C'est devenu un rituel depuis le lancement du premier chantier italien du futur TGV Lyon-Turin en 2011 : chaque été, les No Tav, opposés au projet, donnent l'assaut au grillage d'enceinte et sont repoussés par les forces de l'ordre, stationnées en permanence sur les sites de construction de la ligne. Samedi, 12 policiers ont été blessés, provoquant l'indignation des syndicats.
Même si pour Alberto Perino, l'un des leaders historique des No Tav de la vallée de Suse, "il n'y a eu aucune violence, ce n'est qu'un banal assaut du chantier", les affrontements survenus samedi 30 juillet sur le chantier de l'autoport de la future ligne TGV Lyon-Turin laissent un goût amer aux syndicats de policiers italiens.
Pour l'association italienne des fonctionnaires de police (ANFP), des "black blocks" ont lancé pierres, pétards et bombes explosives de papier, provoquant les blessures de pas moins de 12 membres des forces de l'ordre.
Dans un communiqué, l'association "invite donc la magistrature à faire toute la lumière sur les rapports opaques qui lient certains milieux politiques et les black blocks No Tav."
Le festival "du grand bonheur"
Le festival "di alta felicità" - du grand bonheur, un jeu de mots avec "alta velocità", grande vitesse - organisé par les opposants à la ligne est devenu un rendez-vous incontournable de l'été dans la vallée qui doit accueillir le Lyon-Turin. On y propose des débats, des concerts au milieu des tentes de camping. La nouveauté de cette année, à savoir la participation des activistes du mouvement de "Fridays For Future" de Greta Thunberg réunis en "Climate social Camp" européen à Turin pendant la semaine précédente, ne semble pas avoir été de nature à calmer les esprits.
Ils étaient ainsi plus de 2 000 manifestants à défiler, samedi, entre Venaus et le chantier de l'autoport de San Didero, à la sortie de Susa. Slogan "nous sommes la nature qui se rebelle", inscrit sur la banderole de tête, le cortège s'est séparé en deux à son arrivée.
L'un poursuivant sa route, l'autre constitué d'une cinquantaine d'individus aux visages couverts par des masques à gaz et munis de boucliers en plexiglas. Ils s'en sont d'abord pris aux fils de fer barbelé clôturant l'enceinte du chantier avant d'attaquer les forces de l'ordre.
Sur un second front, les activistes ont également profité de la proximité de l'autoroute descendant du tunnel du Fréjus vers Turin pour y déposer des troncs d'arbres afin de bloquer le trafic routier.
Les forces de l'ordre prises pour "cible"
"Nous, policiers et carabiniers, continuons d'année en année à être une cible pour ces activistes", explique encore le syndicat des fonctionnaires de police. "L'augmentation du niveau de la violence n'a pas d'autre but que celui de réussir, au final, à provoquer la mort de l'un d'entre nous", conclut son responsable.
Le rapport de la Digos - la section de la police italienne spécialement chargée d'enquêter sur les crimes et délits commis pendant des manifestations publiques - transmis à la justice semble abonder en ce sens.
Lanceur artisanal importé du Kurdistan
On peut y lire, entre autres, que les chantiers italiens de la grande vitesse sont devenus "le principal terrain d'affrontement avec l'Etat". Et surtout que les techniques de guérilla utilisées ont vraisemblablement été importées de zones de conflits telles que le Kurdistan.
Il en serait ainsi, rapporte le quotidien La Stampa, d'une arme surnommée "sparapatate" par les activistes - littéralement lanceur de patates. "Un lanceur artisanal qui équivaut à une arme létale, car en mesure de lancer un objet à grande distance et à la vitesse d'une balle d'arme à feu".
Dans le rapport, on explique que lors des attaques aux chantiers italiens de la ligne Lyon-Turin entre 2011 et 2015, les forces de police ne comprenaient pas d'où leur étaient lancé les projectiles qui les frappaient. C'est depuis, grâce à une écoute téléphonique opérée sur un No Tav turinois, que la lumière a été faite sur cette arme "faite maison" ou d'autres comme la "bombe tube" utilisée au Nicaragua. Elle consiste à ajouter une bille dans le tube d'un pétard plus ou moins gros.
De son côté, la classe politique italienne dans son ensemble n'a pas manqué de commenter l'événement pour en faire un thème de campagne. A plus forte raison au moment où les grands leaders fourbissent leurs armes, démocratiques cette fois, et leurs alliances politiques en vue des élections générales du 25 septembre.