"La lutte contre la pollution de l'air n'est pas une priorité de l'action publique, en dehors des pics de pollution", c'est ce que conclut un rapport de la Cour des Comptes, publié le 21 janvier dernier. Le cas de la Vallée de l'Arve est scruté à la loupe.
"Depuis 5 ans, les plans nationaux se sont succédés sans évaluation. Les dépenses consacrées par les administrations publiques à cette question ne sont pas suivies.(...) Il n’existe pas encore de politique structurée et accompagnée d’une communication claire." Les conclusions de la Cour des Comptes sont sévères.
Même si dans son discours d'introduction le président de la cour Didier Migaud a souligné " une réelle amélioration de la situation pour certains polluants", il a insisté sur "la persistance de points noirs localement". Passy, dans la vallée de l'Arve, en fait partie, en tête du hit-parade.
Une gestion des pics de pollution peu probante"
Dans son rapport, la Cour des Comptes dénonce une gestion des pics de pollution peu probante : "Ces épisodes de pollution, qui se déclenchent lorsque les polluants dépassent des seuils d’alerte sont la conséquence directe de la non-maîtrise des émissions et des concentrations de polluants sur le long terme". (...) De plus, ces seuils réglementaires, souligne la Cour, sont pour 3 substances (ozone, particules fines et souffre), bien supérieurs aux normes préconisées par l’OMS.
L’impact des mesures mises en place lors de ces pics de pollution (circulation alternée, limitation de la vitesse, baisse de l’activité industrielle) est "marginal " selon la rue Cambon car "c’est le changement de la situation météorologique qui met fin au pic de pollution".
Clarifier la notion de seuil en cas de pic de pollution
"L’existence de deux seuils (information-recommandation et alerte) déclenchant des actions administratives en cas de pic de pollution est un facteur compliquant la communication" estime le rapport, "d'autant que les médias et les différents niveaux politiques communiquent de manière autonome, ce qui peut contribuer à brouiller les messages."
En un mot , la différence entre seuil d’information-recommandation et seuil d’alerte est tout simplement obscure et confuse à l'usage, voire inutile.
Selon le rapport, " il serait souhaitable de pouvoir déclencher par anticipation des mesures d’interdiction ou de restrictions, sur prévision pour tous les polluants. Cela devrait être possible même si on constate pendant une journée une faible baisse des niveaux de pollution.Il est en effet important de pouvoir agir rapidement, y compris par des mesures contraignantes, sans attendre d’atteindre les seuils d’alerte, afin d’éviter l’installation durable d’un pic de pollution".
La lutte contre la pollution de l’air est un combat de dimension locale"
Il n’y a pas une solution unique, et uniforme à l’échelle nationale souligne la Cour des comptes : "Alors que la pollution de l’air est un problème de dimension essentiellement locale, qui nécessite des réponses concertées entre tous les responsables de terrain, la répartition des compétences provoque des tensions. Encore trop d’interventions au niveau national perturbent les mesures prises au plan local, par les préfets ou les collectivités. Ces interventions ont ainsi pu retarder ou limiter la mise en œuvre d’outils efficaces. Elles s’observent notamment en cas de pics de pollution".
"Le niveau local, le plus pertinent pour agir, ne dispose pas toujours des marges d’action nécessaires ; les différents responsables interviennent en utilisant des outils très divers, pas toujours conçus pour les objectifs poursuivis et donc pas nécessairement adaptés. La politique menée est donc partielle et parfois conçue puis mise en œuvre dans l’urgence : la gestion des "pics" de pollution en illustre les faiblesses."
En Rhône-Alpes, il existe quatre Plans de Protection de l’Atmosphère (PPA) et plusieurs Plans locaux de qualité de l’air qui visent à réduire les rejets polluants et l’exposition de la population et des écosystèmes. 5 agglomérations rhônalpines ont été aussi chargées dans le cadre des Villes Respirables, de faire émerger des mesures exemplaires pour l’amélioration de la qualité de l’air.
La Vallée de l'Arve a fait preuve d'innovation, oui mais...
"Certains PPA contiennent des mesures très spécifiques conçues en fonction des problèmes rencontrés sur leur territoire. Elles constituent parfois des innovations, reprises ensuite au niveau national. C’est, notamment, le cas dans la vallée de l’Arve, en Haute-Savoie" .
La vallée de l'Arve, l'un des secteurs les plus pollués de France, fut l'un des premiers territoires en France à "discriminer" la circulation des véhicules en fonction de leurs émissions de pollution. Dans le cadre du PPA et en accord avec les autorités italiennes, une interdiction de circulation de certains poids lourds est en vigueur depuis 2005.
Mais ses effets sont limités, notamment parce que sa mise en œuvre ne peut excéder 20 jours par an, quel que soit le nombre de jours de dépassements des seuils réglementaires constatés et que son champ d’application ne concerne que les véhicules Euro 0, I ou II.
Pour tenter d’appréhender rapidement l’effet de cette mesure d’interdiction, Air Rhône-Alpes a étudié l’évolution des taux de particules PM10 mesurés dans la région durant l’épisode de pollution , le bilan est mitigé.
"Pendant la période d’interdiction de circulation des poids lourds, on constate une baisse de la pollution de fond (c’est-à-dire la pollution mesurée loin des sources d’émissions du polluant considéré) sur le site de mesures de Passy. En revanche, sur cette même période, les niveaux mesurés en proximité du trafic (sur le site des Bossons, le long de la Route Blanche) ne suivent pas la même tendance et montrent même une légère hausse".
Conclusion de la Cour des Comptes : "Les mesures d’interdiction des poids lourds de norme Euro 3 et antérieurs ont contribué à ne pas augmenter les émissions de particules et à limiter l’exposition des populations riveraines des grands axes de circulation. Mais c'est l’impact du changement météorologique qui semble prépondérant dans la baisse des taux, rendant très difficile la quantification de l’effet de l’interdiction sur les concentrations mesurées".
Cette situation ne satisfait pas la Cour qui rappelle qu'"il est désormais établi" que la pollution de fond supportée au quotidien est plus néfaste en terme de santé que celle constatée lors des pics de pollution.
Le renouvellement des foyers de cheminée non performants
La vallée de l’Arve est aussi pionnière dans l’aide au renouvellement des foyers de combustion non performants -et donc très fortement émetteurs de particules fines-. L’opération "fonds Air-bois" a été lancée mi-2013 et visait le renouvellement de quelque 3 200 appareils domestiques de chauffage au bois les plus polluants en offrant aux particuliers une aide de 1 000 €, représentant 50 % maximum du coût du matériel et de l’installation.
En février 2015, on comptait mille bénéficiaires de la mesure. À mi-parcours de l’opération, 31 % des appareils ciblés ont été remplacés. Une extension du dispositif à d’autres zones intéressées est en cours.
Faire appliquer le principe du "pollueur-payeur"
Le rapport préconise que "l'État fixe un cadre clair mais qu'il laisse ensuite les acteurs locaux prendre les mesures les mieux adaptées aux situations rencontrées". La Cour demande notamment que soient "identifiés par une pastille les véhicules selon leurs émissions de polluants, afin de pouvoir mettre en place rapidement des mesures de restriction de circulation".
Par ailleurs, "Il est regrettable que le principe constitutionnel "pollueur-payeur " ne s'applique que de manière très limitée et concerne surtout l'industrie", déplore la Cour, soulignant que l'agriculture et le résidentiel tertiaire y échappent totalement."
Enfin, la rue Cambon souligne que la lutte contre la pollution se joue à long terme et est aussi "l'affaire de tous les citoyens" et question de comportements individuels.