Un projet de réaménagement du domaine skiable de Rochebrune-Megève est contesté par plusieurs associations environnementales. De nombreuses espèces protégées seraient menacées. La reprise des travaux est entre les mains de la justice.
Après la retenue collinaire de La Clusaz, un autre projet haut-savoyard, dans le domaine skiable de Rochebrune-Megève, attise la colère de plusieurs associations environnementales. La station, lovée au cœur des Alpes et très prisée des touristes, compte remplacer deux télésièges et deux téléskis obsolètes par deux télésièges débrayables et un téléski. Une transformation qui permettra également la création d'une nouvelle piste de ski sur le secteur de Rochebrune.
Mais depuis quelques semaines, les travaux, déjà engagés, sont à l'arrêt. Pour cause, ce remaniement passe mal du côté de l'association Mouvement Environnemental de la Haute Vallée de l'Arve (Mehva), qui a porté un recours en référé-suspension au tribunal administratif de Grenoble, fin septembre.
Deux autres associations, France Nature Environnement (FNE) Haute-Savoie et Biodiversité Sous Nos Pieds, ont également annoncé avoir introduit, courant octobre, un recours en annulation devant la même juridiction, "assorti d’un recours en référé-suspension pour que ne débutent pas, ou soient stoppés, les travaux qui pourraient détruire les espèces protégées du site de Rochebrune", explique un document des deux organisations.
Espèces protégées et "fuite en avant"
Les associations craignent la "destruction" de 47 espèces protégées, principalement de l'avifaune, comme le Tétras lyre ou encore le Tarier des prés, mais aussi une partie de la flore locale. L'association Mehva redoute également "le massacre" de neuf hectares de forêts.
Outre les conséquences directes, ce projet divise les partisans et les opposants sur leur vision de la montagne, de la gestion de la ressource en eau et de l'avenir des stations de ski. Pour Anne Lassman-Trappier, la présidente de FNE Haute-Savoie, les "surenchères" d'aménagement en montagne sont devenues obsolètes : "C'est une fuite en avant. On essaye de prolonger un modèle du tout-ski qui n'est plus viable. Certaines stations persistent dans leur croyance et continuent de détruire l'environnement."
"Il faut arrêter d'investir dans des aménagements situés à 1 500 mètres d'altitude", continue-t-elle. De son côté, Denis Nouvellement, chef de file de l'association Mehva, assure ne pas être contre le fond de ce projet : "Nous ne sommes opposés à la modernisation des infrastructures. Mais, il ne faut pas massacrer la nature avec les travaux. Et, vu le réchauffement climatique et la sécheresse de cet été, est-il judicieux d'investir des millions d'euros dans ces aménagements ?", s'interroge-t-il.
"Eviter, réduire et compenser"
Autre problème soulevé par Denis Nouvellement : une des gares des nouvelles infrastructures se trouverait dans une "zone rouge", une zone humide soumise à plusieurs risques. "On ne comprend pas ce qu'on nous reproche. Les appareils des remontées mécaniques se retrouvent parfois en zone rouge en montagne, étant donné le profil du milieu. L'Etat et la loi nous demandent de démontrer qu'on ne va pas aggraver les risques. Les conclusions de notre étude d'impact démontraient que tout était aux normes. Nous avons reçu un avis conforme de la part du préfet en matière de sécurité", conteste Michel Cugier, directeur de la SEM des remontées mécaniques de Megève.
On tend vers quelque chose de plus vertueux, on diminue le nombre de pylônes, on aménage et sécurise un endroit devenu vétuste.
Michel Cugier, directeur de la société des remontées mécaniques de Megève.
Michel Cugier se dit "surpris" de la réaction des associations : "Nous avons une vision raisonnée et raisonnable de la montagne. Il ne s'agit pas là d'un projet d'extension. On tend vers quelque chose de plus vertueux, on diminue le nombre de pylônes, on aménage et sécurise un endroit devenu vétuste. Le dernier aménagement date de 2005. Les appareils que l'on souhaite modifier ont entre 35 et 40 ans."
Quant aux espèces protégées, le directeur des remontées mécaniques tient à expliquer sa stratégie "ERC : Eviter, réduire et compenser" : "Quand on imagine un projet, on essaye de minimiser tout impact sur la nature. Lorsqu'on ne peut pas éviter des dégâts sur la nature, on essaye de les compenser ailleurs. Ainsi, sur les arbres qui sont ou qui vont être arrachés, nous allons sanctuariser 19 hectares de forêts sur le domaine skiable. Il ne pourra plus y avoir d'exploitation sur ces secteurs pendant au moins une centaine d'années. Pour les espèces menacées, nous tentons de les déplacer et nous adaptons le calendrier des chantiers aux espèces présentes : par exemple, nous n'allons pas faire de travaux pendant la période d'hivernage ou de reproduction du Tétras lyre."
Un recours en cassation
"Nous avons beaucoup échangé avec la DREAL (Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement, ndlr), avec les services de la préfecture, nous avons reçu un avis favorable du Conseil national de la protection de la nature, nous avons réalisé une étude d'impact minutieuse et longue de 800 pages... Nous avons le sentiment d'avoir fait les choses correctement", souligne Michel Cugier, qui regrette, cependant, le manque de dialogue avec un des propriétaires : "Nous n'avons pas de servitude sur notre domaine skiable. Nous avons donc dû dialoguer avec tous les propriétaires. Cela s'est bien passé avec tout le monde, sauf un, qui désormais fait pression avec l'appui d'une association."
La société des remontées mécaniques de Megève assure avoir formé un pourvoi en cassation afin de reprendre les travaux : "On espère bien gagner, c'est un important projet, il y a près de 20 millions d'euros sur la table."