De nombreux refuges de montagne ont fermé leurs portes en ce début du mois d'octobre. Au refuge des Grands Mulets, perché à plus de 3 000 mètres sur le mont Blanc, les équipes doivent procéder à une longue mise en hibernation. Un moment spécial, raconté par les acteurs de ce "navire".
"C'est la pépite des Alpes ici. On a de la chance d'avoir encore cet endroit. On est entre des océans de glace, en plein cœur de la montagne. Il faut le garder, cet endroit", s'émerveille encore Christophe Profit, guide de haute montagne de légende. Cet endroit, "son cocon", c'est le refuge des Grands Mulets, perché à 3 051 mètres dans le massif du Mont-Blanc.
Le navire d'acier s'est échoué depuis 1853 en surplomb de la Jonction, où se rejoignent les glaciers des Bossons et de Taconnaz. Depuis plus de 170 ans, il accueille des alpinistes à la conquête du toit de l'Europe, mais aussi des skieurs en randonnée et autres amoureux de la montagne. Et comme chaque année, il ferme ses portes pour la saison hivernale en ce début du mois d'octobre.
Une partie non-gardée sera toujours accessible aux plus téméraires des aventuriers avec, comme seul confort, une quinzaine de couchages, un poële et un peu de bois pour résister au froid. Mais avant d'abandonner le refuge aux températures glaciales, l'équipe des Grands Mulets s'affaire à un grand ballet : nettoyage, ramonage, vidange, remise en état du refuge et de son accessibilité...
Dernier nettoyage
Ils sont une dizaine à s'activer. Chacun a sa tache. Frontale sur la tête, Ben, le gardien, inspecte la tuyauterie du refuge : "Avec tous les phénomènes de gel et de dégel, une vanne qui pète, ce n'est pas du tout étonnant. Toute la technique est mise à rude épreuve ici. Quand il fait -20 °C dehors, il fait -10 ici. Il faut entretenir."
Au rez-de-chaussée, Karen, éponge en main, récure la cuisine. Elle termine sa première saison en refuge : "On nettoie tout ce qui est sale. On désinfecte et on met en stock pour le mois de mars. C'est plus simple de faire ça maintenant, car quand on arrive en mars, il y a déjà beaucoup de choses à faire : il faut déballer tous les sacs amenés par hélicoptère, tout ranger..."
L'aide-gardienne profite de ces derniers instants dans sa cuisine. Un endroit qui, au fil des semaines, a pris une importance toute particulière pour elle. "On est très présents pour les clients : on fait le check-in quand les gens arrivent, on encaisse les nuitées, on prend les menus, on distribue les chambres, on présente le fonctionnement du refuge, on répond au téléphone, on fait les lits le matin, on prépare le petit-déjeuner... Alors, ici, on trouve notre petit endroit à nous. On peut boire le café et discuter tranquillement. Puis, il y a une belle vue", sourit-elle.
La "conclusion" avant un nouveau chapitre
À la fin de la journée, tout doit être rangé avant la longue redescente des équipes vers la vallée. Comme un retour à la civilisation après plusieurs mois passés à tutoyer le Mont-Blanc. "J'aime bien comparer ce refuge à un navire. On vit tous ensemble dans notre boîte, en autarcie. On prend les tempêtes et la solitude en pleine face", explique Teddy, jeune aide-gardien, en charge du ramonage avant de quitter les lieux. "C'est un jour particulier. On prépare tout pour l'hiver. Il n'y a pas de clients. C'est notre petit moment à nous dans notre bateau perché. Après, on retourne dans la vallée et on lui dit à l'année prochaine."
Avant de partir, tous se rassemblent sur le toit du refuge, au-dessus d'une épaisse mer de nuage. Le moment parfait pour un adresser un dernier au revoir. "C'est la conclusion de plein de moments de vie. Finir ça en équipe, c'est concret. Après, on peut passer à autre chose, on change de chapitre", conclut Christophe Profit.