Ce jeudi 28 novembre, Genève accueillait des assises pour évoquer la situation de la ville lémanique qui perdrait de son influence depuis plusieurs années. Selon des experts, l'influence genevoise vacille au profit d'autres "pôles de pouvoir". Les conséquences économiques pourraient être importantes.
Quel avenir pour l'ONU et la Genève internationale ? C'est la question à laquelle ont tenté de répondre des experts réunis, jeudi 28 novembre à Genève, à l'occasion des assises sur le rôle de la Cité de Calvin dans la diplomatie mondiale.
"La Genève internationale repose sur un écosystème étroitement lié aux Nations unies, ses agences spécialisées qui sont au nombre de 38 environ et puis tout un tas d'ONG. C'est un écosystème qui génère plus de 20 000 emplois et des retombées économiques pour Genève de plusieurs milliards de francs suisses par an. C'est donc un impact colossal", fait constater d'emblée Alain Jourdan, secrétaire général de l'Observatoire géostratégique de Genève.
La neutralité suisse "remise en question"
Selon l'expert, cet équilibre, autrefois inébranlable, semble désormais fragilisé : "Aujourd'hui, il y a une vraie menace pour la Genève internationale qui n'est pas prise suffisamment au sérieux. Souvent, on la résume à la perte de la neutralité de la Suisse, c'est un débat qui est assez vif."
La Russie, par exemple, refuse désormais de participer à des conférences de paix à Genève. Pour de nombreux pays, la Suisse n’est plus un pays neutre.
Alain Jourdan, secrétaire général de l'Observatoire géostratégique de Genève.
La crise ukrainienne et l’alignement de la Suisse sur certaines positions occidentales, ces dernières années, auraient entraîné une "remise en cause de sa neutralité". " La Russie, par exemple, refuse désormais de participer à des conférences de paix à Genève. Pour de nombreux pays, la Suisse n’est plus un pays neutre", observe Alain Jourdan.
Perte d'influence politique
Pour le secrétaire général de l'Observatoire géostratégique de Genève, la principale conséquence de cette perception altérée est la perte d'influence de Genève. La ville du bord du Léman, reconnue autrefois pour ses négociations, ses conférences de paix et ses rencontres attendues par le monde entier, accueillait encore il y a à peine trois ans un sommet historique entre les présidents Biden et Poutine.
Mais cette perte d'influence n'est pas seulement "tributaire de sa neutralité, mais aussi d'un ensemble d'éléments économiques importants", observe Alain Jourdan. "Il y a aussi une crise budgétaire, c'est-à-dire qu'il y a de moins en moins de pays qui veulent financer l'ONU parce qu'ils considèrent qu'elle n'a pas rempli son mandat notamment en matière de sécurité", ajoute-t-il.
Il y a une volonté d'étouffer la voix de Genève à l'intérieur même de la Suisse et à l'extérieur. Le combat de Genève pour les droits de l'Homme, c'est un combat qu'on veut mettre de côté pour privilégier les droits économiques et sociaux.
Alain Jourdan, secrétaire général de l'Observatoire géostratégique de Genève.
Au-delà des aspects géopolitiques, les valeurs incarnées par Genève sont également de plus en plus contestées. L'époque où régnait l'esprit de Genève, symbole de tolérance, de multiculturalisme et d'échanges, semble bien lointaine.
"Genève est prise en étau. C'est-à-dire que ce particularisme genevois, ce qu'on appelle l'esprit de Genève, qui est perçu par les autres cantons comme une forme d'arrogance, est contesté. Il y a une volonté d'étouffer la voix de Genève à l'intérieur même de la Suisse et à l'extérieur. Le combat de Genève pour les droits de l'Homme, c'est un combat dont on ne veut plus entendre parler, qu'on veut mettre de côté pour privilégier les droits économiques et sociaux", explique Alain Jourdan.
Des conséquences économiques majeures
Certaines agences onusiennes ont d'ores et déjà délocalisé des services à l’étranger. Si cette tendance se poursuit, elle pourrait avoir des conséquences économiques considérables pour Genève, selon ces spécialistes qui osent parler et dénoncer cette situation dans une Genève discrète et feutrée.
"Genève était une place centrale dans le vieux monde, dans l'Europe. Mais dans le nouveau monde, elle ne l'est plus. (...) On est en train de rentrer dans un nouveau monde où les règles sont en train de changer. On voit l'émergence de nouveaux pôles de pouvoir", conclut Alain Jourdan.