Ces dernières années, les procès à l'encontre des militants et associations écologistes se multiplient. Pour leurs actions de désobéissance civile ou de sabotage, ils sont de plus en plus critiqués, accusés d'être violents, au point d'être parfois qualifiés "d'écoterroristes". Les principaux intéressés eux estiment que ce ne sont pas tellement leurs méthodes qui ont changé, mais plutôt la perception que l'on en a.
Dans la nuit du 27 au 28 octobre 2024, le Gang d'Intervention des Ecureuils en Colère, un groupuscule d'activistes écologistes, a incendié un engin de chantier à Villeurbanne, avant de le revendiquer dans un communiqué, en parlant "d'action de désarmement [qui] vise l'entreprise NGE, multinationale de la construction, pour sa réalisation de multiples projets" que le groupuscule juge "écocides et inutiles".
C'est l'exemple local le plus récent d'action "coup de poing" menée par un groupe écologiste, mais on pourrait en citer bien d'autres ; comme ces sabotages chez un cimentier en Normandie, ou pour rester dans la région, cette intrusion dans une usine de production chimique au sud de Lyon. Des actions qui génèrent parfois des milliers d'euros de dégâts, et d'importantes mobilisations des forces de l'ordre. Alors les mouvements écologistes ont de plus en plus de détracteurs, à commencer par certains Hommes politiques, comme l'ancien ministre de l'intérieur Gérald Darmanin, qui avait qualifié les militants mobilisés contre la construction de mégabassines à Sainte-Soline, "d'écoterroristes".
Dans les méthodes des "écolos", rien de nouveau
Pour creuser la question, nous nous sommes entretenus avec des militants écologistes, ainsi qu'avec Arnaud Milanese, un enseignant-chercheur en philosophie à l'ENS Lyon, et auteur de "Pour une radicalisation écologiste du politique". Pour notre chercheur qui a étudié l'évolution de l'écologisme depuis la seconde guerre mondiale, il faut tout de suite déconstruire cette idée de nouveauté ; "On entend souvent parler dans les médias de l'apparition d’une violence plus importante dans les modes d’action. C’est en réalité quelque chose de très récurrent sur les 50-60 dernières années".
Selon lui, depuis le début des années 1950, la lutte écologiste fonctionne par cycles de quinzaines d'années. Elle alterne entre périodes de lutte "conventionnelle", au sein du débat démocratique, et périodes de lutte "directe" parfois qualifiée de violente. Actuellement, on serait une période plus favorable à la lutte directe, sans pour autant qu'elle ne soit plus violente qu'il y a des années. "Prenons l'exemple des "Amis de la Terre, au vu de leurs actions dans les années 1970 ils seraient qualifiés aujourd'hui d’extrêmement radicaux, extrêmement violents, parce qu'ils menaient déjà des actions de désobéissance civile et même de sabotage. Mais à l'époque, l'opinion publique n'était pas particulièrement virulente à leur égard", pourtant selon Arnaud Milanese "on est encore loin du niveau de violence et de conflictualité atteint dans ces années 1970. C'est comme pour les manifestations de luttes sociales, elles étaient bien plus violentes dans les années 60 et 70, mais comme on sort d’une phase, les années 90, où on était dans un creux niveau affrontement, on compare uniquement avec cette phase-là, et par contraste, on fait ressortir de la violence.".
"D'un côté il y a des gens qui meurent, de l'autre, des machines détruites"
Camille Millet, porte-parole de la branche lyonnaise d'Action Justice Climat réfute également l'idée selon laquelle les actions écologistes seraient violentes. Pour Camille Millet, qui privilégie aussi le terme d'action "directe", "Il y a peut-être plus d’actions directes parce qu’on s’est rendu compte que des actions comme les marches pour le climat rassemblent certes énormément de monde, et permettent de massifier le mouvement, mais elles ne débouchent pas sur des décisions politiques fortes. Inévitablement certains se disent : il faut utiliser des moyens d’action plus directs, des moyens où l'on essaye nous-même d’empêcher la destruction de l’environnement, sans attendre que l’état s’en charge.". La porte-parole de l'association écologiste spécialisée dans la lutte "non violente" rajoute que ces méthodes plus directes sont "systématiquement accompagnées, complétées par des actions plus traditionnelles, comme des plaidoyers, des démarches judiciaires ou parlementaires". Il serait "essentiel d'avoir plusieurs moyens de lutte en parallèle".
Une chose ressort clairement de nos entretiens : les militants écologistes ne sont jamais choqués, ni déçus des méthodes choisies par leurs "confrères". Au contraire ils se disent toujours solidaires, "car peu importe la méthode, c'est la cause qui est légitime", estime un membre d'Extinction Rebellion qui souhaite conserver son anonymat, et que nous appellerons Clément (prénom modifié). Selon lui, "le reproche de la violence nous est souvent formulé, mais c'est un argument que l'on balaie d'un revers de la main. Prenons par exemple à Lyon les luttes contre les PFAS. Face à notre action de blocage, de destruction de quelques petites choses sur la chaîne de production, on a des gens qui sont malades et qui meurent de cancers etc., donc en fait la violence elle est de l’autre côté, du côté des projets écocides. D'un côté il y a des gens qui meurent, de l'autre, des machines détruites.".
La nécessité des actions "coup-de-poing, et les dangers de leur médiatisation
Pour notre militant d'Extinction Rebellion, l'efficacité des actions "directes", ou "coup-de-poing", c’est-à-dire leurs effets positifs sur l'environnement, demeurent l'atout principal de ces actions. "Surtout quand tous les autres outils plus démocratiques, ou en tout cas plus légaux, ne débouchent sur rien. La consultation de la convention citoyenne lancée par Macron par exemple ; c'était une bonne idée, ils avaient de superbes propositions, mais au final on n’en a rien gardé. En comparaison un simple blocage d'autoroute de quelques heures aurait été plus efficace. Mais il reconnaît que ces actions sont également nécessaires pour faire connaître leurs causes. "Elles ont toujours existé, quels que soient les domaines de lutte d’ailleurs. Elles sont plus impressionnantes et donc plus médiatisées, justement pour faire entrer le sujet dans le débat public.".
Or c'est là que se trouve le danger pour les militants écologistes, car s'ils sont maîtres de leurs actions, ils ne sont pas maîtres du regard que vous posez les gens, et en particulier les médias, sur celles-ci. "Il y a une véritable intention d’exagération pour effrayer l’opinion publique sur certaines actions" estime Arnaud Milanese.
Ainsi ces actions permettent d'entrer de fait dans l'agenda médiatique, mais sous quelle forme ? À quel prix ? N'est-ce pas contre-productif d'être qualifié "d'écoterroriste" dans des médias de grande écoute, peu importe par qui ? "On en rigole tellement c’est absurde de mêler le mot terrorisme à nos actions" désespère Clément, "mais c’est aussi insultant pour les vraies victimes de terrorisme". "C’est le seul domaine de lutte où l’on parle de terrorisme pour de simples actions de sabotage" révèle l'enseignant-chercheur.
Caroline Millet aussi estime que "ce qui fait paraître les actions plus violentes, c’est la manière avec la laquelle elles sont médiatisées. Parfois la volonté d’action est mal retranscrite". Partisane de la non-violence, elle rappelle que toutes les actions de son collectif sont selon elle "légitimes. Parfois illégales, mais toujours légitimes". Alors pour s'assurer que l'on ne puisse pas retourner leurs propres actions contre leur cause, il faudrait "ajuster le curseur de la légalité".
La judiciarisation des actions en question
Aux yeux de Clément, militant d'Extinction Rebellion, "on vit actuellement un véritable acharnement judiciaire à l'égard des militants écologistes". Il part d'un constat simple ; "Nous n’avons jamais été autant en procès que ces deux dernières années, alors que nous n’organisons ni plus d’actions, ni des actions plus radicales qu'avant". "On vit des situations hallucinantes, absurdes" reprend-il, "On a des gens qui sont en procès pour des banderoles accrochées, et quand le juge accorde un non-lieu, c’est carrément l’Etat (NDLR : par le biais du parquet) qui fait appel ! Alors même que la victime supposée, en l’occurrence Arkema, ne souhaite pas faire appel pour éviter de trop médiatiser l’affaire". Une situation qu'il explique : "C'est symptomatique d'un système qui se sent en danger et qui tente de se défendre.".
L'auteur de "Pour une radicalisation écologiste du politique" lui, observe un contraste étonnant dans la réponse judiciaire apportée aux actions écologistes. Comme si la justice n'avait pas encore choisi son camp. "D’un côté, il y a en Angleterre des militants qui écopent de 2 ans de prison ferme pour un peu de soupe sur une vitre, et d'un autre, il y a des procès dans lesquels la clause de force majeure ou d’état de nécessité a été utilisée par les juges pour relaxer des militants qui avaient fauché des champs, décroché des portraits dans des mairies ou bloqué des routes.". C’est-à-dire que la Justice estime que leur cause était suffisamment juste, et d'intérêt général, pour justifier leurs actions contraires à la loi.
De quoi conforter Clément dans sa foi en la justice. "On compte tout de même sur la Justice pour contrer les arguments fallacieux de l’Etat qui va légitimer une activité destructrice pour des raisons purement économiques, pas pour des raisons de bien commun. On espère que la justice est toujours suffisamment indépendante pour faire la part des choses entre les intérêts communs, et les intérêts économiques, qui plus est privés.".
Vers une nouvelle forme de "violence légitime" ?
Ce contraste judiciaire, et particulièrement cette tendance récente à légitimer certaines actions illégales au prétexte qu'elles servent une cause juste, ouvre la voie à une question essentielle : les "violences" écologistes deviennent-elles légitimes ?
"Quand on discute du monopole de la violence légitime qui appartiendrait à l'Etat, on fait en général référence à la théorisation de Max Weber. Or il faut savoir qu'il y a un grand malentendu sur cette notion reprise à tort et à travers ; Weber disait que l'Etat revendique ce monopole, non pas qu'il lui appartient, la nuance est importante" souligne Arnaud Milanese. "C'est une notion qui a toujours admis l'existence d'une résistance légitime, d'une remise en cause de ce monopole quand l'Etat en tant que pouvoir politique n'est pas à la hauteur de la tâche, quand il ne remplit pas correctement ses fonctions". Il conclut : "En France notre ministère de l’environnement date de 1971, on peut donc considérer qu’après un demi-siècle de travail on en est arrivé à la situation actuelle. Ce n’est donc pas une réussite et il y a une légitimité à résister aux pouvoirs publics, à ses lois, et à sa force coercitive".