"C'est la montagne qui décide" : venus de Colombie, les Kogis transmettent leurs connaissances ancestrales de la nature

Des représentants des Kogis, un peuple indigène de Colombie, sont en France pendant trois semaines pour échanger et transmettre leur savoir ancestral sur la préservation de l'environnement, classé au patrimoine immatériel de l'Unesco. Ils étaient à Grenoble en ce début de semaine où ils ont dialogué avec des scientifiques, des élus, mais aussi des lycéens.

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Ils viennent de la Cordillère des Andes, d'un massif montagneux situé en Colombie où leur peuple vit à près de 5 800 mètres d'altitude. La Sierra Nevada de Santa Marta est leur "Mère Terre", leur pays et leur sanctuaire. 

Pourchassés par les Conquistadors, les Kogis se sont réfugiés dans les hautes vallées reculées de la Colombie, au bord de la mer des Caraïbes, il y a près de 500 ans, pour survivre et sauvegarder leur savoir environnemental ancestral. Leurs connaissances sont si précieuses qu'elles ont été inscrites au patrimoine culturel immatériel de l'Humanité par l'Unesco en 2022.

Depuis le 25 septembre, cinq représentants de ce peuple d'Amérindiens sillonnent la région Auvergne-Rhône-Alpes pour apporter leur diagnostic, en vertu d'une coopération scientifique née en 2009 avec la France. Après Lyon, ils se sont rendus à Grenoble pour dialoguer notamment avec des élus et des lycéens.

Ecouter ce que la montagne a à dire

"L’objectif de mon voyage, c’est de rencontrer la nouvelle génération, échanger avec eux, car ce sont eux le futur", explique ainsi Arregoces Conchacala Zaeabata, le gouverneur des Kogis.

Pour eux, la montagne n'est pas qu'un territoire, elle est un "corps" vivant, avec lequel il convient de rester en relation. "Ce ne sont pas les hommes qui font les lois et les règles, c’est la montagne qui décide de ce qu’il faut faire", poursuit-il devant un auditoire d'élèves réunis au sein du lycée Mounier. 

Frappé par le paysage grandiose qui entoure la capitale des Alpes, Arregoces Conchacala Zaeabata invite ses habitants à se reconnecter à l'histoire locale et universelle de la montagne.

"C'est une histoire ancienne, mais il faut en faire une histoire permanente. Même si nos langues ou nos coutumes sont différentes, la montagne et tout ce paysage, c'est la même lutte, unique", dit-il. Les élèves semblent entendre le discours de ces hommes venus de l'autre bout du monde.

Réinitier les enfants à l'école de la nature

"Je trouve que c'est très inspirant le fait qu'ils soient en communion avec ce qu'ils appellent 'les sites sacrés', c'est-à-dire les sources, les fleuves, les montagnes et la nature en général", réagit Laurelei Odin, élève de seconde.

"Il faut être conscient qu'on vit sur la même planète. Du coup, c'est très bien de tous la protéger. En plus, ils ne demandent pas la lune", estime Yolaine Sodatonou, élève en première au lycée Mounier.

Depuis plusieurs années, les Kogis viennent partager leurs savoirs dans notre région. Des rencontres facilitées par l'association "Tchendukua Ici et ailleurs" dont Eric Julien est le co-fondateur.

"Les Kogis et d'autres peuples autochtones n'ont jamais perdu ce lien intime avec la nature. Ils ne viennent pas nous faire la leçon ou la morale, ils viennent nous dire : 'réveillez la nature chez vous' et la nature chez nous, il n'y a pas à tortiller, c'est une pratique", indique Eric Julien.

"Il faut aller dans la montagne, il faut aller près des rivières, il faut aller dans les forêts. Donc leur message essentiel, c'est : 'sortez les élèves des quatre murs de vos écoles'. Ce n'est pas que c'est mal, mais donnez leur des moments où ils vont retrouver la respiration dans la montagne", ajoute-t-il. 

"Il faut les sensibiliser à la nature, non pas comme une nature dégradée, abîmée, artificialisée. Il faut les remettre en phase avec les rivières, les glaciers pour ce qu'il en reste, la forêt, les montagnes, pour rééquilibrer un peu. Ce n'est pas contre la science et contre la modernité, c'est comment remettre un peu de nature dans notre monde artificiel pour trouver un autre chemin, et cela peut donner un peu de perspectives aux jeunes, un peu d'espoir", poursuit Eric Julien.

Les représentants des Kogis ont été reçus à l'Hôtel de Ville de Grenoble, où ils ont exposé leur philosophie de la nature lors d'une conférence ce lundi 9 octobre. "Nous sommes ici pour discuter et échanger nos connaissances, insiste le gouverneur des Kogis, faire de la pédagogie avec la jeunesse et respecter les deux savoirs." Les deux savoirs en question : le leur et le savoir scientifique occidental.

Faire dialoguer le savoir scientifique avec leur savoir ancestral

À leurs côtés, Cédric Villani, lauréat de la médaille Fields en 2010, salue leur courage. Le mathématicien a passé deux semaines en Colombie avec d'autres scientifiques à leur contact, dans leur territoire, "pour de grandes conversations, certaines savantes, d'autres très pratiques", raconte-t-il.

"C'est un peuple qui se bat contre des menaces environnementales à un niveau supérieur par rapport à ce que nous pouvons vivre ici. Là-bas, ils risquent l'assassinat, l'empoisonnement, l'écrasement culturel. Ils sont confrontés au racisme, à des projets miniers phénoménaux. Voir le courage de ce peuple qui se bat pour préserver sa culture, son mode de vie, c'est très inspirant et cela me convainc que l'on a un devoir de les aider dans leur lutte", ajoute l'ancien député LREM qui a rejoint le mouvement Écologie Démocratie Solidarité.

"Pour sortir des problèmes auxquels nous faisons face, il ne faudra pas seulement de la technique et de la science, il faudra aussi un travail spirituel, un changement de regard et d'état d'esprit par rapport au monde dans lequel nous vivons", complète le scientifique.

"On engage enfin un dialogue sur deux visions du monde qui se sont entretuées depuis cinq siècles et qui pourraient peut-être se réconcilier", décrypte encore le co-fondateur de l'association "Tchendukua Ici et ailleurs".

Eric Julien accompagne les Kogis dans leur combat pour la préservation de leur identité et de leur environnement depuis des décennies. Cet ancien élève de Sciences Po Grenoble est parti dans la Sierra Nevada de Santa Marta il y a 40 ans pour découvrir le plus haut massif montagneux côtier. 

200 000 hectares de terres rachetées en Colombie

"J'ai fait un œdème pulmonaire à 5 000 mètres, j'avais de l'eau dans les poumons et les habitants de cette montagne, les Kogis et les Arhuacos, m'ont ramassé. Ils m'ont sauvé la vie et je leur avais demandé ce que je pouvais faire pour les remercier. Ils m'ont dit : 'on a nos territoires qui se ratatinent avec les narco-trafiquants, les touristes, les routes, les mines, etc. Est-ce que tu pourrais nous aider à retrouver nos terres ancestrales ?' À l'époque, je crois que j'étais très jeune et très naïf et j'ai dit oui", raconte Eric Julien.

"Donc, depuis 40 ans, on chemine ensemble pour acheter des terres, pour leur rendre leurs terres, pour qu'ils régénèrent la forêt. On a racheté 200 000 hectares de terres", dit-il.

Malgré ce passé douloureux et les oppositions tenaces auxquelles ils doivent toujours faire face, les Kogis ont choisi le dialogue avec "les hommes blancs", plutôt que l'affrontement. Ils ont laissé de côté la haine et l'esprit de revanche pour voir plus loin et préserver leur "Mère Terre". 

"L'altérité pour eux est une richesse. Pour nous, ce sont des conflits. Ils essayent de nous inviter à la réconciliation et je trouve qu'en ce moment, cela a du sens", conclut Eric Julien.

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