REPORTAGE. Après l'accident qui a failli coûter la vie à un jeune de 18 ans sur la via ferrata de la Bastille à Grenoble, les guides et accompagnateurs en montagne insistent : "elle a beau être la seule via ferrata urbaine de France, elle exige de se comporter comme en alpinisme, avec rigueur".
"C'est pour nous un petit miracle" nous avait confié la CRS Alpes après le secours qu'elle venait d'effectuer à la Bastille, vers 16 heures dans la via ferrata de Grenoble. Ils craignaient en effet le pire, d'autant que le jeune homme de 18 ans, ils le savaient, ne portait pas de casque.
Ils étaient trois amis engagés dans le parcours ce 25 août, et c'est dans le deuxième tronçon que l'un d'entre d'eux a basculé dans le vide et fait une chute de plus de 20 mètres en contrebas. Polytraumatisé, souffrant de fractures aux pieds, et de plaies sérieuses à la tête, il a pu être sauvé et évacué au CHU de Grenoble.
A l'origine de l'accident, une erreur technique : le jeune homme s'était imprudemment "délongé" trop tôt, dans les tous derniers pas. Une erreur humaine ou un défaut de matériel, c'est le cas de la plupart des accidents qui se sont produits ces dernières années aux "Prises de la Bastille", des accidents plutôt rares par rapport à bien d'autres activités de montagne".
Cette via ferrata, les Secours en montagne la connaissent "sur le bout des doigts", la CRS Alpes et le PGHM de Grenoble viennent très régulièrement s'y entraîner, pour entretenir leur condition physique, parce qu"elle est tout à proximité, rapide et facile d'accès, et que c'est un très bon exercice de cardio". Des trailers ou des sportifs de haut niveau la pratiquent également, certains même la parcourent plusieurs fois de suite dans la même journée, "afin d'y travailler leur endurance".
Une via ferrata dangereuse ?
La via est très facilement accessible en effet, à quelques pas de la gare de Grenoble, son départ se situe dans le jardin des Dauphins, à cinq minutes du parking de l'Esplanade de France, et en sous-bassement, un espace permet d'initier les plus petits aux rudiments de la discipline. Le parcours est autorisé à partir de 10 ans, en fonction de la taille. Il n'empêche, ce n'est pas une voie aisée, facile, et à prendre à la légère, parce qu'elle se trouve en plein centre-ville.Son itinéraire est certes, "modulable", comportant des tronçons qui peuvent convenir à des niveaux différents. Les débutants peuvent par exemple ne faire que la première partie, et les autres poursuivre jusqu'au Fort.
Mais est-elle dangereuse? A la Maison de la Montagne, Laurent Chaffiotte, responsable de la gestion de la via pour la Ville, répond sur un ton vif : "en aucun cas, nulle part, la via n'est présentée comme un itinéraire ludique, ou facile, ou alors passez votre chemin et cherchez ailleurs. Sur notre site, sur tous les sites un peu sérieux, ou les sites spécialisés de grimpeurs, "les Prises de la Bastille" sont très clairement identifiées, répertoriées, avec les cotations officielles de la Fédération Française de la montagne et de l'escalade".
Quel est le profil du terrain sur lequel on s'aventure ici ? Selon les topos, l’itinéraire de la via ferrata est classé dans sa première partie de AD+ (assez difficile) à D (difficile), "assez raide avec un pont de singe impressionnant". La deuxième partie dans les falaises de la Bastille commence par un pas surplombant athlétique, la suite reste très soutenue et nécessite une bonne forme physique, classée "Assez difficile + à difficile". La fin, facile, est un court tracé ferré de cinq minutes qui débouche sous le parapet d’une ancienne casemate, à quelques mètres du sommet de la Bastille.
C'est pourtant précisément dans ces tous derniers mètres que le jeune homme de 18 ans, le 25 août a détaché sa longe trop tôt, et a basculé dans le vide.
"Même en centre-ville, nous entrons dans le monde de la montagne et de la verticalité"
"Même les plus aguerris, même nous les professionnels, nous ne sommes jamais à l'abri d'un faux pas, on peut avoir l'esprit ailleurs et commettre une erreur de base", explique Ludovic Erard, président du Bureau des guides accompagnateurs de Grenoble, par ailleurs guide de haute montagne. "On a beau être en milieu urbain, il ne faut jamais oublier que nous entrons dans le monde de la montagne et surtout de la verticalité, une via ferrata exige la même rigueur qu'en alpinisme et fait appel aux mêmes principes fondamentaux ".
"L'équipement est important cela va de soi, on ne va pas en tongue sur un glacier, le terrain de calcaire est poli par le temps et glissant. Il faut prendre des nouvelles de la météo, même si près de la ville, l'orage peut arriver vite et claquer fort, soudainement, et il est déconseillé de partir seul, surtout si l'on est pas expérimenté, et vérifier son matériel avant de partir, casque, baudrier", poursuit Ludovic Erard.
"Nous, nous encordons nos clients"
La Maison de la Montagne a renouvelé la semaine dernière les panneaux au départ de la voie, avec toutes les informations nécessaires à connaître avant de se lancer, "mais c'est vrai qu'on voit certains pratiquants, néophytes pourtant, les ignorer totalement, ne pas même y jeter un oeil", s'agace Ludovic Erard.
"Le terrain peut toujours réserver des surprises, c'est la raison pour laquelle nous, les guides, nous encordons nos groupes, comme en altitude. Si l'un chute, le reste de la cordée le retient, il peut se faire très mal, mais l'accident ne sera pas mortel, on limite forcément la casse", explique le guide.
Ludovic tient aussi à insister sur un point essentiel à ses yeux, le choix des longes et des cordes : "insistez bien sur le fait qu'il faut choisir la bonne fourchette longe/poids. Les longes avec absorbeur mal adaptées à la corpulence du pratiquant ne le retiendront pas, il est aussi important d'avoir une corde assez longue".
Entre escalade et randonnée, l'activité est en plein essor, et un phénomène nouveau est apparu récemment : "ils sont de plus en plus nombreux à vouloir mieux se former. Le bureau des guides de Grenoble a multiplié cet été les offres de formation à l'usage des cordes, qui ont du succès, "et c'est bon signe" constate Ludovic "car comme en alpinisme, la corde est un gage de sécurité dans les parties verticales, la longe restant indispensable dans les traversées mais le leader de l'équipe doit connaître les techniques d’encordement et d’évacuation en cas de problème".
Des pratiquants de niveau variable
Sur le site ce mercredi 2 septembre, les grimpeurs croisés au départ sont bien équipés, pour la plupart sans corde -qui n'est pas obligatoire-, mais avec des longes adaptées, comme Marc et Justine, qui n'ont encore jamais fait cette voie. Ils ont étudié l'itinéraire, examiné les circuits d'échappatoire, même pensé à la crème solaire, et vont l'attaquer "en prenant leur temps".
Lui pratique par ailleurs l'alpinisme, Justine fait de l'escalade. La différence ? "En escalade on prend le temps de choisir et d'analyser chaque prise, ici, on doit suivre les échelles et la longe, c'est différent".
Dans les premiers mètres, elle a d'abord été surprise par la roche glissante : "ça patine beaucoup, c'est vrai !". Marc juste devant, la guide "c'est avec le poids du corps qu'il faut agir et ta position, pour obtenir l'adhérence" lui lance-t-il.
La jeune femme "prend le coup" et s'y fait. Vingt minutes plus tard, ils sont déjà en haut, et sont en train de passer... de l'autre côté. Ils devraient mettre selon leur estimation un peu plus de trois heures pour arriver au Fort de la Bastille.
En bas, Philippe et Gwendoline s'apprêtent à s'élancer. Ils ont entendu qu'il y avait eu un accident récemment : "ah c'est vrai que se délonger, ça ne pardonne pas, il faut rester concentré sur ce que l'on fait". Lui la connaît bien cette voie. Il l'a déjà parcourue une dizaine de fois. Initié à la discipline par son cousin, il s'est déjà attaqué à des via bien plus difficiles, "les plus dures sont dans l'Ain" mais aujourd'hui promis, il va aller doucement.
C'est la première fois que Gwendoline se lance, elle qui a" fait un peu d'escalade mais il y a très longtemps".
Philippe lui donne des recommandations, et lui montre les ruses de placement des pieds et de déport du corps, pour ne pas glisser. Il préfère la laisser partir devant, "pour mieux la voir et la guider au fur et à mesure". Mais à quelques mètres du sol, elle a un moment de panique : "j'ai peur, je ne vais pas y arriver, je me sens bloquée, j'ai la trouille".
Philippe insiste un peu et l'encourage de la voix "mais non, tu peux y arriver, tu vas voir, après cette paroi ça va tout seul". Pas vraiment convaincue, Gwendoline renonce dans un premier temps et redescend... avant de retenter l'aventure, cette fois sans souci, et avec agilité. "C'est ça qui est super dans ce sport, c'est le mental, il suffit de le travailler, de le maîtriser, et on gagne, même si quand on le sent pas du tout il est plus sage de renoncer", sourit Philippe qui s'élance à son tour.
La seule via urbaine de France et l'une des plus fréquentées
Créée en 1999 à Grenoble, c'est alors la première via urbaine de France et c'est aussi l'une des plus fréquentées. "75000 par an, en moyenne 150 par jour, moins cette année, parce que c'est une année un peu... particulière, en raison de l'épidémie du Covid-19 "précise Laurent Chaffiotte.
Elle est contrôlée une fois par trimestre, des pieds à la tête, par une entreprise spécialisée. Tous les agrès, les câbles, les parois, les rampes, les ponts, sont auscultés. "Nous avons aussi des retours permanents, de pratiquants ou d'accompagnateurs, qui nous signalent un 'point qui cloche'", souligne Laurent Chaffiotte.
La signalétique du site a été revue vendredi dernier, plus claire et plus complète. Les touristes cet été étaient nombreux, pas forcément du seul bassin grenoblois. "On a remarqué que les pratiquants venus d'ailleurs viennent tout de même nombreux se renseigner à la maison de la montagne, ils passent consulter les topos, ou ils téléphonent pour s'informer des particularités du parcours, et on leur recommande systématiquement de prendre un guide professionnel s'ils ne la connaissent pas, surtout s'ils ont prévu d'emmener des enfants".
Ouvertes quasiment toute l'année, les "Prises de la Bastille" sont sous haute surveillance. Après l'éboulement de mai 2018 provoqué par un violent orage -un pan entier de plus de 1000m3 de roches avait tout emporté- elle est restée fermée pendant près d'un an, le temps de tout remettre en état. Des travaux à hauteur de 340 000 euros "de consolidation du rocher existant et de remise en configuration des agrès de grimpe emportés".
L'état des falaises où le parcours est ancré est toujours sous surveillance régulière des services de Restauration des Terrains en Montagne, prêts à la fermer aussitôt en cas d'urgence.