Plus de cinquante ans après les faits, Elysa et Claudette prennent la parole et racontent les violences sexuelles qu'elles ont subies lorsqu'elles étaient enfant. Elles témoignent pour "inciter" les autres victimes à briser l'omerta alors qu'en France, une personne sur dix a enduré des violences sexuelles durant son enfance.
Claudette et Elysa ne veulent plus se taire. Elles veulent briser un silence qui leur a fait tant de mal. Toutes les deux ont vécu des violences sexuelles lorsqu’elles n’étaient que des enfants. Plus de cinquante ans après les faits, elles acceptent de parler "comme une chance d’être enfin entendue", disent-elles.
Nous les avions d'abord rencontrées au mois de septembre, lors d'une conférence de la Ciivise (Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants) qui avait lieu à Grenoble. C’était alors la première fois qu’elles prenaient la parole en public pour raconter ce qu’elles avaient vécu.
"Au début, j’ai eu une grande peur. Une fois que l’on dépasse cette peur, on se dit : 'J'ai réussi à poser quelque chose'. Pas tout, évidemment. Il y a encore tellement de choses à l’intérieur. C’est une étape de se dire : 'Je commence à parler et je commence à être entendue'. Et quand la commission de service vous dit : 'Vous n’êtes pas seule, on vous croit', ça fait du bien. C'est des mots que j’aurais aimé entendre bien avant. Ce sont des mots qui amènent de l’apaisement. Enfin de l’apaisement."
Comme une étape dans leur thérapie, un pas de plus vers la reconstruction, elles acceptent aujourd'hui de témoigner devant nos caméras.
Claudette, sous emprise pendant 40 ans
"Je suis issue d’une famille très modeste. Ma mère ne pouvait pas s’occuper de moi à cause de ses névroses et mon père était très peu présent, commence par raconter Claudette, 63 ans. C’est ma sœur, qui a 10 ans de plus que moi, qui a joué le rôle de maman."
Claudette a 7 ans lorsqu’elle rencontre, pour la première fois, l'homme qui va devenir son bourreau. "Ma sœur en avait 17 et lui 24. Il m’a tout de suite manifesté une certaine attention et immédiatement, je l’ai considéré comme un idéal masculin."
Elle n’a que 12 ans quand le mari de sa sœur commet des premiers attouchements. "Il a mis les mains sous mon pull et il m’a touché les seins. Moi, je l’ai regardé, j’étais stupéfaite. Il m’a dit : 'Ce n’est pas grave, on joue'. Je pense que là, l’emprise commençait à être effective."
Je n’ai rien pu faire, j’étais sidérée et quand il m’a relâchée, il m’a dit en souriant : "tu n’en parleras pas, tu es gentille."
Claudetteà France 3 Alpes
Les années passent et l’emprise se renforce jusqu’au jour où Claudette se fait violer par son beau-frère à l'âge de 15 ans. "Je n’ai rien pu faire, j’étais sidérée et quand il m’a relâchée, il m’a dit en souriant : 'Tu n’en parleras pas, tu es gentille.' Il me rendait complice de ses actes. Ma sœur et mon beau-frère, c’étaient mes repères, mes substituts parentaux. Ma sœur, je l’aimais. Je ne pouvais rien dire. Je ne voulais pas lui faire de mal. C'était l’horreur. Je crois que le cerveau doit disjoncter."
Ce drame a terrassé Claudette. Après plusieurs tentatives de suicide, elle a construit sa vie de femme. Elle est devenue institutrice, s'est mariée à deux reprises et a eu une fille. Mais l’ombre de son agresseur n’était jamais bien loin. Les larmes aux yeux, elle ajoute : "Je me suis mariée, je pensais qu'il allait arrêter, mais il est revenu. Il me suppliait de ne rien dire. J’étais une chose pour lui, un objet."
Elysa, l’enfer à 7 ans
Elysa, elle aussi, a subi un viol durant son enfance. À 7 ans, alors qu’elle rentre de l’école seule, un inconnu se jette sur elle. "J’ai entendu courir derrière moi. Je n’ai pas eu le temps de me retourner, je me suis sentie portée. Je crois que je n’ai pas crié, je n’ai rien fait. Il m’a emmenée sur le bas-côté et là, il m’a violée", lâche-t-elle, des sanglots dans la voix.
Après un long silence, elle reprend : "A un moment donné, j'ai eu l’impression que je revenais de je ne sais où et là, il était en train de m’étrangler. Il a lâché, il a arrêté et il m’a laissée partir."
Quelques jours après ce drame, elle essaye de se confier à sa mère. "C’était un repas de famille. Je sors de table, je vais dans la cuisine et je dis à ma mère que l’autre jour, un monsieur m’a fait mal. Et la réponse de ma mère est : 'Va à ta place, tais-toi et va à ta place'. Et après, je peux vous dire que j’ai totalement oublié ce qui est arrivé. J’ai oublié tant bien que mal."
La difficile construction
Cabossée, abîmée, il a fallu des années à Elysa pour mettre un mot sur ce qui lui est arrivé. "Je ne posais pas le mot viol. Je n’arrivais pas à dire que j’avais été violée. Je disais tout le temps : 'J’ai été agressée quand j’étais petite, on m’a fait du mal'. Mais j’avais tendance à dire que ce n’était rien. J’ai fait beaucoup de dépressions sans savoir pourquoi. On m’a souvent cataloguée en disant que j’étais quelqu’un de fragile. Dans ma famille, j’étais la tarée", confie Elysa, submergée par l’émotion.
Ça fait 50 ans que ça m’est arrivé et je n’ai toujours pas les mots. Je veux trop les chercher, je ne les trouve pas. Quand je veux dire ce que je ressens, ça ne sort pas. C’est compliqué.
Elysaà France 3 Alpes
Vivre entourée de son mari, de ses deux fils et de ses animaux, Elysa en a besoin. "J’ai entamé une thérapie il y a quelques années déjà. Mais mon mari et mes enfants sont très importants pour moi. Je me suis reconstruite en créant un environnement qui est bon pour moi. Ma chienne Ouma en fait partie, mes chats aussi."
Claudette, elle, vit seule dans un petit village de Haute-Savoie. Elle y a trouvé refuge il y a quelques années, loin de celui qui lui a fait tant de mal : "On met beaucoup de temps à trouver les mots. Moi, j’ai pu couper les mailles de ce filet qu’à l’âge de 57 ans et je n’ai pu en parler que lorsque je suis venue en Haute-Savoie. Là, j’ai trouvé quelqu’un de compétent et qui m’a dit : 'Mais Claudette, vous n’êtes pas du tout responsable de ce qui vous est arrivé.'"
Dépôt de plainte
Après des années de souffrance et de silence, elles ont toutes les deux trouvé la force de porter plainte, même si les faits sont désormais prescrits. "Je pense qu’il faut parler. Il faudrait qu’on apprenne aux gens à écouter, à recevoir cette parole", confie Elysa. En racontant leur histoire, Elysa et Claudette veulent délivrer un message d’espoir pour "briser l'omerta" et inciter d’autres victimes à se confier sur ce qu’elles ont vécu.
Selon le dernier rapport de la Ciivise, 160 000 enfants sont victimes chaque année de violences sexuelles, soit une victime toutes les trois minutes. La commission estime également qu’une personne sur dix a été victime de violences sexuelles dans son enfance, soit 5,4 millions d’adultes.