'est beaucoup plus facile. Que l’huile soit au fond ou pas, ça marche, mais c'est vrai que j'ai gardé cette habitude.”
Évidemment, ça me prend du temps, mais du temps, c'est gratuit.
Pascal, roule à l'huile recyclée
Il adapte son mélange à la saison et aux températures : “L'été, c'était plutôt 2/3 d'huile, 1/3 de gasoil et l’hiver, 1/3 d'huile, 2/3 de gasoil. Cet été, je n’ai roulé qu’à l’huile. Cet hiver, je vais remélanger avec du gasoil pour être vraiment tranquille et ne pas avoir de souci au démarrage.” Pascal envisage également de passer à une autre méthode : “J’ai un ami qui roule à l’huile aussi et qui utilise la bicarburation. Il a fait rajouter sur sa voiture un deuxième réservoir, juste 5 litres. Quand il va arrêter sa voiture, il rebascule sur gasoil et comme ça il n’a aucun souci au démarrage suivant. Sa voiture redémarre sur gasoil, il fait 5 km le temps que le moteur soit chaud et là il rebascule sur le réservoir principal d'huile de friture.” Le réservoir de sa voiture contient environ 65 litres. Aujourd’hui, le plein lui couterait donc environ 120 euros. “Quand je mets de l’huile, ça me coûte 0 euro, à part l'énergie pour la transvaser, la laisser décanter et la filtrer. Évidemment, ça me prend du temps, mais du temps, c'est gratuit.” En effet, l’huile recyclée ne lui coûte rien : “On me la donne. Ça permet aux gens qui veulent de s'en débarrasser. C'est des restaurants, en majorité. J'ai un petit réseau autour de chez moi !”
Changer les filtres
Contrairement à d’autres biocarburants, l’huile ne fait pas ou peu perdre d’autonomie au véhicule, selon Pascal : “Il n’y a quasiment pas de différence, c'est la même consommation. Après c'est moins puissant, le moteur perd un peu en puissance. Il y a moins de reprise. Il faut également penser à changer plus souvent le filtre à carburant. Sur Mercedes, il y a le filtre principal à gasoil, et puis il y a un préfiltre. Mais l'un dans l'autre, évidemment, ça me coûte beaucoup, beaucoup moins cher. Cela dépend aussi de la qualité de filtration. Depuis que je filtre mieux, cela s'encrasse beaucoup moins. J'ai un ami qui m'a dit que si tu filtres à 3 microns, tu ne changes pas plus de filtre que si tu roulais au gasoil.”
Etre le plus autonome possible
Pascal s’attache à être le plus indépendant possible, notamment au niveau de sa consommation d’énergie : électricité, carburant et même eau : “Ça a commencé quand je suis arrivé en Auvergne il y a 40 ans. J'ai racheté une vieille ruine dans un petit hameau. Ensuite, j'ai racheté un terrain entre Brioude et Langeac. En autoconstruction, je me suis fait une nouvelle maison assez atypique puisqu’elle a la forme d'un 8 et elle est complètement sur pilotis parce que le terrain est très pentu. Cette maison est autonome, elle n'est ni reliée au réseau électrique ni au réseau d'eau.”
Que dit la loi ?
Attention : aujourd'hui, cette pratique est encore illégale. Rouler avec du carburant non homologué constitue une infraction douanière. Cependant, le 19 octobre dernier, une étape a été franchie vers la légalisation grâce à un amendement du député EELV Julien Bayou : “C'est un amendement que j'ai déposé au projet de loi de finances et le projet de loi de finances est toujours en discussion. Il y a un système de navette, d'aller-retour avec le Sénat. Normalement demain (le 8 décembre, NDLR), le projet de loi de finances sera adopté, peut-être par un nouveau 49.3. Ensuite, le Conseil Constitutionnel vérifie le texte, puis c'est un décret qui permettra d’en fixer les modalités. C'est le gouvernement qui décide, donc ça peut durer malheureusement. Seulement quand le décret sera publié, alors, on pourra rouler à l'huile de friture.” Si le Sénat à tenté de limiter cette mesure aux flottes d'entreprise, l'Assemblée ne l'a pas suivi, selon le député : "On a contré ça. Je ne sais pas pourquoi le Sénat s'évertue à tuer cet article mais on a réussi à éviter ça.”
"Recycler ce qui est un déchet et en faire une ressource"
Pour Julien Bayou, permettre aux particuliers de fabriquer leur carburant à partir d'huile recyclée présente de nombreux avantages aussi bien économiques qu'écologiques : “C'est gagnant-gagnant, déjà pour la personne qui roule parce que c'est moins cher et je trouve aussi qu'on a du mal à recycler toutes ces huiles. En théorie, elles doivent être recyclées mais on sait qu'en fait ça finit très souvent dans les canalisations. Recycler ce qui est un déchet et en faire une ressource, c'est une bonne idée. Ça fait un peu d'autonomie. Ça évite une pollution et ça permet d’être indépendant de tous les hydrocarbures. Il ne s'agit pas de remplacer à 100% le diesel consommé dans le pays, mais ça peut y contribuer. Lorsque c'est correctement filtré et décanté, ça émet moins de particules fines, moins de CO² que le carburant.” C'est également pour lui une manière de donner une seconde vie à des véhicules en passe de devenir obsolètes : "On va avoir des vieux diesel qui n’auront plus le droit de rouler parce qu'ils sont trop polluants. Quelque part, on offre une seconde vie à ces diesels, s’ils peuvent rouler avec un carburant moins polluant et moins cher.”
Comment recycler son huile
La transformation de l’huile de friture en biocarburant est une filière en expansion, pour des entreprises spécialisées. Dans le Puy-de-Dôme, le SBA (Syndicat du Bois de l’Aumône) gère la collecte des déchets et notamment des huiles de friture usagées. Romain Pocris s'occupe de la partie réglementaire en déchetterie, des filières de reprise de déchets et des relations avec les éco-organismes et les repreneurs. Il explique : “On prend les huiles alimentaires usagées des particuliers en déchetterie. Les professionnels ont leur filière.” Ici, le recyclage des huiles usagées existe depuis peu : “On a mis en place il y a quelques années la filière huile alimentaire. Il n’y avait pas vraiment de filière de gestion auparavant. On interdit de jeter l’huile dans le réseau et il ne faut pas non plus la remettre dans la bouteille et la bouteille dans le bac jaune, c'est pour ça qu'on a mis en place cette filière en déchet.” L'année dernière, le SBA a récupéré 9,5 tonnes d’huile alimentaire et cette année, fin octobre, il a récolté 7 tonnes. “Ça marche assez bien, ça pourrait sans doute être plus efficace mais ça marche assez bien”, se félicite Romain Pocris.
Des centres de traitement spécialisés
Pour déposer les huiles de fritures usagées, le procédé est simple, selon Romain Pocris : “C'est stocké dans les armoires à déchets dangereux parce que le prestataire s’occupe aussi de la collecte de déchets dangereux. Il y a un petit dispositif où les gens déposent le produit, ils indiquent au gardien la nature du produit, ils le posent sur une table positionnée devant le local. Le gardien est formé au tri de ces déchets qui sont très particuliers et il va ensuite les mettre dans les bons contenants à l'intérieur.” L’huile part ensuite pour un long voyage : “C'est repris par notre prestataire qui vient collecter dans des fûts de 200 litres, qu'il emmène sur sa plateforme. Là-bas, ils contrôlent la conformité. Ils font une petite séparation de phase si jamais il y a eu quelques erreurs. Après, les huiles sont reconditionnées, massifiées et elles partent en Espagne, à Barcelone, dans un centre de traitement qui est spécialisé là-dedans. Ils les transfèrent à des usines de production de biocarburant. L’huile rentre dans la composition des biodiesel pour les voitures”, explique Romain Pocris.
Faire du biocarburant
C’est ainsi que l’huile alimentaire collectée atterrit dans les réservoirs : “Maintenant, sur les stations-service, il y a la nouvelle appellation : B 7 souvent ou B 10. C'est le pourcentage d'incorporation de biocarburants dont une partie est faite à partir de d'huile alimentaire usagée”, indique Romain Pocris. Il alerte : jeter l’huile dans le réseau d’eau est interdit : “Il ne faut pas la jeter dans les réseaux, cela peut poser des problèmes, notamment quand il fait froid. L’huile peut se resolidifier. Après, ça arrive dans les stations d'épuration où ils ont des systèmes pour filtrer, mais bon, ce n’est pas idéal. D'autant plus qu'il y a une filière qui permet de la valoriser en biocarburant, donc autant l’emmener à la déchetterie.” Pour rappel, les agriculteurs et les pêcheurs sont autorisés à utiliser de l’huile végétale pure dans les moteurs des tracteurs et autres engins agricoles ainsi qu’à bord des navires de pêche.