Rendu célèbre malgré lui dans les années 80 dans le monde compliqué du football à Saint-Etienne, André Buffard est devenu l'un des plus éminents pénalistes français et l'avocat de footballeurs internationaux. Aux côtés notamment de Jacques Vergès, il a défendu des accusés parfois très impopulaires, comme des meurtriers ou des terroristes. Avec une distance "formidable".... Rencontre
« Cette notion me parait un peu périmée », repousse, d’emblée, Maître André Buffard, souvent présenté comme étant le « ténor » du barreau de Saint-Etienne. Cet avocat pénaliste de renom est surtout connu pour les clients qu’il a dû défendre. Certains ont nettement marqué l’actualité, comme l’adjudant-chef stéphanois Pierre Chanal (principal suspect dans l’affaire des disparus de Mourmelon en Champagne), le faux médecin Jean-Claude Romand (qui a tué toute sa famille avant de tenter de se suicider en 1993), ou encore le terroriste vénézuélien Carlos… André Buffard affiche aussi un carnet de client bien rempli dans le monde du football. C’est ce sport qui a littéralement propulsé sa carrière.
Quel métier est plus au service des autres que celui d’avocat, où on parle pour autrui ?
Né à Saint-Etienne, où ses parents tenaient une épicerie, il suit des études chez les Jésuites à Saint-Michel, puis, en 1066, à la faculté de droit qui venait d’ouvrir ses portes. Il avait déjà la ferme intention d’exercer ce métier. « Je ne suis pas devenu avocat par hasard. J’ai fait ce choix très tôt. Je rêvais d’être avocat, de plaider et, naturellement, c’est au pénal que cela se passe. Je crois que cela vient de mon éducation. Les Jésuites m’ont appris à être soucieux des autres. Quel métier est plus au service des autres que celui d’avocat, où on parle pour autrui ?» se disait alors le jeune idéaliste. « La réalité est un peu différente, mais j’ai eu beaucoup de chance. J’ai débuté très vite, et j’ai fait ce que j’avais envie de faire…», sourit-il.
Il décroche les diplômes nécessaires à Lyon et débute chez Maître Michel Moulard, parmi d’autres jeunes débutants, avec lesquels s’organise une forme de solidarité. « A cette époque, le métier est encore une caste. On trouvait peu d’avocats à Saint-Etienne. L’arrivée soudaine de plusieurs jeunes, issus de la faculté, n’a pas été bien accueillie par les gens qui étaient en place. C’est vrai qu’on a été un peu malmenés », se souvient Maître Buffard.
Devenu avocat aux côtés de Maître Emile Pollak
Il sillonne alors la France dans le cadre de son apprentissage et croise, au cours de ses voyages, Maître Emile Pollak, grand pénaliste marseillais. « Il m’a appris beaucoup de choses. Et d’abord l’humilité. C’est d’abord un homme simple et très accessible. Cet immense avocat avait, lui-aussi, le souci des autres et l’envie d’enseigner. Lorsque je l’ai rencontré, j’étais très complexé et inhibé. Mais Pollak m’a surement permis de franchir cette étape… de prendre confiance en moi. » Il se souvient avoir ainsi plaidé avec lui dans des affaires difficiles. « C’était compliqué parce qu’il était un grand maître. Il m’a appris à faire fi de mes complexes… A plonger et devenir avocat, tout simplement. »
Détesté par les verts
Au début des années 80, Maître Buffard entre au Conseil d’administration de l’AS Saint-Etienne. En 1981, éclate l’affaire de « la caisse noire » du club. Une somme avoisinant les 20 000 francs, issue de la boutique du club de football, a servi à payer des joueurs non-déclarés. L’avocat prend sa part dans ces révélations. « Je me suis retrouvé à la tête d’un mouvement qui mettra en difficulté le grand président de l’époque, Roger Rocher. A cette période, l’ASSE est le grand club médiatique français. Donc cette affaire fait un scandale énorme, avec des répercussions terribles » se remémore-t-il.
Impliqué dans cette affaire présentée la une des medias durant des mois, André Buffard est lui-même propulsé au-devant de l’actualité. « Je suis alors, sans doute, la personnalité la plus médiatique parmi ceux qui se sont opposés aux pratiques qui avaient cours à cette époque », analyse-t-il avec le recul. Il traverse 18 mois de menaces, et de pression, avec difficulté. « Lorsque cette petite révolution interne se déclenche, je n’imagine pas du tout l’ampleur que cela va prendre. Je n’avais aucune ambition de prendre la place du président en place. Mais évidemment, le football passionne ! Cela va être très douloureux, car beaucoup de concitoyens me détesteront.»
J’ai été confronté à la haine
Mais, malgré la rudesse du moment, l’épreuve va lui servir de leçon. « J’ai été confronté à la haine. Je découvre cela avec stupéfaction. Mais cela va m’endurcir beaucoup, car j’aurai à affronter des foules hostiles. Ce qui fait qu’après… tout le reste m’a paru beaucoup plus facile dans l’exercice de mon métier » ironise l’avocat.
Le football encore. Maître Buffard devient le spécialiste de la négociation de contrats entre les clubs et des joueurs de renommée internationale comme Michel Platini, Dominique Rocheteau ou Eric Cantona. « Après l’épisode de l’ASSE, je n’avais pas très envie, honnêtement, de rester dans ce milieu. Il se trouve que j’avais des relations d’amitié avec un certain nombre de joueurs. A cette époque, il n’y avait pratiquement pas d’agents de joueurs, prenant en charge leur carrière. J’ai accepté la demande de certains de gérer leurs affaires. De fil en aiguille, j’ai été finalement amené à négocier des contrats pour de très nombreux joueurs. Et aussi pour certains clubs qui m’ont mandaté pour réaliser des transferts », résume-t-il.
Il collabore avec Maître Jacques Vergès
En tant qu’avocat, il collabore avec un confrère à la réputation sulfureuse, maître Jacques Verges. Ce sera notamment le cas lors du procès d’Action directe, un groupe terroriste, à l’origine d’environ 80 attentats entre 1979 et 1987. « Je dois beaucoup à cet homme, que j’ai côtoyé pendant des années. C’était une intelligence brillante, un homme de grande culture. Un des derniers grands avocats de talent, avec le goût de la défense. »
A nouveau, il apprend. « Jacques Verges m’a surement enseigné l’impertinence. Le fait de ne pas hésiter, lorsque tout est perdu, à dire au juge ce que l’on pense. Il m’a beaucoup appris sur la façon d’affronter les magistrats lorsque les choses sont difficiles et que tout est perdu. C’est ce qu’il appelait la stratégie de rupture. »
En France, le nombre d’avocats aussi célèbres que leurs clients, ayant marqué l’histoire de la justice, sont peu nombreux. Des avocats comme Olivier Metzner, François La Phuong, André Soulier, Eric Dupond-Moretti... mais peu de femmes. « Il y en a beaucoup aujourd’hui », corrige Buffard. « Le fait qu’elles soient moins célèbres est une grande injustice. Au barreau, il y a désormais beaucoup plus de femmes que d’hommes, avec de très grands talents. La culture machiste de cette profession – et de ce pays- ont fait que, longtemps, on ne parlait que des « ténors ». Il fallait avoir une voix. A mon sens, de nombreuses avocates actuelles mériteraient la une des medias, autant que les mâles, qui en ont bénéficié dans les années passées. »
Maître André Buffard a parfois défendu des clients peu fréquentables. « Je confesse, effectivement, avoir passé des mois à aller rencontrer le terroriste Carlos (alias Ilich Ramirez Sanchez), à raison d’une journée par mois, à Paris, pour parler avec lui. Et pas forcément du dossier, mais aussi de son aventure, de ses motivations, et de la situation géopolitique qui l’a conduit à ses agissements. »
Le rôle de l’avocat n’est pas d’être ami de son client, c’est de le défendre
Il en garde un souvenir particulier. « C’est un personnage fascinant, qui parle sept langues, avec une immense culture. Pour bien défendre, il faut savoir garder la distance par rapport à ceux que l’on défend. Même si il existe une part de fascination ou de sympathie.»
Il résume alors son principe de fonctionnement. « Le rôle de l’avocat n’est pas d’être ami de son client, c’est de le défendre. » Mais il n’oublie pas qu’il a aussi défendu des gens formidables. Il affiche un grand sourire : « N’oubliez pas non plus que l’on ne défend pas que des coupables ! »
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