IMMERSION. Présidentielle 2022 : silure, moule quagga et eaux non-brassées... le lac Léman, un écosystème mis à mal

Dans le cadre de la consultation citoyenne Ma France 2022, lancée par France 3 et France Bleu, nous avons passé deux jours à Thonon-les-Bains, au bord du lac Léman. Un milieu fragile, avec un écosystème menacé de toute part, entre l'urbanisation, l'apparition d'espèces invasives et les premières conséquences du réchauffement climatique.

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Le jour ne s'est pas encore levé sur le lac Léman. Quelques lumières clignotent à la surface de l'eau. L'une d'elles approche des rives de Lugrin, petite commune de Haute-Savoie, proche d'Evian-les-Bains. Un bruit de moteur de bateau commence à rompre la quiétude du lac. A son bord : Eric Jacquier, pêcheur professionnel sur le lac depuis 35 ans.

Il est 6 heures passées et il revient de la pêche au large. Des truites et des féras continuent de frétiller dans les caisses qu'il fait glisser dans sa poissonnerie. Quelques salariés de l'entreprise se relaient et toute une mécanique se met en place : découpage, pesée, mise en boîte... Eric, lui, se prépare pour repartir récupérer ses filets posés près des rives. Il cède à un pain au chocolat, embrasse sa femme, qui travaille également dans la poissonnerie, et repart à l'eau.

Bonnet de marin vissé au-dessus de deux yeux bleus rempli de malice, cet imposant Lémanais est une figure du lac. Chez les Jacquier, la pêche est une histoire de famille : c'est "une passion, pas un travail", qui se transmet depuis 400 ans. Son père et son grand-père lui ont tout appris de ce milieu, plus grand lac naturel d'Europe occidentale, qui s'étend sur 580 km2. Soit près de six fois la taille de Paris. C'est un écosystème dense, rempli d'une forêt sous-lacustre, d'une faune et d'une flore unique dans les Alpes. Mais dont la fragilité se démontre d'année en année.

Une moule quagga venue des pays de l'Est

Depuis peu, Eric Jacquier doit faire face à des imprévus. Comme à chacune de ses sorties, des centaines de petites moules se sont accrochées sur ses filets de pêche en cette matinée pluvieuse de fin mars. Elles recouvrent rapidement le fond de sa cale et sont réduites en bouillie grisâtre sous les pas d'Eric. Ce mollusque, la "moule quagga", est arrivée dans le bassin il y a quelques années. Son origine reste méconnue. Mais, certains pêcheurs et scientifiques, estiment qu'elle serait venue de pays de l'Europe de l'Est, comme l'Ukraine, accrochée à la coque de certains navires.

"Ce serait les premiers réfugiés ukrainiens", ironise Eric. Mais, le pêcheur se serait bien passé de cette nouvelle arrivée : "Les moules quagga ont envahi le lac depuis quatre ans. Ca a une influence énorme." D'une part, parce que c'est un mollusque filtrant : elle consomme d'importantes masses de planctons, nourritures essentielles aux poissons. D'autre part, la moule traditionnelle du Léman a disparu : "On ne sait pas encore quelle chaîne alimentaire va se créer."

Le silure, monstre du Léman et d'Internet

"Il faut toujours nettoyer les filets. Ils sont abîmés beaucoup plus vite à cause de cette moule", peste Eric. Le pêcheur n'est pas au bout de ses peines. Un autre mal est tapi dans les eaux sombres du lac : le silure. Ce poisson, dont les vidéos de pêche brassent des millions de vues sur Internet, peut mesurer près de deux mètres et accuser sur la balance plus d'une centaine de kilos.

A terme, le silure sera le prédateur ultime du lac Léman. A part si l'on introduit le grand requin blanc.

Eric Jacquier, pêcheur professionnel à Lugrin.

Il se nourrit de tout : de poissons, d'oiseaux d'eau, de mollusques, de végétaux et même de métaux lourds... "Pour l'instant, nous n'avons pas encore de grosses conséquences. Mais à terme, le silure sera le prédateur ultime du lac Léman. A part si l'on introduit le grand requin blanc, sourit le pêcheur en train de sortir les poissons de ses filets. Le silure ne va faire que grossir. Quand on sait que les individus s'adaptent à la taille du bassin qui les accueille, il y a de fortes chances que l'on retrouve des silures de 150 kg dans peu de temps."

"Fatalement, cela va être une invasion dans le lac." En Suisse, cette espèce invasive est considérée comme persona non grata : toute silure pêchée doit être notée sur un carnet de pêche, puis tuée.

Vers une asphyxie des organismes vivants ?

L'hiver s'en est allé sur les rives du lac Léman. Les arbres recommencent à fleurir, les oiseaux piaillent, les mouettes sont de sortie et les températures sont amenées à grimper dans les prochaines semaines. Sur le lac Léman, la hausse du mercure et le réchauffement climatique "n'ont pas encore eu de conséquences directes sur le milieu", note le pêcheur. "L'écosystème est trop grand, trop important pour qu'il ait subi des effets directs. Le niveau de l'eau, par exemple, reste stable d'une année à l'autre", confirme Audrey Klein, secrétaire générale de la Commission internationale pour la protection des eaux du Léman (Cipel), située en Suisse.

En revanche, des effets indirects déstabilisent déjà le milieu. Cet hiver, et pour la dixième année consécutive, l'eau du lac ne s'est pas renouvelée. "En hiver, la différence de température entre la surface et le fond du lac est au plus bas. C’est seulement à cette période de l’année que les eaux de surface et les eaux profondes peuvent se mélanger sous l’effet du froid", explique Audrey Klein. Ce mélange permet l'oxygénation de tout le milieu aquatique.

Pour Eric, ce n'est pas encore un problème : "Le lac a toujours su d'adapter. C'est un milieu vivant, il évolue, c'est naturel." Pour la Cipel, ce manque d'oxygénation pourrait avoir d'importantes conséquences : "Actuellement, le brassage se fait sur les 130 premiers mètres. Le lac va jusqu'à 309 mètres. La couche profonde est vraiment très appauvrie en oxygène", détaille Audrey Klein.

Le jour où un brassage complet se fera de nouveau, tout ce phosphore va être brassé et va revenir à la surface. L'excédent de phosphore entraînera une prolifération d'algues.

Audrey Klein, secrétaire générale de la Commission internationale pour la protection des eaux du Léman.

Quelles conséquences cela peut-il avoir ? "Quand les algues meurent, elles se transforment en sédiment au fond du lac. Elles s'y retransforment en phosphore, en matière organique. Le jour où un brassage complet se fera de nouveau, tout ce phosphore va être brassé et va revenir à la surface. L'excédent de phosphore entraînera une prolifération d'algues", explique la scientifique. 

La prolifération de ces algues présenterait des risques d'asphyxie pour des organismes vivants. "La masse d'eau se réchauffe mais pas de la même manière en fonction des couches de surface et des couches en profondeur. C'est pour cela que l'on n'a pas de brassage hivernal complet. Il faudrait un hiver très froid et venteux."

Des actions à mener localement

Gilles Bondaz est assis à la grande table en bois du local des sauveteurs du lac. La petite maison, située sur le port de Thonon-les-Bains, est vide ce mercredi midi. Il connaît les lieux et pioche une bouteille d'eau pétillante dans le frigo avant de se rasseoir. Depuis sa retraite, cet ancien professeur consacre encore davantage de temps à sa passion : le lac Léman. Il a co-fondé l'écomusée de la ville, également établi sur le port, et a écrit des ouvrages sur ces eaux, qu'il a vues changer au fil des décennies.

Les mains croisées sur la table, il avertit sur les dangers liés à l'urbanisation autour du lac : "On sait que dans les poissons, on commence à avoir des particules de plastique, par exemple. Les poissons finissent par être pollués. Il y a de plus en plus de monde ici, surtout sur la côte française, du fait de la proximité avec la Suisse."

Près d'un million de personnes vivraient autour de ce lac : "On peut parler d'une urbanisation galopante. Avant, c'était des petites communes, qui ne faisaient pas plus de 20 000 habitants. Désormais, une ville comme Thonon-les-Bains en compte presque 40 000. Cela peut avoir des conséquences sur les stations d'épuration."

Nous sommes tous largement dépassés par le dérèglement climatique. Ce n'est pas à l'échelle locale que nous allons arranger la situation. Par contre, au niveau de notre bassin lémanique, nous pouvons agir.

Audrey Klein, secrétaire générale de la Cipel.

Pollution, apparition d'espèces invasives, urbanisation, brassage incomplet des eaux... Malgré une amélioration de la qualité de son eau par rapport aux années 70, le lac Léman est toujours un écosystème "fragile", rappelle Audrey Klein : "C'est un lac vulnérable, qui doit répondre à de nombreux usages, notamment le tourisme. Mais, il ne faut pas oublier que c'est un milieu à préserver."

"Nous sommes tous largement dépassés par le dérèglement climatique, s'attriste la secrétaire générale de la Cipel. Ce n'est pas à l'échelle locale que nous allons arranger la situation. Par contre, au niveau de notre bassin lémanique, nous pouvons agir. Notamment sur le choix des produits que l'on utilise, mais on peut aussi se passer de pesticides, avoir un comportement raisonné sur le lac... Comme ailleurs également."

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