Coronavirus COVID-19 : j'ai été placée en quarantaine (et c'est loin d'être des vacances)

Depuis début mars, deux journalistes de France 3 Alpes sont en quatorzaine à domicile. Fin février, l'équipe s'était rendue à La Balme-de-Sillingy, en Haute-Savoie pour interviewer le maire de la commune, qui a, depuis, été déclaré positif au coronavirus. Cécile Mathy raconte son quotidien.

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Dimanche matin, 10h. Je rallume mon téléphone et j’apprends la nouvelle : je suis placée en quatorzaine. Le verdict est tombé la veille, le maire de la Balme de Sillingy que j’ai interviewé trois jours plus tôt, sans protections de sa part ou de la nôtre, est positif au coronavirus.

Là on se dit : "chouette, des vacances !"
Non. Pas du tout. On ne se dit rien parce qu’on ne sait pas ce que ça veut dire. La tête encore marquée par l’oreiller, on se demande si on est en train de rêver. 
 


C'est quoi les symptômes ?


C’est pas la panique mais on n’est pas fier quand même, on se sent fiévreux, un truc bizarre commence à poindre au fond de la gorge. Le coronavirus ? Déjà !? C’est à peu près ça les symptômes, non ?

Ah ouf ! C’est pas de la toux, juste un rire nerveux qui tente de se frayer un chemin.

Il faut organiser la semaine, faire garder les (beaux-)enfants qu’on devait récupérer demain, appeler la famille...
 

Des airs d'Armaguédon


Tout le monde nous imagine déjà vêtus d’une combinaison blanche, d’un masque de chantier et de gants, en prison dans notre salon. Les trombes d’eau et le brouillard qui s’abattent sur notre petit village de Chartreuse n’arrangent rien : on se croirait dans une mauvaise série sur la fin du monde. 

L'effondrement, c’est maintenant ? Et ça commence par moi ? 
 


Je mets un masque ou pas ?


On se soigne à coup de sens pratique : on va appeler le 15.
Mauvais choix. Pas de symptômes, il faut plutôt appeler le numéro vert dédié : 0800 130 000.

On nous recommande de surveiller notre état de santé, de limiter les contacts et les interactions sociales, de se faire livrer pour les courses. "Et si vous devez absolument sortir, mettez un masque et des gants".  

Ça va être rassurant, d’aller acheter son pain comme ça... Déjà que le mec du Drive nous a regardés en biais. On lui a dit qu'on avait une angine, pour justifier le masque sur le nez, histoire de lui éviter un sprint pour rentrer dans le magasin. La panique et la peur sont contagieuses.

Mais je me dis que les habitants et les commerçants de la Balme de Sillingy sont plus à plaindre que nous. Eux se sentent vraiment "pestiférés".
 


"J'peux pas, j'ai le corona"


Il y a quand même une bonne nouvelle : on n’aura plus besoin de faire la bise à n’importe qui. Finis les bisous contrits. 
Mesdames, c’est l’occasion inespérée de rembarrer tous les mecs un peu relous. "Tu veux boire un verre ce soir ? J’peux pas, j’ai le corona". 
 

Frontal ou rectal : il faut choisir


Puis vient le dileme : thermomètre frontal ou rectal ?

L’un me semble plus fiable que l’autre mais bon...on est censé prendre sa température deux fois par jour pendant 14 jours. Ce n’est pas un choix à faire à la légère. Finalement, j’opte rapidement pour la méthode frontale. 
 


Prendre l'air pour respirer un peu


Mon compagnon est lui aussi confiné. Son entreprise ne veut pas prendre de risques. Il fera du télé-travail. "Chouette", se dit-on encore : "deux semaines en amoureux !"

Même si on s'aime, hein, deux semaines sans voir personne, est-ce que ça ne va pas être un peu long ? 

Au bout de sept jours, on ne s'est toujours pas tapé dessus. On a la chance d'avoir une maison, de vivre à la campagne, on peut quand même sortir prendre l'air, ça aide. Je repense à tous ces touristes coincés au Japon dans leur cabine lors de la quarantaine de leur paquebot de croisière : je ne sais pas si le plus dur c'est de survivre au corona ou à l'enfermement. 

Nous, on sort faire du vélo ou courir dès qu'il y a une éclaircie. Casque, bandeau, tour de cou, lunettes : on ressemble à des ninjas. Pas pour lutter contre le corona mais contre le froid, faudrait quand même pas tomber malade !
 


80 km à vélo dans mon salon


Les jours de pluie, je roule sur des routes imaginaires aux côtés des pros d'Ag2R.

Non, je ne rêve pas, je fais du home trainer : un vélo d'intérieur relié à une application en ligne. Depuis mon salon, je roule avec des gens du monde entier. J'avais jamais réussi à atteindre mon objectif de faire 80 km par semaine, cette fois c'est bon.
 
On se sent moins seul. Peut-être même que je pourrais me faire doubler par des pros coincés aux Emirats Arabes Unis, ou des membres de l'équipe savoyarde menée par Romain Bardet, vu qu'Ag2R La Mondiale a déclaré forfait pour les courses italiennes à cause du coronavirus. 
 

 


Desperate housewife


Je me suis dit aussi que c'était l'occasion de faire le grand ménage à la maison... Mais, en fait, non. J'ai jamais été la parfaite fée du logis, c'est pas le confinement qui va me faire changer. La fièvre hygiéniste ne m'aura pas. Même si je commence à avoir les mains desséchées à force de les laver et d'utiliser du gel hydro-alcoolique. Je vais bien, mais je ne peux pas m'empêcher d'être quand même un peu parano...

Je préfère me plonger dans un livre plutôt que dans le ménage.
 

Les mots pour soigner les maux


Je reprends ma voix de journaliste un instant pour vous recommander deux livres écrits par des Iséroises : l'une est une biathlète de renom titrée aux jeux Olympiques et en coupe du monde et qui vient de prendre sa retraite, l'autre une anthropologue spécialiste des peuples du grand Nord qui a survécu à un combat avec un ours. 
  • "Tu marches, il marche, vous marchez...moi je cours" de Marie Dorin-Habert chez Salamandre
  • "Croire aux fauves" de Nastassja Martin aux éditions Verticales

Deux livres littérairement très différents mais qui magnifient chacun à leur manière les grands espaces, la forêt et la nature.

Je croirais presque avoir retrouvé ma liberté.
 


En manque de bisous


Le plus dur dans cette expérience, c'est surtout de ne pas voir ses proches et sa famille.

Les protège-t-on par excès de précaution ?

Difficile d'expliquer à des enfants qu'on est en bonne santé mais qu'on ne peut pas les approcher, qu'ils ne sont pas en danger et qu'on ne va pas mourir. On voudrait les prendre dans nos bras pour les rassurer. 

Heureusement, on a des (beaux-)parents et des (beaux-)enfants en or, qui nous envoient fleurs ou dessins pour nous réchauffer le coeur.

C'est la mignnonerie de ce récit (j'ai pas de chat, fallait bien que je trouve autre chose...).
 


Et le travail, dans tout ça ?


Pas de travail de terrain pour moi pendant quatorze jours. Je suis une journaliste sans personne à interviewer. Les premières heures, j'étais scotchée à mon téléphone, aux notifications et aux articles parlant du coronavirus.

Et puis, j'ai compris que l'actu, pour une fois, je ne la décris pas, je la vis.

Mais on ne se refait pas, je ne pouvais pas rester inactive. Après avoir potassé pour les municipales, je me suis dit que j'avais le temps de contaminer les fils d'actu de mes "amis" sur les réseaux sociaux, à coups de blagues à deux balles, de ce genre-là : "le corona ne nous aura pas, la Corona peut-être !"

Je suis sûre que certains m'ont mise en quarantaine de Facebook.

Promis, bientôt, je vais retrouver une vie normale. 

 
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