"Il y a une montée progressive des espèces", ce garde nature constate les effets du dérèglement climatique sur la biodiversité des Alpes

Dans les Alpes, la biodiversité est certainement la plus scrutée au monde. Montée progressive des espèces, végétation précoce … le massif constitue un véritable laboratoire à ciel ouvert des effets des changements climatiques.

Des lièvres, des marmottes, des perdrix… plus de 30 000 espèces peuplent les Alpes depuis des milliers d’années. Très sensibles au réchauffement climatique, changement de régime des neiges, raréfaction de certaines ressources, intensifiées par les activités humaines, elles sont plus vulnérables que jamais.  

Geoffrey Garcel est garde de la réserve naturelle des Contamines (Haute-Savoie). Sans s’alarmer sur ces modifications de la biodiversité dans les Alpes, il s’interroge sur son avenir.

"Une désynchronisation de leur pelage"

Le garde en poste depuis une vingtaine d’années constate un premier changement : "Il y a une montée progressive des espèces". Avec le réchauffement climatique, certaines espèces à la recherche de neige, de plus en plus tardive et réduite sur les sommets, n’ont pas d’autres choix que de déplacer leur espace de vie. "Les espèces inféodées au milieu froid et très alpin ont tendance à diminuer, quand celles qui étaient plus basses ont tendance à monter", ajoute-t-il.

Très présente dans le massif du Mont-Blanc, la perdrix des neiges fait partie de ces animaux qui ont dû s’adapter. Pourquoi ? Pour la simple et bonne raison que son plumage mue en fonction de la saison. L’hiver, cet oiseau devient tout blanc. Au milieu d’un espace sans neige, l’animal est donc facilement réparable pour les prédateurs. De plus, la neige a des vertus isolantes pour la perdrix.

"Il y a 20 ans, quand j’allais les voir dans la neige, j'avais plus de difficultés à les trouver. Aujourd’hui, il y a désynchronisation de leur pelage. Ces oiseaux vont arriver à être tout blanc début novembre, puisque c’est un processus psychologique immuable, sauf qu’à cette période-là, dans les altitudes, il n’y a pas forcément de neige."

Geoffrey Garcel

Garde de la réserve naturelle des Contamines (Haute-Savoie)

Le lièvre variable subit les mêmes aléas.

La végétation précoce bouleverse les cycles de reproduction

Pour d’autres espèces, comme le bouquetin, ces changements climatiques perturbent le cycle de reproduction. "Petit à petit, le cycle de végétation se décale. Il y a des études qui montrent que la végétation, si on prend par rapport à il y a 20 ans, démarre 2 ou 3 semaines plus tôt selon des endroits. Or, le rythme de vie des animaux ne bouge pas forcément", souligne Geoffrey Garcel.

Les femelles sont en chaleur début décembre, pour un accouchement prévu autour du mois de juin. Durant cette période, ces mammifères herbivores doivent se nourrir correctement afin de produire du bon lait pour leur enfant lors de l’allaitement. Il y a donc un décalage.

"Ça peut avoir une incidence sur le taux de survie des jeunes", explique le garde de la réserve. "Par exemple, sur les premières semaines de vie, il y a eu une étude réalisée dans le Grand Paradis [ndlr : massif italien] qui montre une baisse de la production de jeunes ou de la survie des jeunes lorsqu’ils naissent en décalé par rapport à la période de disponibilité de la meilleure herbe".

La raréfaction de la neige, qui réduit l’espace de vie de certains animaux, tout comme la modification des habitudes alimentaires, durcissent la concurrence entre espèces. D’autant plus qu’aujourd’hui, la perdrix, le lièvre ou le bouquetin entre également en conflit avec l’être humain.

Résister au froid… et aux activités humaines

Il est indéniable que le nombre de skieurs, randonneurs, a augmenté. En période, les délais de présence en montagne se sont également vraiment accrus, avec des pratiques plus diversifiées. Résultat, les stratégies de survie de certaines espèces pendant l’hiver se trouvent bouleversées par la présence humaine. Car si certains migrent, d’autres hibernent, les restants, eux, doivent résister.

"Pendant l’hiver, la vie devient survie, puisqu’il y a moins de ressources alimentaires, puisque chaque déplacement est coûteux en énergie. Cette économie d’énergie leur permet de passer l’hiver et après d’accéder aux saisons de reproduction", souligne Geoffrey Garcel.

"En montagne, l'hiver, c'est la période clé et la plus sensible pour la faune sauvage. C'est vraiment là où il y a de plus en plus d'enjeux", ajoute le passionné de photographie animalière, qui passe son temps à scruter les mouvements de ces bêtes.

Le Tétras Lyre, espèce classée "vulnérable", est un très bon exemple à ses yeux. Dès les premières chutes de neige, l’oiseau tente de construire un igloo afin d’éviter les prédateurs et de profiter du pouvoir isolant de la neige. Il limite ses déplacements au matin, pour aller se chercher à manger. Or, c’est sur ces mêmes zones que les touristes skient, font des raquettes et autres sports de neige.

"Il y a plus de sorties d’igloos ou de déplacements de l’animal dû à la présence humaine. S’il fait plus de déplacements, il crame plus d’énergie et résiste plus difficilement au froid. Et s’il y a moins de neige parce qu’elle est piétinée, il ne fait pas d’igloos. Résultat, il se trouve dans un arbre. Et il est plus à la merci de l'effet du vent, du refroidissement, des prédateurs, donc tout ça conjugué, ça fragilise un peu les choses."

Geoffray Garcel

Garde de la réserve naturelle des Contamines (Haute-Savoie)

"On n’est pas que dans un espace récréatif"

Dans la réserve des Contamines, Fredi Meignan a mis en place une zone de quiétude dédiée au Tétras Lyre, autrement dit, un espace que les visiteurs n’ont pas le droit de pénétrer. "Il y a une présence reconnue et suivie des oiseaux en hiver et, dans le même temps, une activité ski de randonnée, raquettes", explique l’homme des Alpes.

"L’idée est de matérialiser le pourtour de cette zone avec des fanions, avec des panneaux explicatifs pour inviter les gens à ne pas y aller". Matérialiser les différents secteurs, espace protégé, domaine skiable, zone d’hivernage… c’est pour lui une première solution. Des animateurs sur le terrain font également un travail de sensibilisation à ces enjeux.

"Il faut essayer de faire comprendre aux gens qu’on n’est pas que dans un espace récréatif. On fait une activité sportive, de découverte, mais on n’est pas dans un stade. On est en avant tout dans un milieu de vie", conclut le garde de la réserve, qui a vu sa profession évoluer en même temps que la biodiversité qui l’entoure.

Retrouvez Fredi Meignan dans l'émission spéciale à l'occasion des 25 ans de "Chroniques d'en haut", samedi 30 septembre sur France 3 Auvergne-Rhône-Alpes, puis en replay sur france.tv

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