"Il ne faut pas qu’on soit les derniers" : en pays de Savoie, la vague de départ à la retraite chez les agriculteurs inquiète

En France, la moitié des exploitations sont dirigées par un agriculteur de 55 ans ou plus. L’enjeu du renouvellement des générations est crucial dans le monde agricole. Mais les jeunes repreneurs se font rares, notamment en pays de Savoie où le coût de la vie et du foncier refroidissent les ambitions.

Patrick Pavy a dédié toute sa vie à son exploitation et à ses animaux. Depuis près de 50 ans, les journées de cet éleveur sont rythmées par la traite des vaches, la fabrication de tomes des Bauges et la vente aux clients.

Mais ce quotidien si bien rôdé va bientôt changer car, à 65 ans, il a décidé de partir à la retraite. "La coupure sera sans doute un peu difficile mais on sait qu’on arrive à un âge où il faut passer la main, admet-il en balayant le sol de son étable. Il faut lâcher un peu et former un jeune qui serait aussi passionné."

Le problème, c’est que ce jeune passionné se fait attendre. Depuis un an, Patrick essaye de revendre ses parts et de trouver l’associé qui le remplacera aux côtés de son épouse et de son fils. Mais pour l’instant, aucune offre sérieuse n’a retenu son attention. 

"C'est du souci"

 "Ça inquiète, c’est du souci, reconnaît le sexagénaire. On est les seuls à faire de la tome des Bauges bio. Donc on espère qu’on trouvera quelqu’un qui veuille bien faire ce métier, pour qu’on ne soit pas les derniers".

Le cas de Patrick est loin d’être isolé. Partout en France, les agriculteurs vieillissent et les offres de reprise sont rares.

En Savoie et en Haute-Savoie, 52 % des exploitants ont plus de 50 ans. La vague de départ à la retraite approche et sans repreneur, c’est l’autonomie alimentaire de la région, voire du pays qui est en péril.

A la chambre d’agriculture des deux Savoie, la situation est prise très au sérieux. Six fois par an, le groupe chargé des installations et des transmissions se réunit pour faire le point sur les dossiers, mais aussi pour évaluer les difficultés rencontrées par d’éventuels repreneurs. 

"Parmi les principaux freins à la reprise, il y a le foncier, estime Alexandre Moulin, vice-président de la Chambre. Dans les deux Savoie, il y a une perte de foncier chaque année et les terres coûtent plus cher que dans d’autres secteurs car nous sommes dans une région attractive. Il y a aussi le problème de la reprise des capitaux. Ces dernières décennies, on a demandé aux agriculteurs d’investir dans leurs exploitations, de s’équiper en machines ou encore de se regrouper en Gaec (Groupement agricole d'exploitation en commun, NDLR). Tous ces choix ont contribué à augmenter la valeur des parts sociales. Donc au moment de transmettre, on demande au jeune qui va reprendre de mettre beaucoup d’argent sur la table avant même de commencer à bosser. C’est une réalité".

Opération séduction

En 40 ans, le nombre d’agriculteurs a été divisé par quatre en France. Alors tout l’enjeu est de donner envie aux nouvelles générations. C'est la mission que s'est fixée Guillaume Léger, le président des Jeunes agriculteurs de Haute-Savoie.

Nous le retrouvons à Bellecombe-en-Bauges, en Savoie, où il est de passage sur l’exploitation de Charlotte Rostaingt. Avec son équipe, il a accompagné la jeune femme dans son projet de reprise.

Cette trentenaire, fille de boulanger, n'est pas issue du milieu agricole. Pas de parcelles en héritage, ni d’enfance passée à la ferme. Elle a dû se former elle-même et emprunter plus de 500 000 euros avec une associée pour acquérir et moderniser un élevage de vaches laitières.

"Le but c’était de se préserver. On a fait le choix d’avoir un gros enjeu financier au départ pour avoir un train de vie correct, explique-t-elle. Notre génération, on veut vivre correctement de notre travail. Du moins, avoir du temps pour soi".

Tous les jours, je me dis que j’ai réussi mon objectif de vie

Charlotte Rostaingt

Pourtant, l’image de l’éleveur qui ne prend jamais de vacances et doit s’endetter jusqu’au cou effraie encore les plus jeunes.

Pour les rassurer, les subventions, comme la dotation Jeunes agriculteurs, sont devenues indispensables. En 2021, l’Etat a investi 167 millions d’euros pour accompagner les porteurs de projets comme Charlotte. 

"Aujourd’hui, si on enlève nos dispositifs d’accompagnement, on n’arrivera pas à renouveler la moitié des exploitations. En France, 60 % des départs en retraite sont renouvelés seulement, et ce n’est pas suffisant. L’idée, ça serait de remplacer huit exploitations sur 10 pour, à l'avenir, continuer à produire notre alimentation", explique Guillaume Léger.

"Tous les jours, je me dis que j’ai réussi mon objectif de vie", poursuit Charlotte. Un an et demi après la reprise, elle est fière d’avoir réussi dans un milieu qui lui était étranger. Preuve que malgré les contraintes, le monde agricole suscite encore des vocations.

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