Ces derniers mois, les initiatives de plusieurs entreprises ont accéléré l'émergence d'un marché de seconde main pour les équipements outdoor. Alors, greenwashing ou vraie transition écologique ? Décryptage.
C'est une communication efficace. La start-up Everide, basée à Annecy en Haute-Savoie, qui a lancé une application pour vendre en ligne des équipements de ski ou de montagne de seconde main, s'affiche à côtés de grands noms de l'alpinisme, de l'escalade, du trail ou du ski. Le champion d'ultra-trail Kilian Jornet est partenaire, tout comme le freerider Xavier de Le Rue, l'alpiniste Paul Bonhomme ou la grimpeuse Liv Sansoz. Ils proposent tous les quatre à la vente, comme d'autres "ambassadeurs", des équipements qu'ils ont déjà utilisés. Il est ainsi possible d'acheter une paire de chaussures portée par Kilian Jornet pour 80 euros.
Une initiative qui résume le concept d'Everide. Les utilisateurs peuvent y vendre ou acheter des équipement de sport de seconde main à prix réduits. Une échelle de six états d'usure classe les produits mis en vente et certaines marques, comme Scarpa, proposent des produits d'occasion reconditionnés.
Lancé le 9 novembre, Everide a déjà séduit 50 000 utilisateurs environ. Cette jeune entreprise, inspirée du géant américain du marché du textile Vinted, a levé 1,2 million d'euros auprès d'investisseurs. Sa voisine sur les rives du lac haut-savoyard, la marque d'équipements de vêtements de montagne Picture a également lancé un service novateur à la fin de l'année 2021.
Depuis le mois de décembre, Picture propose un service de location de ses tenues. Si ce sont uniquement des équipements neufs qui ont été proposés au lancement de ce service, des pantalons de ski ou des vestes polaires de seconde main seront proposés dans les prochains mois par la marque. L'engouement autour de ce service est encore limité, avec 100 commandes enregistrées en deux mois, mais Picture pense avoir pris la première vague d'un mouvement de fond. "On a estimé que c'était bien de prendre les devants", confie Florian Palluel, responsable développement durable chez Picture.
Depuis plusieurs années, l'entreprise Patagonia propose aussi de réparer gratuitement les équipements abîmés de ses clients.
Avec le succès de Vinted, on voit qu'il y a une certaine maturité du marché
Cyril Espalieu, co-fondateur d'Everide
En cet hiver 2021-2022, y-a t-il une demande nouvelle pour une pratique plus sobre et durable des loisirs de montagne ? "J'ai entendu Kilian Jornet faire une remarque très pertinente en expliquant que les pratiquants d'activités outdoor sont souvent les gens les plus renseignés sur le changement climatique, mais qu'ils ont en même temps souvent une très grosse empreinte carbone", glisse Cyril Espalieu, co-fondateur d'Everide.
La double championne du monde d'escalade Liv Sansoz partage cet avis. "Quand on est tous les jours en montagne et qu'on voit une évolution de manière très rapide des glaciers et de l'environnement, je me dis qu'il faut faire quelque chose. L'important pour moi était de repenser ma façon de me déplacer, car en tant que sportif de haut-niveau on prend très souvent l'avion pour se rendre sur des compétitions ou des tournages de films, mais aussi ma façon de consommer", dit la native de Bourg-Saint-Maurice.
Il y a encore un fort attachement au produit chez les passionnés
Dans les bureaux d'Everide, on croit à un changement des habitudes de consommation. "Notre vision, c'est qu'il y a actuellement une verticalisation du marché de seconde main. Avec le succès de Vinted, on voit qu'il y a une certaine maturité du marché, ce qui rend possible le lancement d'un site spécialisé comme le nôtre. Notre volonté est d'apporter une façon de consommer plus vertueuse dans l'outdoor. Il y a encore un fort attachement au produit chez les passionnés, et il faut les convaincre qu'ils peuvent trouver des équipements aussi pointus sur notre site que dans un magasin", analyse Cyril Espalieu.
Mais cette réutilisation de produits, que ce soit par le reconditionnement ou la location, permet-elle vraiment une baisse de la consommation de matériel de ski ou de montagne ? "Ce qui est intéressant, c'est que tout cela permet d'intensifier l'usage des objets qui nous entourent, comme un habit de montagne qu'on n'utilise que quelques semaines par an. Surtout que ces produits techniques ne sont pas fabriqués avec des matières très respectables de l'environnement", pointe Thibault Daudigeos, professeur à Grenoble Ecole de Management et spécialiste de l'économie collaborative.
Il y a cependant un revers de la médaille. Les plateformes de revente du type de Vinted ou Everide provoquent un effet rebond. En constatant qu'ils peuvent facilement revendre leurs affaires, les utilisateurs vont avoir tendance à acheter plus de vêtements neufs, dont ils peuvent amortir le prix. "Plusieurs études ont montré que l'effet écologique global des plateformes de revente est supérieur à l'aspect négatif de l'effet rebond", indique cependant Thibault Daudigeos. Ce spécialiste alerte néanmoins sur un autre point : pour être encore plus vertueuse, ces plateformes devraient encourager leurs clients à commander des produits de seconde main dans leur région pour éviter le transit sur de longues distances de produits achetés en ligne.
En tant qu'athlète, je peux faire prendre conscience à des gens et à des marques de leur impact
Liv Sansoz
De manière générale, ces entreprises, qui visent d'abord un développement de leur business, peuvent-elles vraiment permettre de diminuer l'empreinte carbone du monde de l'outdoor ? "Il y a une minorité de gens engagés dans la transition écologique. Je crois que pour faire basculer une majorité, il faudrait une régulation plus forte de l'Etat. Je pense que beaucoup de gens n'ont pas encore conscience de l'empreinte carbone d'un produit fini, de ce que ça peut requérir en énergie, en matière première, pour sa fabrication", souffle Florian Palluel de chez Picture.
Pour la double championne du monde d'escalade Liv Sansoz, la mobilisation d'athlètes peut aussi faire bouger les choses. "Le marché de seconde main n'est pas une solution radicale, mais les activités outdoor ont un lourd impact sur l'environnement. En tant qu'athlète, je peux faire prendre conscience à des gens et à des marques de leur impact. Quand je reçois du matériel d'un de mes partenaires, j'en renvoie la moitié en expliquant que je n'ai pas besoin de tout".