Nous avons suivi au fil d’une année le duo stéphanois Terrenoire, Victoires de la musique révélation masculine en 2022. Après une tournée triomphale de plus de 120 dates de concerts que se passe-t-il pour des artistes ? Comment se ressourcer, rebondir, partager son succès avec ceux qui vous ont vu grandir sur le plan artistique ? Un an avec Raphaël et Théo Herrerias, un an avec les deux de Terrenoire.
Cette histoire, c’est d’abord celle d’une rencontre. Celle que j’ai faite avec ces deux artistes que j’avais invités pour une session live de studio 3 à France 3 Rhône-Alpes. Deux titres enregistrés et puis nous parlons de nos origines et de leurs projets. Des points communs dans les itinéraires familiaux, les usines sidérurgiques de la vallée du Gier, cet attachement à un territoire à la fois peu séduisant et chaleureux sur le plan humain.
Raphaël et Théo me racontent la fin de la tournée prévue pour décembre 2022 et les projets de retour à Saint-Etienne alors que leurs vies sont désormais parisiennes. Rendez-vous est pris pour l’une des dernières dates de la tournée à Saint-Chamond, tout près de leur quartier d’origine. Une date à la maison. Comme dit Théo, le plus jeune du duo :
Un concert à domicile, c’est comme une grosse date à Paris, à l’Olympia par exemple.
Théo
Cela donne un petit frisson à Raphaël de monter sur scène devant la famille, les copains. Ceux qui comprennent sans doute le mieux la chanson la plus entendue de Terrenoire : Jusqu’à mon dernier souffle qui passe en revue les souvenirs d’enfance et les territoires des deux chanteurs.
Raphaël me dit ressentir un début de nostalgie : « C’est l’énergie du public qui nous a fait tenir bon. Le projet est né en 2018. Il y a eu le premier album les forces contraires en 2020, la réédition augmentée en 2022. Tout s’est enchaîné. Ce concert est un peu la première vraie fin d’une aventure qui a duré quatre ans».
Le temps de la création
La tournée se termine, c’est là que commence vraiment notre histoire. Car Raphaël l’affirme, on a signé un pacte avec notre quartier. On va revenir à Terrenoire.
Six mois plus tard, en juin 2023, retrouvailles dans le square des Batignolles à Paris, non loin de leur studio de musique. Les visages de Raphaël et Théo sont reposés. Ils sont entrés dans le temps de la création. Raphaël explique : On déploie nos antennes. On essaie de pressentir ce qui se passe dans le monde, autour de nous. Car avec les nouvelles chansons, on prépare deux ou trois années à venir avec ces nouvelles créations.
Théo enchaîne : Pour vivre de notre musique, il a fallu monter à la grande ville. On n'avait pas pu le faire à Saint-Etienne. Pour moi, il a fallu 7 ans, 12 pour Théo. Maintenant, on peut commencer à se donner le luxe de faire la navette entre Paris et Saint-Etienne.
Car les deux artistes n’ont pas oublié leur promesse de l’hiver précédent à Saint-Chamond. Ils vont revenir à Terrenoire pour monter un festival. Un festival de copains. Une façon de partager avec le public leurs amitiés musicales.
Imaginer un festival à la maison
Et les voilà une nouvelle fois dans le TGV direction la gare de Saint-Etienne Chateaucreux. En ce beau mois de juin, Raphaël et Théo font un nouveau repérage pour le projet de leur premier festival de Terrenoire sur le terrain de jeu de leur enfance. Le parc du château de la Perrotière au-dessus du quartier va accueillir la scène du festival et des animations. Ils rêvent ainsi d’embarquer les habitants du quartier, et toutes leurs connaissances pour assurer un maximum d’ambiance. C’est l’occasion d’évoquer les souvenirs de leur éveil musical et littéraire lorsqu’ils hantaient la médiathèque du quartier. Raphaël : À l’époque, il n’y avait pas internet. Alors, on demandait aux dames de la médiathèque d’acheter des cd qui nous intéressaient. Sans parler des livres, des BD que l’on y a empruntés. Et c’est ainsi que l’équipe de la médiathèque sera embarquée dans le projet de festival pour des lectures de livres pour enfants en plein air.
La transmission, le partage, les maîtres mots de cette initiative des deux de Terrenoire. Pour preuve, à la mi-septembre, en ouverture du festival, ce sont des enfants des centres sociaux de Saint-Etienne qui ouvrent le bal, ou plutôt la marche. Partis du centre de Terrenoire, les enfants montent au château en portant des portraits de leurs ancêtres qu’ils ont peints sur des panneaux. C’est un auteur de bande dessinée, Zac Deloupy qui a imaginé cette parade des ancêtres. Et voilà, le festival des copains musiciens est lancé pour deux jours et deux soirs.
Le festival ouvre sa scène aux artistes locaux. Ils ont marqué ce que l’on a appelé «l’épopée verte» : Felower, Fils Cara et Brique Argent sont de l’aventure. Raphaël et Théo leur ont montré la voie vers d’autres destinations. Ils sont pour la plupart aujourd’hui installés à Paris et bien décidés à y défendre la diaspora musicale stéphanoise. Cette nouvelle pop aux paroles très humaines, comme les qualifie David Rivaton, le premier manager de Terrenoire. Le fait d’être tous à Paris aujourd’hui semble les avoir rapprochés. Raphaël complète :
L’importance des mots, l’envie d’utiliser le langage. Dans ces quartiers, ces villes d’immigration ouvrière, la nécessité du langage jaillit. C’est le cas de notre grand-père avec son gros accent espagnol qui se faisait un honneur de parler un français impeccable.
Raphaël
Et ce sont ces origines espagnoles qui ont aussi rapproché Terrenoire de la chanteuse November Ultra, l’une des têtes d’affiche du festival. Elle aussi a remporté une Victoire de la musique, elle aussi a des racines espagnoles, elle aussi a déjà travaillé avec Terrenoire. Elle est ravie de découvrir enfin le lieu d’enfance de ses copains, Raphaël et Théo. Dans un moment de grâce, elle ne manque pas de chanter sur scène l’un des morceaux nés d’un duo avec eux. C’est le cas aussi d’Enchantée Julia qui ouvre son set, avec émotion, à Raphaël, pour un duo composé ensemble.
Un festival de copains. Fils Cara le dit : «comme un boomerang, on revient ici avec une énergie commune». Deux jours de concerts, de fête.
Retour à Paris en studio. Pour leurs nouvelles créations, les deux frères jouent la complémentarité. Raphaël explique qu’il aime faire le croquis des nouveaux titres et laisser à la maestria de Théo le soin de tout mettre en musique sous le regard de ceux qu’ils appellent leurs gardiens du temple et qui guident leur travail.
Du studio à la scène
Nous découvrons dans ce studio en sous-sol parisien quelques extraits de nouveaux titres. Des morceaux que l’on retrouve quelque temps après lors de la préparation d’un événement unique. Un concert organisé par France Bleu Loire à l’opéra de Saint-Etienne. La rencontre et le lieu sont inédits pour le duo. Ils n’avaient jamais joué sur cette grande scène. Et pour donner plus de relief encore à l’écrin musical, ils sont accompagnés par 50 jeunes chanteurs de la Maîtrise de la Loire emmenée par Jean-Baptiste Bertrand. Théo raconte qu’ils ont choisi, pour la partie du concert avec la Maîtrise, des morceaux en simple « piano-voix ». L’épure de la formule fait littéralement décoller les titres anciens ou nouveaux.
Un an plus tôt, j’entendais pour la première fois sur scène à Saint-Chamond le fameux titre Jusqu’à mon dernier souffle, plein d’énergie. L’entendre à nouveau dans cette version chorale avec le chœur d’enfants lui donne un autre relief, le teinte d’une pointe de nostalgie. Celle de la fin d’un bout de chemin parcouru avec les deux frangins Herrerias dont le nom du groupe n’est pas accessoire, mais une raison de vivre. Terrenoire, la musique d’un territoire.
"2 Terrenoire à Terrenoire" est un magazine écrit par Franck Giroud, réalisé par Xavier Blanot, diffusé le mercredi 27 mars à 23h45 sur France 3 Auvergne-Rhône-Alpes.
A découvrir dès le 21 mars sur france.tv.