Taxe poids lourds : pourquoi l'Alsace pourrait réussir là où l'Etat a failli

Le projet de taxe poids lourds, ou "R-Pass", entre dans sa phase concrète avec la fin de l'appel d'offres pour la collecte et l'amélioration des portiques déjà en place. Le naufrage du projet national d'écotaxe en 2014 s'était produit à cette étape du processus. L'épisode pourrait servir de contre-modèle aux autorités.

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Octobre 2014. Après une longue réunion avec les fédérations de transporteurs routiers, la ministre de l'Ecologie Ségolène Royal annonce la suspension de l'écotaxe, ou taxe poids lourds. C'est la fin d'un feuilleton de plusieurs années : face aux mobilisations d'ampleur des "Bonnets rouges" en Bretagne, notamment, les pouvoirs publics n'ont jamais pu mettre en place ce dispositif pourtant voté et financé. 

Plus de dix ans plus tard, l'Alsace prépare une nouvelle taxe poids lourds, et ce malgré des manifestations régulières du secteur des poids lourds et des chefs d'entreprise locaux. La collectivité européenne d'Alsace (CEA) l'a votée en octobre 2024, pour une application définitive prévue en 2027. Le président Frédéric Bierry a même annoncé ce vendredi 24 janvier avoir choisi l'entreprise qui s'occuperait de la collecte de la taxe : une co-entreprise regroupant la société d'ingénierie allemande T-Systems et la Grenobloise d'électronique et d'automatismes (GEA), leader français dans le domaine des péages autoroutiers.

Or, c'est justement à cette étape du processus que le projet d'écotaxe du début des années 2010 avait commencé à dérailler. Un dispositif d'ores et déjà voté et adopté, un consortium nommé Ecomouv chargé de la collecte de la taxe, et même des centaines de portiques installées sur l'ensemble du territoire : tout semblait prêt pour une mise en œuvre rapide. Mais la suite a été chaotique et fatale au projet. L'histoire va-t-elle se répéter en Alsace ?

La collectivité européenne d'Alsace mise sur "le dialogue" 

Les prochains mois devraient en tout cas être décisifs. Car en attendant la livraison du matériel adéquat par T-Systems et la GEA, les élus devront multiplier les prises de contact avec les acteurs concernés par la future taxe. "Nous leur avons donné 18 mois pour nous livrer le système, des mâts à rajouter aux portiques déjà présents et un signalement par voie satellitaire. Pendant ce temps, nous engageons le dialogue avec le monde économique."

Concrètement, il faudra entendre les transporteurs, mais aussi l'ensemble des secteurs qui reposent sur l'acheminement de marchandises, puisque le coût supplémentaire induit par la taxe devrait être répercuté sur les prix. "Nous enchaînons les rendez-vous en ce moment pour comprendre et analyser ceux qui ont des contraintes particulières, et éventuellement adapter le dispositif."

On est en proximité avec les acteurs concernés, dans un dialogue plus dense et direct. On est à l'écoute.

Jean-Philippe Maurer, élu en charge du dossier à la CEA

Le but est de désamorcer d'éventuelles mobilisations d'ampleur, comme celles qui ont secoué la France et plus particulièrement la Bretagne pendant la mise en place de l'écotaxe dix ans plus tôt. "On ne peut pas ne pas y penser car le texte avait été voté à l'Assemblée ce qui n'avait pas empêché l'épisode des Bonnets rouges et l'abandon du dispositif après. La différence, avec le R-Pass, c'est qu'il s'agit d'une taxe limitée à l'Alsace : on est en proximité avec les acteurs concernés, dans un dialogue plus dense et direct. On est à l'écoute."

Le risque d'une taxation au rabais

Les élus de la CEA ont d'ores et déjà évoqué la possibilité de dérogations envers plusieurs secteurs, dont la presse. Mais la souplesse a ses limites. "À force de mettre en place des exceptions pour tel ou tel acteur, on perd l'objectif de vue qui est quand même de faire contribuer les poids lourds, les Français compris", pointe Stéphane Giraud, directeur d'Alsace Nature, défenseur historique d'une écotaxe. Le risque serait donc aussi de perdre le soutien des acteurs déjà acquis à la cause, en accédant trop systématiquement aux demandes des opposants.

Faut-il en arriver à vider le dispositif de son essence pour mieux faire passer la pilule ? "Pour le moment, aucune exonération n'est gravée dans le marbre, tempère Jean-Philippe Maurer. Certaines sont obligatoires, comme pour les pompiers ou les services d'urgence. D'autres sont évoquées dans la loi, ensuite il appartient à la collectivité de les formaliser, ou non, en fonction des discussions avec les acteurs du monde économique."

L'échec de l'écotaxe ? "Nous, on ira au bout"

Si le prix du R-Pass est déjà fixé à 15 centimes par kilomètres, il s'agit en réalité "d'une moyenne", précise Jean-Philippe Maurer. En d'autres termes, le prix pourra être adapté aux besoins de chacun. "Tout ça est très encadré au niveau européen. Nous avons un minimum et un maximum à ne pas dépasser. Mais il y a de la marge pour les discussions." L'échéance la plus importante, et la plus explosive potentiellement, se situe à l'automne 2025. C'est le moment prévu pour l'arrêté tarifaire, qui finalisera la grille sur laquelle la CEA se reposera pour déterminer le prix du R-Pass en fonction des cas. "C'est sûr qu'on ne peut pas faire que des heureux, c'est un moment délicat", reconnaît Jean-Philippe Maurer. 

Le 21 octobre 2024, une quarantaine de tracteurs ont défilé dans le Bas-Rhin contre la taxe poids lourds et les retards de paiement de la PAC. © CEDRIC JOUBERT / MAXPPP

Il planera alors, très probablement, l'ombre du fiasco de l'écotaxe nationale. "Pour l'instant, l'écotaxe, ce ne sont que des rendez-vous ratés, on en a conscience. Nous, on a la volonté de réussir." Sauf que c'était aussi le cas des gouvernements successifs ayant porté le projet d'une taxe poids lourds. Pourtant, la CEA en est convaincue, l'Alsace peut réussir là où les autres ont failli. "Il faut tenir bon. Si le gouvernement de l'époque avait tenu quelques semaines de plus, malgré les manifestations, on vivrait avec une taxe poids lourds aujourd'hui, j'en suis sûr. On ira au bout." Quitte à contourner la volonté populaire ? 

À ce jour, les manifestations contre le R-Pass ont avant tout réuni les chefs d'entreprise, autour du Medef, ou les viticulteurs et les agriculteurs, avec notamment les opérations escargot de la FNSEA en octobre dernier. Un sondage réalisé en février 2022 montrait que 80% des Alsaciens étaient favorables à la taxe poids lourds.

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