"Les aider à livrer ce qu'ils ont à dire" : Hervé Gerbi, avocat d'un couple grenoblois survivant des attentats de Paris

Plus de 300 avocats vont se succéder à la barre au procès des attentats du 13 novembre 2015. Me Gerbi représentera un couple de Grenoblois qui a échappé à la mort à la Belle Equipe. Comment aborde-t-il ce procès historique ? Comment accompagner ses clients, victimes du terrorisme ? Entretien.

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Cela fait un peu plus d'un an que Me Hervé Gerbi est l'avocat de Frédéric et Eliane (les prénoms ont été modifiés), des Grenoblois, survivants des attentats du 13 novembre 2015. Ce jour-là, le couple était à Paris pour rendre visite à une amie. Avec elle, ils ont dîné à la Belle Equipe. Leur amie a été tuée par une rafale. Elle est décédée dans leurs bras. Eux aussi ont essuyé des tirs de kalachnikov mais ont échappé à la mort, de justesse. 

Deux jours plus tard, ils étaient de retour dans les Alpes et reprenaient leur quotidien... deux jours après avoir dû annoncer aux enfants de leur amie son décès. 
 


Les aider à savoir s'ils voulaient témoigner

Frédéric s'est abruti de travail et a enfoui l'horreur. Mais en 2020, la faille était trop immense pour réussir à continuer de l'ignorer. C'est à ce moment de détresse psychologique, que le couple a rencontré Me Hervé Gerbi pour les accompagner dans leur combat judiciaire. "Ils avaient fermé toutes les écoutilles parce que c'était trop difficile. Ils ont tenu longtemps par le travail, ce qui a permis à Frédéric de maintenir plus ou moins la tête hors de l'eau. Mais lorsque je les rencontre, c'est le moment le plus compliqué pour cette personne".

Leur première entrevue intervient aussi dans une temporalité judiciaire et médiatique de préparation du procès et de son organisation matérielle. "A ce moment-là, je ne sais pas s'ils vont vouloir participer à ce procès, vouloir témoigner... Mais il faut qu'ils puissent prendre une décision réfléchie, pour ne pas passer à côté". 

Commence alors un long travail d'accompagnement psychologique et de pédagogie autour de ce grand rendez-vous pour aider le couple à se positionner. "Nous avons travaillé avec des psychiatres, sur cet objectif-là. Et moi j'étais plus dans un rôle de décryptage et d'accompagnement, leur expliquer s'ils voulaient témoigner, ce qu'il allait se passer, ce qu'est une instruction pénale et comment se déroule un procès de cour d'assises".

Finalement, Frédéric et Eliane ont décidé de témoigner au procès. Dans un premier temps, l'option a été évoquée de déposer par le biais d'un enregistrement vidéo. Mais par respect des règles du débat contradictoire, le témoignage vidéo n'est pas autorisé.
 


"Faire les pas du banc à la barre va leur sembler une éternité"

Ils se rendront donc à l'audience le 1er octobre pour livrer leur histoire, raconter ces 28 secondes de rafales d'armes automatiques qui les ont fait basculer dans une autre réalité. "La salle est très longue et les pas du banc jusqu'à la barre où ils vont témoigner, ce sont des pas qui vont leur sembler une éternité et tout cela sous le regard des uns et des autres, y compris des terroristes. Il faut les préparer à l'ambiance et à la pression qu'ils vont ressentir".

Alors, comme pour chaque décision, pour chaque moment, pour chaque épreuve de ce dossier, Me Gerbi délivre progressivement des informations, et confronte ses clients petit à petit à ce qu'ils vont devoir affronter. "On va se voir de nombreuses fois d'ici au 1er octobre. Et il y a une évolution psychologique de la victime qu'il faut prendre en compte. Entre le moment où elle rentre dans votre cabinet et le jour où elle va aller déposer dans la salle d'audience, ce n'est plus du tout le même état d'esprit. Donc il faut y aller en douceur et par étapes". 
 


Bâtir un témoignage efficace et satisfaisant

L'avocat grenoblois envisage de leur faire écouter des témoignages d'autres parties civiles pour qu'Eliane et Frédéric comprennent comment les choses se présentent, qu'ils sachent à quoi s'attendre de la part des différents avocats et du président de la cour d'assises, comment affronter les regards, aussi. "Le procès n'est pas là pour donner un sens à ce qui est arrivé, car c'est proprement insensé. C'est une inscription dans la réalité, une manière de ré-ancrer la réalité et c'est ce qui est difficile à affronter", continue Me Hervé Gerbi. 

Leur déposition devant la justice ne devrait pas durer plus de 20 à 30 minutes, d'où l'importance de préparer leur récit pour rentrer chez eux, sereins, avec la conviction d'avoir tout dit, tout ce qui importe vraiment pour eux.

"Il faut être concis, aborder les faits eux-mêmes, leur propre contexte personnel, ce qu'ils ont vécu au moment de la fusillade et puis ce qu'il s'est passé ensuite. Pour des personnes qui ont énormément de choses à dire sur le sujet, il faut voir ce qu'il y a de plus essentiel, pour eux. Il faut les aider à bâtir leur témoignage pour que ce soit un témoignage efficace pour la justice mais aussi le témoignage qu'ils ont vraiment envie de livrer".
 


Deux jours de travail par semaine depuis six mois pour le cabinet

Pour préparer ses clients, Hervé Gerbi et ses collaborateurs ont du éplucher le dossier, compulser des milliers de pages d'une instruction regroupant plus de 47 000 procès-verbaux et 542 tomes. "Nous avons réalisé des synthèses sur le commando des terrasses, sur les moyens matériels mis en oeuvre pour intervenir à la Belle Equipe. Cela fait six mois que nous travaillons sur le dossier deux jours par semaine pour essayer de comprendre ce dossier"

Des journées passées à regarder des "images glaçantes de ces commandos, dans les rues au moment où ils se font exploser. Des images glaçantes de la froideur qu'ils dégagent, qui contraste avec l'insouciance et la joie des personnes en terrasses".

A cela, se sont ajoutées des réunions régulières, en visio, avec le parquet antiterroriste, le président de la cour d'assises et les autres avocats sur l'organisation de ce procès historique.
 

Une webradio pour suivre les audiences à distance

Un système de partage de documents en ligne a été mis en place pour faciliter l'accès aux pièces du dossier et durant les audiences, les avocats peuvent écouter les débats à distance grâce à une webradio. "Pour un procès comme celui-ci, il faut imaginer qu'il n'y a pas de cabinet en province qui soit capable d'être sur Paris tous les jours et d'assister aux audiences tous les jours", confie Me Gerbi. 

L'avocat grenoblois se rendra au palais de justice de Paris quelques jours avant le témoignage de ses clients le 1er octobre, pour prendre le pouls de la salle. Ensuite, il y retournera très ponctuellement pour étayer sa plaidoirie.

Celle-ci aura lieu dans huit mois environ, entre le 6 et le 22 avril. "Avec les autres avocats des 1800 parties civiles on va travailler ensemble pour savoir comment construire toutes ces plaidoiries. On ne peut pas se permettre de partir dans tous les sens", indique-t-il.

Un marathon judiciaire qui devrait s'achever le 25 mai, au terme des 140 jours d'audience.

 

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