L’AS Saint-Etienne a soufflé, lundi 26 juin, ses 90 bougies. Créé en 1933 le club n’a cessé d’enchanter la France entière comme de jouer avec les nerfs de ses supporters. Retour sur 9 décennies d’un des plus grands clubs français. Avec les commentaires en regards croisés de Philippe Gastal, l'historien passionné de l'ASSE, conservateur du Musée des Verts,
28 juin 1933, 22 rue de Londres, Paris... Henry Delaunay secrétaire général de la fédération de football signe de sa main un courrier adressé à Pierre Guichard :
“J’ai l’honneur de vous informer que le bureau fédéral après avoir étudié, en sa séance du lundi 26 courant la demande d’autorisation [...] a estimé devoir vous autoriser à utiliser des joueurs professionnels”. L’Association Sportive de Saint Etienne est née et fait ses premiers pas en deuxième division. Pierre Guichard en est son président et pour les couleurs du club et bien ce sera du blanc et surtout... du vert !
90 ans plus tard, jour pour jour, le club joue en ligue 2, le maillot est toujours vert et le nom de la famille Guichard ancré à jamais dans les travées d’un stade mythique.
90 ans plus tard, l'ASSE est derrière le Paris Saint-Germain, le club le plus titré de France avec 10 couronnements.
90 ans plus tard, les supporters stéphanois chantent toujours “Allez les Verts” même lorsque leur équipe bataille dans les abysses du championnat. Et s'ils chantent encore, c'est parce que leur club en 9 décennies a fait vibrer la ville et la France entière.
Les années 30 : les débuts professionnels
Le premier match professionnel de l’ASSE se joue à Bordeaux le 3 septembre 1933. C’est le sporting club de la Bastidienne qui essuie les plâtres. Saint-Étienne l’emporte 3 buts à 2. Cette année-là a lieu le 1er derby contre le FC Lyon. Le 30 août 1934 la première amicale des Supporters voit le jour. C’est le début d’une histoire parallèle entre une équipe et ses supporters. La plupart sont mineurs ou ouvriers. L’ASSE est un club de football populaire dans une ville populaire. En 1938 les Verts rejoignent l’élite pour la 1ʳᵉ fois de leur histoire.
Pour Philippe Gastal, historien de l'ASSE, " le grand homme de la décennie fondatrice, c'est Pierre Guichard, qui dirige alors le club. Sous son impulsion, le club passe du football amateur au monde professionnel, et ça va tout changer. Il avait un regard visionnaire et a su transformer le club."
Les années 40 : la guerre s’en mêle
Les années 40 sont marquées par la seconde guerre mondiale et le championnat est divisé en trois poules. L’ASSE rejoint celle du sud-est. Pierre Guichard démissionne de la présidence du club. Il est en désaccord avec le régime de Vichy qui souhaite supprimer le sport professionnel. Le championnat reprend ses droits à la fin de la guerre, mais des difficultés financières viennent terminer cette décennie.
Les années 50 : le 1er titre
Pierre Guichard reprend les commandes du club. Saint-Étienne est élue “ville la plus sportive de France” et son conseil municipal va soutenir financièrement le club. Un ancien joueur du club, Jean Snella, devient entraîneur. Aujourd’hui une tribune et la rue qui mène au stade portent son nom. Lui a mené l’ASSE jusqu’à son 1er titre de champion de France. En 1957, les Verts grimpent sur la plus haute marche du podium.
"À l’origine des succès des Verts dans les années 50 il y a Snella l'entraîneur, oui c'est sûr mais aussi Charles Paret, Pierre Faurand et Pierre Garonnaire." ajoute Philippe Gastal. "Charles Paret fut secrétaire général puis directeur général de l'ASSE jusqu'en 1977. Pierre Faurand était Président au moment du 1er titre de champion de France. Enfin, Pierre Garonnaire a été un recruteur exceptionnel pour les Verts jusque dans les années 80. Avec ces hommes désignés par Pierre Guichard, c'est une deuxième naissance pour l'ASSE. Ils posent les fondations qui permettront d'atteindre les sommets des deux décennies suivantes."
Les années 60 : le début de la suprématie
En 1962, le club gagne sa 1ʳᵉ coupe de France mais... redescend en ligue 2 ! Une relégation de courte durée puisque dès 1963 les hommes de Jean Snella retrouvent l’élite et, coup de théâtre, remportent leur 2ème titre. La belle aventure va se poursuivre à la fin des années 60, l’ASSE est sacrée 4 fois de suite championne de France.
"Les grands noms des joueurs de l'époque, auteurs de ces exploits" pour Philippe Gastal," ce sont Rachid Mekhloufi, Bill Domingo, ou Kees Rijveers. Des noms qu'on a un peu plus oubliés parce que la star, à l'époque, c'était l'équipe !"
Les années 70 : l’épopée
Voilà que l’on en parle encore ! Encore et toujours... Dans les rues de la ville, aux quatre coins de la France et même de l’Europe. Saint-Étienne et son épopée. Glasgow, 12 mai 1976, les Verts dominent le Bayern de Munich en finale de la coupe d’Europe des Clubs Champions. Ils dominent, mais ne marquent pas : la faute à des poteaux carrés qui par deux fois renvoient la balle. À la fin, ce sont les Allemands qui gagnent la coupe, mais les Verts, eux, gagnent le cœur des Français. Valéry Giscard d'Estaing reçoit les vaincus à l’Élysée et leur dit : "Messieurs, la France, c'est vous !"
C'est une autre date, dans les années 70, qui marque Philippe Gastal, l'historien des Verts. " Le 6 novembre 1974, match retour contre Split qui, à l'aller, avait battu l'ASSE 4 à 1... Les Verts l'emportent 5 à 1 ! Et à partir de là, pour tout le foot français, c'est la porte ouverte vers le plus haut niveau international. C'est une vraie rupture. À partir de là, l'ASSE devient un grand club européen."
Les années 80 : après l’euphorie, les montagnes russes
La décennie avait pourtant bien commencé par un 10ᵉ titre de champion de France grâce à un doublé de Platini face à Bordeaux. Le 10ᵉ titre... Et le dernier en date ! 1er avril 1982, mauvais poisson, un journal local Loire-Matin dévoile l’affaire de la caisse noire : de l’argent caché permettant de financer certains transferts et les salaires des meilleurs joueurs plonge le club dans sa plus grosse crise financière et sportive. Les Verts retrouvent la 2e division en 1984 après une saison catastrophique. Il n’empêche : le 11 mai 1985, le chaudron enregistre la meilleure affluence de son histoire lors d’un quart de finale de coupe de France contre Lille avec 47747 spectateurs. Ils remontent 2 ans plus tard, mais c’en est fini des heures glorieuses.
"1981 c'est une victoire en trompe-l’œil" pour Philippe Gastal. "Dès 1979, le président Roger Roché veut à tout prix que le club reste au plus haut niveau. Et comme il y a eu un trou d'air parmi les joueurs sortant du centre de formation, essentiels à l'esprit d'équipe il a acheté des joueurs. Les recrutements extérieurs, c'était des joueurs de qualité mais ils se fondaient moins dans le moule stéphanois. Sans parler de la caisse noire, une des premières affaires financières du foot qui a fait mal au club..."
Les années 90 : dans le coton
Les Verts vont pendant cette décennie batailler, flirtant avec le bas du classement jusqu’à replonger en D2 en 1996. Une décennie maudite, le club ne fait plus rêver et manque de tomber encore plus bas en terminant à la 17e place en 1997 et 1998. Coup d’éclat à l’aube de l’an 2000 : les verts reprennent l’ascenseur pour l’élite...Mais, rappuient sur la touche sous-sol la saison suivante. Re-bienvenue en 2e division !
"L’ASSE a toujours su rebondir" selon Philippe Gastal. "Ça reste un club populaire parce que s’il descend, il parvient aussi à remonter. On a tutoyé les bas-fonds de la ligue 2 après avoir tutoyé les sommets. Mais le club est toujours là. Parce que les Verts, c'est plus qu'une équipe : c'est aussi un stade, à la même place depuis 90 ans ! Et un public, stéphanois bien sûr, mais aussi d'autres supporters qui viennent de toute la France."
Les années 2000 : une remontée en douceur
Nouveau siècle, nouveau départ ? Dans les années 2000, le club retrouve un peu de sa superbe. Lors de la saison 2004-2005 les Verts parviennent à accrocher l’Europe en se qualifiant pour la coupe Intertoto. On est loin de l’épopée, et plutôt proche de la déroute. Saint-Étienne est éliminé de la compétition dès les quarts de finale par le club roumain de Cluj. L’Europe tend à nouveau les bras aux Ligériens en 2008. Cette fois, ils participent à la coupe UEFA, plus prestigieuse que l'Intertoto.
Les années 2010 : Un trophée et une ville en liesse
L’ancien assistant de Rémy Perrin, Christophe Galtier fait ses débuts sur le banc de touche comme entraîneur principal. Le marseillais restructure l’équipe, il fait confiance aux jeunes pousses du club en les associant aux joueurs plus expérimentés. L’alchimie fonctionne... Le 20 avril 2013 Saint-Etienne emporte la finale de la coupe de la ligue face au stade rennais. Après 32 ans de disette, les Stéphanois célèbrent ce nouveau titre en défilant dans la grande rue verte de monde.
Galtier rejoindra en 2018 Lille avec qui il sera champion de France.
Les années 2020 : une histoire à réécrire
Galtier s’en est allé depuis longtemps. Les entraîneurs se succèdent, mais les résultats ne sont pas bons. Ce début de décennie est marqué par une nouvelle relégation en Ligue2. Le 29 mai 2022, les supporters stéphanois, en colère, envahissent la pelouse. La saison se termine dans un chaos absolu. Laurent Battles, ancien joueur de l’ASSE a permis à l’équipe de se classer 8e en 2023 malgré un début de saison catastrophique. Mais l’histoire des années 2020 est encore à écrire. Le prochain chapitre débutera en même temps que la prochaine saison : le 5 août 2023.
Pour notre historien passionné des Verts, "il faut que le club transcende les recettes du passé pour recréer l'amalgame entre les jeunes et les anciens." Philippe Gastal fait le même constat que nous : "On est un peu à la croisée des chemins comme en 96/98 quand on a manqué de descendre en nationale... On souhaite de tout cœur que la dynamique sportive revienne. L'ASSE peut y parvenir car c'est beaucoup plus qu'un club de foot qui fait vibrer Geoffroy Guichard. C'est une histoire humaine et collective unique dans le monde du sport !"