Autoroute A412 : une nouvelle étape franchie dans le projet, une "catastrophe environnementale" pour ses opposants

L'État et le groupe de construction Eiffage ont signé, mi-octobre, le décret d'attribution de la concession pour l'A412, ce projet autoroutier à double sens de circulation dans le Chablais. Il doit relier Machilly et Thonon-les-Bains en Haute-Savoie.

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Le décret d'attribution de la concession pour l'A412, aussi appelée autoroute du Chablais, ou transchablaisienne, en Haute-Savoie, a été signé entre l'État et la société Eiffage, a annoncé Sylviane Noël, sénatrice du département le vendredi 11 octobre dernier.

Le tronçon de 16,5 km, en débat depuis plus d'une quarantaine d'années, vise à "désenclaver", selon ses partisans, cette région de la Haute-Savoie proche du Genevois. La préfecture de la Haute-Savoie a, elle aussi, défendu ce projet dans un communiqué, estimant que l'autoroute A412 participe "au développement territorial du département et vise à améliorer la vie quotidienne de l’ensemble des administrés".

Pour ses partisans, le projet autoroutier s'inscrit en effet "dans la complémentarité des autres modes de transports existants (...) et vient offrir au Chablais une liaison de qualité à Annemasse, au Genevois et au reste du territoire national".

Non-sens

C'est donc une nouvelle étape franchie dans ce projet très contesté par les associations environnementales comme France Nature Environnement (FNE). "La Haute-Savoie sera encore dépendante de la voiture et des énergies fossiles. Or cela intervient à un moment ou le Léman Express est plébiscité par les usagers", souligne Anne Lassman-Trappier ce vendredi 18 octobre.

Le Léman Express est rentré en fonctionnement en décembre 2019. Chaque jour, plus de 60 000 usagers empruntent le train selon les chiffres de la SNCF. Face à l'engouement suscité par le train, "promouvoir la voiture est un non-sens", selon l'association de défense environnementale.

C'est un territoire très dynamique, il y a un besoin de mobilité multiple mais surtout pas d’autoroute, ce projet date d'un autre siècle.

Anne Lassman-Trappier

présidente de France Nature Environnement 74

La FNE 74 dénonce aussi une autoroute qui, selon elle, sera "trop chère et pas rentable". Quant à la fréquentation, un avis de l’autorité de régulation des transports publié en juillet dernier souligne que le trafic à "la mise en service pourrait être plus faible que ce qu’anticipe le concessionnaire pressenti". Il est en effet évalué par celui-ci entre 20 000 à 50 000 véhicules légers par jour en moyenne.

Des prévisions "supérieures de 20 à 30 %" à l'étude préalable à la déclaration d'utilité publique de 2019. En d'autres termes, le concessionnaire mise sur une volonté des transfrontaliers de payer pour gagner du temps et moins de voitures sur les deux départementales. "Des hypothèses qui présentent une part de risque", prévient l'Autorité de régulation.

Pollution de l'air et artificialisation des sols

"Une augmentation du trafic routier signifie nécessairement une augmentation de la pollution de l'air alors que le Chablais pour l'instant est relativement dans les clous des normes actuelles", assure Anne Lassman-Trappier.

En effet, selon les cartes de l'Association de surveillance de qualité de l'air en Auvergne-Rhône-Alpes (Atmo), la région du Chablais est pour l'instant "dans le vert". Elle ne dépasse pas les seuils actuels de plusieurs polluants comme les particules fines ou le dioxyde d'azote. "Ce n'est pas parce qu'on respecte ces seuils que la pollution n'a pas déjà un impact sur la santé des populations", rappelle Guillaume Brulfert correspondant territorial de l'Atmo.

Mais une récente directive européenne fixe de nouveaux seuils réglementaires des principales pollutions atmosphériques, que la France devra respecter d'ici au 1er janvier 2030. Avec ces nouveaux seuils, le Chablais sera dans l’orange voir le rouge à certains endroits.

"Dès la période anticyclonique en hiver, on a un risque de voir à nouveau des pics de pollution, ce qui avait plutôt disparu ces dernières années alors que nous sommes dans un territoire sensible", explique Guillaume Brulfert. Et ce, sans compter la création de nouveaux axes routiers. Si l'autoroute A412 devait se poursuivre, "il faudrait être vigilant à la santé des riverains mais aussi éviter que l'axe attire plus de voitures", précise l'expert.

Si le trafic routier actuel se reporte sur une autoroute sans riverains ça pourrait améliorer localement la qualité de l’air dans les bourgs mais on sait parfaitement que la création de nouveaux axes attire de nouveaux trafics, c’est là qu’il faut analyser l’impact.

Guillaume Brulfert

correspondant territorial de l'Atmo

Le groupe Eiffage assurait "anticiper" les nouvelles contraintes climatiques, en intégrant dans ce projet "des modes constructifs innovants et bas carbone, ainsi qu’un accompagnement au développement de modes de transports alternatifs complémentaires comme une véloroute".

Mais le tracé de la future autoroute passera dans des zones pour l'instant vierges, des champs et des forêts. "Tout le tracé a de forts impacts sur la biodiversité, il s'agit de zones humides et c'est un véritable puits de carbone", s'insurge la présidente de la FNE 74. Les zones humides sont des terrains gorgés d'eau aux écosystèmes menacés selon l'Office français de la biodiversité (OFB). La France s’est par ailleurs engagée à préserver les zones humides sur son territoire, notamment à travers la signature de la convention internationale de Ramsar.

Danger sur le reblochon AOP

Outre les incidences sur l'environnement, le projet de l'A412 aura des conséquences sur la production de reblochon. "Avec ce projet, ce sont 50 hectares d’AOP Reblochon qui succomberaient aux bulldozers", explique France Nature Environnement. Chaque année 75 000 reblochons ne pourraient plus être produits localement selon les prévisions des agriculteurs, une trentaine d'exploitations seraient concernées. "Cette artificialisation galopante des sols est une menace pour cette appellation, qui perd régulièrement des espaces exploités pour le reblochon".

Le Syndicat Interprofessionnel du Reblochon rappelle l'importance du respect du cahier des carges AOP, qui impose aux agriculteurs 150 jours de pâturage. "Il y a un enjeu foncier crucial. Un hectare d'AOP reblochon n'a pas la même valeur qu'un autre hors zone, et ce n'est pas la même incidence sur le prix du lait non plus, souligne Virgine Avettand, présidente du syndicat. Si l'accès aux pré est coupé, il faudra également assurer de nouvelles infrastructures comme des boviducs, des passages aménagés pour les vaches."

Lors de la dernière rencontre avec Eiffage, les compensations proposées n'étaient pas à la hauteur.

Virginie Avettand, présidente du Syndicat Interprofessionnel du Reblochon.

L'organisation défend l'appelation mais aussi les compensations éventuelles accordées aux exploitants concernés. "Lors de la dernière rencontre avec Eiffage, les compensations proposées n'étaient pas à la hauteur", explique Virgine Avettand. 

En 2018, déjà, les agriculteurs s'étaient inquiétés des conséquences sur la fillière. "Le prélèvement récurrent d’importantes surfaces pourrait résulter en un affaiblissement de notre filière dont les opérateurs n’étant plus en capacité de respecter le cahier des charges perdraient leur habilitation", avait indiqué le Syndicat Interprofessionnel du Reblochon.

Les associations environnementales ont déposé un recours devant la Cour européenne des droits l'Homme, pour abroger la déclaration d'utilité publique de ce projet déclarée en 2019. Le Conseil d'Etat avait retoqué cinq requêtes déposées en ce sens par des opposants au projet d'autoroute Machilly-Thonon, en Haute-Savoie. L'instance avait estimé que le projet répondait "à des besoins en matière de transports qui ne peuvent être assurés par un autre moyen".

D'autres pistes pourraient être explorées, pour les opposants, comme la présence d'espèces protégées telles que le sonneur à ventre jaune, sur le territoire.

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