Le petit village de Saint-Gingolph, à cheval sur la France et la Suisse, s'est trouvé une autre frontière, toute footballistique, vendredi soir avec la correction infligée par les hommes de Didier Deschamps à la Nati d'Ottmar Hitzfeld (5-2).
Dans cette paisible bourgade, les pieds dans l'eau du Lac Léman et à l'ombre des PréAlpes, un torrent sert de frontière depuis 1569. A l'ouest, Saint-Gingolph France, commune de Haute-Savoie où le pain se paie moins d'un euro. A l'ouest Saint-Gingolph Suisse, commune du Valais, ses rues proprettes et bacs de fleurs bien soignées à l'image d'un des pays les plus chers du monde. Chaque partie a son édile, son école, et de part et d'autre de la rivière, les Gingolais revendiquent leur identité propre. Aussi, il ne fallait pas plus qu'un affrontement en Coupe du monde entre les deux équipes nationales pour offrir aux habitants l'occasion de se titiller et se moquer gentiment.
"Allez les Bleus" versus "Hop Suisse". Alors que le soleil se couche sur les eaux calmes du Léman, les cris fusent dans tous les sens dans la salle des fêtes, où le club de football local avait convié les habitants de la région à regarder le match ensemble, dans une ambiance bière et grillade. Le club, qui compte des licenciés des deux nationalités, a bien tenté de préserver l'équilibre avant le coup d'envoi, mais la fiesta vire vite au bleu.
A la mi-temps, alors que Diego Benaglio est déjà allé ramasser trois fois le ballon au fond de ses filets, les supporteurs suisses, dépités, ont déjà renoncé à souffler dans leurs cornes de brume et laissent leurs voisins s'égosiller dans des Marseillaise plus ou moins heureuses. "On va y aller ou bien? L'important c'est de participer", se moque un jeune Français, en imitant l'accent typique valaisan.
"Et un, et deux, et 3-0", crient en boucle le camp des Bleus avec comme variante: "Mais ils sont où les petits Suisses?".
Alors que Benzema et Sissoko poussent la torture jusqu'à un quatrième et un cinquième but en seconde période, les Français deviennent de plus en plus survoltés.On a sauvé l'honneur"
"C'est vraiment pénible; Cela me casse les oreilles", lâche un retraité suisse, Alain Sandmeyer, resté stoïquement jusqu'au bout. "Ils nous dominent côté public, ils nous dominent dans le match là c'est vraiment la totale !".
Les deux buts suisses viennent apporter un maigre réconfort. "Au moins, on a sauvé l'honneur", se consolent deux amies, qui affichent leurs couleurs sous forme de baisers rouges sur les joues.
Sur le pont qui fait la frontière, l'affiche du journal Le Matin qui invitait à "Plumez les Français" semblait désormais bien cynique. Et pour les frontaliers français, qui ne sont pas forcément bien vus et acceptés en Suisse, le résultat sans appel du match se savourait doublement.
"On s'est fait tailler toute la semaine au travail, où on se faisait dire qu'on est des grandes gueules", raconte Nicolas Bordon, l'un de ces milliers de Français qui passent la douane tous les jours. "Les Suisses, plus que les Français, voulaient cette victoire car il y a cette rivalité. Alors c'est bien d'avoir vu une telle domination."
Reportage avant le match de Marion Feutry & Dominique Semet
