Même prévue de longue date, la fermeture pour travaux du tunnel du Mont-Blanc pendant près de quatre mois, est source d'inquiétude pour le monde économique transalpin. Pour nos voisins, c'est la certitude de lourdes pertes financières. Mais aussi le risque de voir ainsi leurs exportations suspendues à la viabilité du seul tunnel du Fréjus.
"Que voulez-vous qu'on fasse maintenant ? Il ne nous reste qu'à passer par le tunnel du Fréjus ou la Suisse ? Ce qui veut dire plus de temps de route et plus de péages encore."
À l'image de ces propos tenus, lundi 2 septembre, par l'un des derniers chauffeurs de camions à s'engager dans le tunnel du Mont-Blanc avant sa fermeture pour 105 jours, ce sont des acteurs de l'économie italienne résignés à souffrir qui ont vu le panneau "Stop" affiché à l'entrée de l'ouvrage franco-italien.
Résignés, car depuis le chantier précédent, en octobre 2023, le coût des fermetures à répétitions prévues pour les 18 années de travaux est désormais bien connu des milieux économiques du nord-ouest italien. Une addition plus que salée, évaluée à hauteur de 11 milliards d'euros. Autant de moins pour le PIB (Produit Intérieur Brut) de nos voisins.
Un risque élevé d'isolement
Ce qui préoccupe le plus, ce n'est pas tant l'augmentation des coûts (inévitables avec l'allongement des temps de transports par les itinéraires alternatifs), mais plutôt l'épée de Damoclès qui pèse sur leurs voies d'exportations vers l'Europe du nord.
Avec un tunnel du Mont-Blanc fermé, ce sont 88% de sess 1500 camions/jour qui vont désormais devoir se diriger vers son voisin du Fréjus.
Un itinéraire via le Piémont qui accueille déjà son plein de transporteurs internationaux avec plus de 2000 camions par jour. Et qui aura bien du mal à absorber le surplus venu de son voisin nordiste du Mont-Blanc.
Concrètement, cela signifie des bouchons au tunnel du Fréjus, des temps de route allongés pour les marchandises, et au final une augmentation parallèle des coûts de transport.
"Chaque changement d'itinéraire est une perte de compétitivité pour nos marchandises", expliquait récemment au quotidien turinois "la Stampa", Andrea Amalberto, le patron des patrons du Piémont.
"Surtout lorsqu'il s'agit de l'un de nos partenaires majeurs comme la France, avec laquelle on échange environ 45 millions de tonnes de marchandises chaque année... Mais ce qui nous préoccupe le plus dans cette affaire, c'est que si un problème survenait au Fréjus, on n’aurait pas de plan B. On sera tous bloqués."
Le tunnel du Fréjus, seule alternative
Une grande peur qui n'a rien d'infondée lorsque l'on examine la carte des voies de transports encore viables pour franchir les Alpes. En cas de scénario catastrophe dans le seul tunnel alpin encore en activité, le salut ne pourrait, en effet, ni venir des grands cols alpins (du Mont-Cenis ou du Petit-Saint-Bernard, bientôt fermés pour l'hiver, du col de Montgenèvre, déjà saturé, ou du col de Tende (06), touché par des travaux de voirie), et encore moins du transport sur rail.
Depuis l'éboulement survenu sur le tunnel ferroviaire d'Orelles, en Maurienne, il y a maintenant un an, impossible de compter faire passer le moindre train de marchandises, entre la sortie du tunnel ferroviaire du Mont-Cenis et jusqu'à Saint Michel-de-Maurienne.
Une impossibilité qui vaut évidemment également pour l'autoroute ferroviaire alpine. Chaque année depuis 15 ans, elle permettait de charger environ 30 000 camions par an sur un train, pour les transporter de la plate-forme multimodale d'Orbassano, dans la banlieue de Turin, jusqu'à Aiton (73), en basse vallée de la Maurienne.
Pas d'avantage de secours à espérer du second tube du tunnel routier du Fréjus. Travaux terminés, il a bien laissé passer sous sa voûte flambant neuve, une course cycliste en juillet dernier... Un faux départ. Pour la énième fois, son ouverture aux véhicules légers et poids lourds a été repoussée au premier trimestre 2025.
Turin saturée
Côté français, comme italien, dans les semaines qui viennent, on n’a donc pas fini de voir des files interminables de camions attendant le passage au tunnel du Fréjus. Plus bas, dans la plaine du Po, un scénario identique est attendu sur le périphérique de Turin.
"En période normale, la viabilité du périphérique est déjà critique. Alors, vous pensez ce qu'il peut devenir avec l'arrivée supplémentaire de 1500 poids lourds chaque jour", alerte Enzo Pompilio, le président de la fédération des transporteurs routiers de Turin.
"À l'heure des sorties des bureaux, et surtout le lundi et le mercredi, lorsque les camions rentrent de l'étranger après avoir livré leurs marchandises, les heures d'attente dans les bouchons vont encore s'allonger".
Le doublement du tunnel du Mont-Blanc, une solution qui divise
Alors, comme pour conjurer leur hantise d'être pris dans une véritable souricière, les milieux économiques italiens n'hésitent pas à relancer leur idée-force : celle du percement d'un second tube au tunnel du Mont-Blanc. Une idée rejetée côté français, aussi bien dans les cercles gouvernementaux parisiens, rhônalpins ou même haut-savoyards, mais qui séduit toujours autant de l'autre côté du Mont-Blanc.
Porté par le Médef (Confindustria) du nord italien, le projet de construction serait prêt. Il serait même chiffré, à hauteur d'un milliard d'euros, financé... Selon les industriels italiens, il pourrait être terminé à l'aune des cinq prochaines années, et offrirait ainsi une alternative aux fermetures du tunnel historique, à venir pendant les 18 prochaines années.
"En l’état actuel des choses, lorsque les travaux prévus seront terminés dans 20 ans, le tunnel sera vieux de 80 ans," explique Francesco Turcato, le président de la fédération des patrons valdôtains. "Il faudra alors, certainement prévoir d'autres fermetures pour travaux. Pour l'adapter par exemple à des nouvelles normes européennes qui pourraient déclasser tous les tunnels monotube. On aura alors perdu beaucoup de temps et d'argent pour l'économie valdôtaine et celle de tout le nord italien."