La mort tragique d'un randonneur tué par un ours dans les Dolomites, le 5 avril dernier, sera-t-elle à l'origine du retour des ours dans les Alpes françaises ? La question se pose alors que la province italienne du Trentin a demandé aux régions voisines d'accueillir son "surplus" d'ours. Entre 60 et 70 spécimens qui, comme le loup il y a 30 ans, ignorent les frontières terrestres.
La mort tragique d'Andrea Papi, 26 ans, tué le 5 avril dernier par l'ourse baptisée "Jj4" alors qu'il effectuait son jogging dans les montagnes de la province du Trentin, aura suffi pour faire prendre un tour nouveau au débat sur la présence de l'ours en Italie. Une présence devenue "excessive", selon Gilberto Pichetto, le ministre transalpin de l'environnement.
Un constat qui se trouve largement partagé dans l'opinion, confortée par les nombreuses vidéos et photos postées sur les réseaux sociaux ces dernières années, comme sur ces images où l'on voit une famille d'ours traverser une route du Trentin, au milieu des voitures.
120 ours au lieu des 40 attendus lors de sa réintroduction
"En 1996, quand on a procédé à la réintroduction d'ours de Slovénie, grâce notamment au soutien financier de l'Europe, les prévisions tablaient sur la possibilité de faire vivre sur le territoire du Trentin, 40 à 50 plantigrades. Leur nombre est estimé à 120 actuellement", explique Gilberto Pichetto.
Une preuve de l'efficacité du travail de réintroduction opéré par la province du Trentin depuis le début des années 90, lorsque la population de plantigrades semblait destinée à décliner inexorablement.
Important à l'orée des années 70, le nombre d'ours recensés dans le Trentin était alors tombé à trois. Un trio de plantigrades qui accusaient, de sûrcroit, un âge plutôt avancé. D'où l'importance du plan de repeuplement mis en place alors et baptisé "Life Ursus".
Parmi la population d'ours arrivés de Slovénie, figuraient justement les parents de "Jj4". Relâchés entre 2000 et 2001 au cœur des Dolomites, Joze et Jurka avaient donné naissance cinq ans plus tard à l'ourse aujourd'hui incriminée. Doublement incriminée même, puisqu'en 2020, "Jj4" avait déjà été l'objet d'un ordre de capture pour avoir agressé un père et son fils. Un ordre annulé à l'époque par le tribunal administratif de la province du Trentin.
D'où la colère du président de la région Trentin lorsque le même tribunal a rejeté la demande d'abattage de l'ours. "Une fois capturé, nous aurions voulu l'abattre sur place", a expliqué lors d'une conférence de presse Maurizio Fugatti.
Des propos qui n'ont pas manqué de faire descendre dans la rue les défenseurs de la cause animale en signe de protestation.
Le 23 avril dernier, plusieurs associations animalistes ont en effet organisé une manifestation en soutien à l'ours "Jj4", enfermé dans le centre d'accueil des animaux sauvages de Casteller, dans la province du Trentin.
"On ne trouvera aucune solution en abattant cet ours. Mieux vaut essayer de le transférer ailleurs"
Gilberto Pichetto, ministre italien de l'Environnement
Si, lors de l'arrivée des dix premiers ours et la première portée d'oursons en 2002, les sondages affichaient tous un large soutien de la population au programme "Life Ursus" (aux alentours de 70 %), le vent de l'opinion semble avoir tourné.
De son côté, le ministre de l'Environnement italien, Gilberto Pichetto, joue la carte de l'apaisement : "On ne trouvera aucune solution en abattant cet ours. Mieux vaut essayer de le transférer ailleurs".
60 à 70 ours à déplacer "ailleurs" dans les Alpes
"Ailleurs" ? La proposition a d'abord été accueillie avec satisfaction. Mais où ? Pour l'heure, aucune réponse à cette question plus que sensible.
Que ce soit en Vénétie et en Haut-Adige, les régions voisines, ou en Lombardie et dans le Piémont, un peu plus lointaines : partout le "non" a été franc et massif à la proposition du ministre de l'Environnement. Personne ne veut accueillir les 60 à 70 ours indésirables dans les montagnes de la province du Trentin.
Une partie de ces ours pourraient-ils être déplacés en vallée d'Aoste, la région limitrophe de la Savoie et de la Haute-Savoie ?
"Pour l'instant, nous n'avons pas été contactés", répond à nos confrères de la Rai, Paolo Oreiller, le responsable Faune et Flore du vice-président en charge de l'agriculture au sein de la région Vallée d'Aoste.
Il n'exclut pourtant pas le retour de l'ours sur le territoire valdôtain dans un futur plus ou moins proche, "à la faveur du dépeuplement des montagnes et du retour à la friche de plus en plus de terres autrefois cultivées. C'est ainsi que l'on a pu voir revenir des populations de lynx ou de loups", indique le spécialiste.
Disparu des Alpes françaises depuis la fin du 19e siècle, le possible retour de l'ours dans notre région ne manque pas, en effet, de rappeler celui du loup gris il y a une trentaine d'années.
Issu d'une "sous-espèce italienne", le loup était réapparu en France en 1992 après plus de cinquante ans d'absence et après avoir franchi la frontière franco-italienne. On en dénombre aujourd'hui entre 829 et 1016 spécimens dans l'hexagone, selon l'Office français de la biodiversité (OFB).
"Rien n'empêche" un retour de l'ours dans les Alpes françaises
Un scénario qui n'entre, pour l'instant, par vraiment dans les hypothèses de travail de notre côté de la frontière. "Les Dolomites, ce n'est pas vraiment la porte à côté", estime Laurent Charnay, responsable du pôle scientifique au Parc de la Vanoise à Chambéry, en Savoie.
"Mais rien ne l'empêche", avoue-t-il tout de même. "Ce ne serait, de toutes façons, pas sur les mêmes dynamiques que le retour du loup au début des années 1990. Ce serait beaucoup plus long et lent, étant donné la plus faible mobilité des populations d'ours".
Le spécialiste confie également ne pas avoir connaissance de requêtes des autorités italiennes pour accueillir d'ours indésirables dans les montagnes du nord-ouest italien. "L'affaire Jj4" reste donc strictement italo-italienne, pour le moment.