Les habitants et les propriétaires d'un immeuble du centre-ville d'Echirolles, commune limitrophe de Grenoble, ont lancé une pétition pour que l'Etat leur vienne en aide. Désemparés, ils vivent "la boule au ventre" dans leur résidence, squattée par des dealers. Ils tentent de limiter les dégradations et de sécuriser ce qu'ils peuvent.
C'est une résidence de 89 lots, située à proximité immédiate d'une salle culturelle, de la mairie et du commissariat d'Echirolles, troisième ville de l'Isère. A ses pieds passe le tramway, sur son flanc se trouve l'Institut de la communication et des médias. L'immeuble, construit en 1996, est composé de 81 logements, principalement des studios de 20 mètres carrés et d'une dizaine de commerces au rez-de-chaussée.
Une résidence idéale pour des étudiants. C'est ce que pensaient les petits propriétaires privés qui y ont investi leurs économies. Mais, depuis trois ans, le Carrare est devenu "une plaque tournante du trafic de drogue à Échirolles", s'insurgent-ils dans une pétition lancée en ligne.
Une pétition comme un appel au secours
"Nous vivons un enfer". "L'immeuble entier est réquisitionné par des jeunes dealers qui font régner la loi et la terreur du rez-de-chaussée au dernier étage. (...) Ils détruisent notre bâtiment, squattent nos appartements et nos boîtes aux lettres. Si on dit quelque chose, ils nous brûlent notre logement. Nous n'avons plus les moyens de nous reloger et la plupart des propriétaires n'ont plus les moyens de payer leurs charges. Attention, ils sont extrêmement dangereux et ils possèdent des armes à feu !", écrivent-ils dans cet appel au secours.
Si on dit quelque chose, ils nous brûlent notre logement. (...) Nous ne savons plus quoi faire et nous sommes désespérés.
Les habitants et les propriétaires de la résidenceextrait de la pétition
Des dégradations sans fin
"Les rats ont pris possession des lieux et se nourrissent des déchets présents et autres immondices qui débordent des appartements squattés. Nous ne savons plus quoi faire et nous sommes désespérés. Le 19 janvier 2024, un dealer a tenté de brûler le bâtiment avec un jerrican d'essence en faisant brûler un appartement fracturé. Ce matin (23 janvier 2024) ils nous ont brûlé les boîtes aux lettres, nous ne pouvons plus recevoir notre courrier. Depuis que l'hiver a commencé, les dealers font des feux en utilisant les portes en bois de nos placards électriques au niveau des parties communes", listent-ils, impuissants.
Malgré les arrestations, les dealers sont toujours là
Au mois de novembre, un trafic a été démantelé et un dealer interpellé dans la résidence. Six personnes ont été mises en examen et trois d'entre elles incarcérées à Grenoble, après deux ans d'enquête. De la drogue, de l'argent, des objets de luxe et des voitures ont été saisis à la suite d'une opération d'envergure. Les enquêteurs avaient remonté la piste d'une société de location de véhicules étrangers de grosses cylindrées pour démanteler le trafic de stupéfiants.
Les résidents et leurs bailleurs pensaient voir le bout du tunnel. Sauf que, deux mois plus tard, les dealers sont toujours là. Joint par téléphone, l'un des propriétaires, qui souhaite rester anonyme, exprime son immense "ras-le-bol".
"Concrètement, la situation n'a pas changé pour les propriétaires et les locataires. C'est même encore pire, car après le démantèlement, il y a encore plus d'appartements qui ont été fracturés, et que se sont appropriés des SDF, des trafiquants de drogue ou des squatteurs", raconte-t-il.
Beaucoup de logements vacants, un taux d'occupation de 40%
"Moi, j'ai un locataire. Pour ceux qui ont la chance d'avoir des locataires, on a des turnovers inimaginables... Les locataires ne restent pas plus de deux ou trois mois dans l'appartement à cause de l'insécurité et de beaucoup de choses. Ils ont la peur au ventre tous les soirs quand ils rentrent chez eux", nous confie-t-il.
"Il y a des appartements qu'on ne peut plus louer malheureusement parce que, compte tenu de la situation, il n'y a pas grand monde qui veut habiter là, donc ces logements restent vacants. Les propriétaires, on continue de leur faire payer la taxe foncière plus une taxe sur les logements vacants et ils doivent continuer à payer leurs charges, car ça reste obligatoire même s'il n'y a personne à l'intérieur", explique l'homme qui possède un studio dans la résidence depuis sept ans.
Les locataires ne restent pas plus de deux ou trois mois dans l'appartement à cause de l'insécurité.
Un propriétaire
En raison du trafic de drogue, l'immeuble n'est plus occupé qu'à 40 %.
"La police municipale et la police nationale font leur travail mais le problème, c'est que les personnes qu'ils interpellent ne vont pas en détention provisoire, parce que ce sont des mineurs non accompagnés ou des personnes sous OQTF. Elles sont relâchées et automatiquement retournent sur le point de deal. Tout le monde fait son travail, la police fait son travail, la mairie d'Echirolles fait son travail mais sans emprisonnement de ces personnes, la justice met en place un cercle vicieux de l'impunité et c'est ce qui fait que la situation se dégrade", estime-t-il.
Pas d'éclairage, des dégâts des eaux et des moisissures
La résidence devient un dépotoir et sa réhabilitation n'est pas envisageable en l'état car "quand vous faites intervenir des sociétés, par exemple des experts en assurances, des électriciens, des plombiers, les dealers leur interdisent de rentrer dans la résidence".
"On n'a plus d'éclairage la nuit parce que les électriciens ne veulent pas venir parce que c'est trop dangereux, on a des problèmes de dégâts des eaux parce que les plombiers ne peuvent pas intervenir, on a des problèmes de moisissures parce qu’il n'y a personne qui veut venir réparer la VMC sur le toit", poursuit ce propriétaire en colère.
Quand vous faites intervenir des sociétés, par exemple des experts en assurances, des électriciens, des plombiers, les dealers leur interdisent de rentrer dans la résidence.
Le propriétaire d'un studio de l'immeuble
Ce jeudi matin, les copropriétaires sont intervenus avec "l'aide de la police municipale et de la mairie d'Echirolles" pour "nettoyer, enlever les immondices, désinsectiser et condamner douze logements vacants". Parties communes vandalisées, portes défoncées, cloisons arrachées, déchets en tous genres : les photos prises lors de la matinée sont éloquentes.
"La première étape, c'était de bloquer tous les appartements qui pouvaient servir de base de repli aux dealers", continue ce petit bailleur privé.
Bientôt un vigile
"Maintenant, on va modifier la structure de l'entrée de la résidence, supprimer des éléments qui permettent aux dealers de se cacher et d'anticiper l'arrivée des forces de l'ordre et après, on va mettre en place un vigile, un agent de sécurité, qui, je l'espère, va pouvoir filtrer les entrées dans la résidence", nous rapporte ce propriétaire, combatif.
En attendant, les copropriétaires aimeraient que l'Etat et les collectivités les aident car "on paye tout de notre poche", dit-il.
"Il faudrait arrêter de nous faire payer des taxes alors qu'on n'a pas de locataires", implore-t-il. "Il faudrait aussi nous aider à financer la réhabilitation de la résidence puisque toutes les installations eau, électricité, etc. ont été endommagées et nous aider le temps que la situation s'arrange".