Au-dessus du col du Lautaret, dans le vallon du Laurichard, se trouve l’un des plus accessibles de ces glaciers rocheux, et aussi le plus ausculté par les scientifiques puisqu’il est suivi depuis la fin des années 1970. Chroniques d'en Haut vous emmène dans le Parc national des Écrins, l’un des plus vastes et plus beaux parcs de haute montagne en Europe.
Cinquième Parc National à voir le jour en 1973, 10 ans après celui de la Vanoise, le Parc des Ecrins n’a pas eu les mêmes difficultés à naître que son frère savoyard. Il faut dire que depuis 1913, du côté de Saint Christophe-en-Oisans et de la Bérarde, l’État avait déjà acheté des terrains pour réguler l’exploitation des forêts et des pâturages qui finissaient par déstabiliser la montagne. L’objectif de préservation était déjà là, même s’il a fallu attendre 1960 pour voir la création en France du fameux statut de Parc National, tel qu’on le connait aujourd’hui. Changeant de nom au fil des extensions, cette zone montagneuse protégée a fini par donner l’un des plus vastes et plus beaux parcs de haute montagne en Europe.
Les mystérieux glaciers rocheux
Moins habité et moins soumis à la pression touristique que celui de la Vanoise, le Parc des Ecrins a une identité bien à part. C’est un véritable sanctuaire de nature sauvage. Une montagne sans concession, brute et parfois brutale, très minérale mais baignée par des forêts de mélèzes aux accents plus doux que dans les massifs plus au Nord, et des torrents clairs qui descendent des glaciers. Ici, les guides et randonneurs savent ce que veut dire approcher d’un sommet. On dit qu’on reconnait un guide des Ecrins à ses semelles usées…
Le Parc dans ses limites actuelles était donc né. Très vite, la dimension scientifique d’observatoire de la nature s’est imposée, et les sciences ont trouvé ici un terrain extraordinaire. La faune sauvage et la flore bien entendu, mais aussi les nombreux glaciers dont la décrue vertigineuse résonne comme un signal d’alarme depuis déjà quelques décennies. Toutefois, un élément manquait : le permafrost. Et, dans les montagnes, ces sols gelés se manifestent souvent de façon spectaculaire dans les paysages par un phénomène naturel peu connu, et pourtant courant dans les Alpes : le glacier rocheux.
Au-dessus du col du Lautaret, dans le vallon du Laurichard, se trouve l’un des plus accessibles de ces glaciers rocheux, et aussi le plus ausculté par les scientifiques puisqu’il est suivi depuis la fin des années 1970.
A première vue, rien de plus ni de moins qu’un tas de caillou sous la paroi, très haute, qui le surplombe. Mais à y regarder de plus près : on s’aperçoit que son apparence n’est pas celle des classiques éboulis formés par les pierres qui se décrochent des parois environnantes. Non, cela a véritablement la forme d’une langue glaciaire, dont l’aspect pourrait être comparé à une coulée de lave, avec son talus frontal bien délimité et ses courbes sinueuses qui évoquent un écoulement vers le bas. Et c’est le cas : cet édifice apparemment minéral se déplace !
On pourrait penser qu’il s’agit d’un simple glacier recouvert ensuite par des éboulis de roches. Mais non. Le glacier rocheux est né comme ça : du mélange de débris rocheux et de glace, et cela dès sa naissance. On parle aussi de permafrost de montagne "riche en glace". L’origine du phénomène reste assez mystérieuse, mais elle est en général sans rapport avec la formation des glaciers "classiques".
Un permafrost de montagne "riche en glace"
Malgré ces interrogations, on sait aujourd’hui qu’ils se forment grâce à la combinaison d’une accumulation de neige, souvent au pied de couloirs balayés par les avalanches, et de morceaux de roches qui se détachent des parois sous l’action du gel et du dégel. Ces deux phénomènes - encore très incomplètement compris - d’"éboulisation" et de création de glace au cœur de ces éboulis, produisent une sorte de "muesli" visqueux, mélangeant roche et glace, qui s’écoule sur la pente et qui confère ainsi à ces tas de cailloux mobiles un aspect aussi étrange que fascinant... Cette forme typique des paysages alpins ne cesse d’étonner les géomorphologues qui cherchent à en savoir plus.
Sur place, je retrouve Xavier Bodin et Eric Larose, deux scientifiques qui se penchent sur cet étrange phénomène. L’un s’occupe de mesurer l’avancée du glacier de pierre avec des images, des bornes géodésiques et des satellites, et relie ces informations avec les données climatiques et météo. L’autre a installé un dispositif très pointu de sismographes permettant d’"écouter" le glacier vivre. Car le glacier rocheux nous parle, et nous raconte sa lente reptation, tel un monstre de pierre qu’on croirait endormi, mais qui bouge imperceptiblement (de l’ordre de quelques cm à quelques mètres par an...) et vit au rythme des saisons. L’ensemble de ces mesures, sismographiques ou photographiques permettent de mieux comprendre l’évolution du permafrost dans nos montagnes.
Contrairement aux glaciers, les glaciers rocheux ne connaissent pas de décrue visible en conséquence du réchauffement climatique. Non, c’est même l’inverse, puisque l’effet majeur de l’augmentation des températures est une accélération de leur vitesse d’écoulement : au Laurichard comme ailleurs dans les Alpes, les glaciers rocheux vont actuellement deux fois plus vite qu’il y a quelques décennies en arrière. Même si le permafrost qui les constitue est relativement protégé de la chaleur par les 4 ou 5 mètres de cailloux qui le recouvrent et qui jouent le rôle d’un isolant, ils subissent néanmoins les conséquences du réchauffement !
Et bien que l’on en sache peu sur la fonte de la glace contenue dans le permafrost des glaciers rocheux, leur destin à long terme n’est pas de disparaître complètement… Non, car, comme le montrent les « vieux » glaciers rocheux parfois âgés de plus de 10 000 ans, comme ceux situés par exemple plus bas, au col du Lautaret : la fonte totale de la glace laissera tout de même une forme caractéristique dans la montagne. Bien que « fossiles », ces anciens glaciers rocheux jalonnent aussi les paysages alpins, amas de pierres et de cailloux figé pour longtemps.
Si les scientifiques cherchent à en savoir plus sur ce type de glaciers, c’est parce qu’ils sont nombreux dans les Alpes. En France, on en dénombre plus de 3000 rien que pour les départements alpins. Et l’évolution de certains d’entre eux constitue une menace, que ce soit quand des remontées mécaniques ont été construites dessus, ou lorsqu’une partie du glacier rocheux se déstabilise et produit des crues torrentielles ou des glissements de terrain qui endommagent les secteurs situés à l’aval. Ca n’est pas le cas de celui du Laurichard, paisible, et loin de toute zone habitée. Une petite heure de marche et 500 mètres de dénivelé au départ du Col du Lautaret vous permettront de découvrir ce phénomène encore méconnu.
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>> "Aux portes des Écrins" un magazine présenté par Laurent Guillaume et réalisé par Xavier Blanot, diffusé le dimanche 16 octobre 2022 à 12h50 dans "Chroniques d'en Haut" sur France 3 Auvergne-Rhône-Alpes puis disponible en replay dans cet article et sur france.tv