Parce que sa fille s'est vue refuser l'entrée d'un lycée de Clermont-Ferrand pour port d'abaya, son père aurait proféré par téléphone des menaces de mort contre le proviseur, jeudi 7 septembre. Il a été placé en garde en vue.
A Clermont-Ferrand, le père d’une lycéenne, qui s'est vue refuser l'entrée de l'établissement pour port d’abaya, est en garde à vue depuis ce jeudi 7 septembre. Il est soupçonné d’avoir proféré des menaces de mort par téléphone, à l’encontre du proviseur du lycée de sa fille, le lycée Ambroise-Brugière. Une porte-parole du rectorat de Clermont-Ferrand, confirme les informations du journal La Montagne et indique : « Jeudi, une plainte a été déposée, de la part du lycée Ambroise-Brugière, pour menaces de mort envers le proviseur. La personne est en garde à vue. Il s’agit d’un parent d’élève : il est le père d’une lycéenne ». A 9h30, "Le père de famille est toujours en garde à vue" indique le parquet de Clermont-Ferrand. L'homme est poursuivi pour "menace en vue d'intimidation d'une personne chargée d'une mission de service public", a précisé à l'AFP la procureure de la République de Clermont-Ferrand, Dominique Puechmaille. Le père de famille devrait faire l'objet d'une "convocation directe avec contrôle judiciaire", a ajouté la magistrate. Dimanche 3 septembre, le ministre de l’Education nationale, Gabriel Attal, avait annoncé l’interdiction du port de l’abaya, cette longue robe traditionnelle portée par certaines élèves musulmanes. Le rectorat poursuit : « Le rectorat a immédiatement réagi, comme il le fait à chaque fois, avec toute la chaîne d’information, auprès des forces de sécurité et la justice. Le proviseur a été accompagné dans ses démarches. Tout comme l’établissement ». D’après l’AFP, jeudi matin, les responsables du lycée Ambroise-Brugière filtraient l'entrée en application des directives nationales concernant l'interdiction de l'abaya. Une lycéenne qui portait le vêtement a été invitée à l'enlever et s'est vue interdire l'accès à l'établissement après son refus, selon la même source. Un peu plus tard, son père a téléphoné au lycée et a eu tour à tour un agent puis un conseiller principal d'éducation. À chacun d'eux, il aurait proféré des menaces de mort qui visaient le proviseur.
Le soutien de Gabriel Attal
La porte-parole précise que le proviseur a reçu un appel de Gabriel Attal. En octobre 2022, un incident dans ce même lycée Ambroise-Brugière avait défrayé la chronique : un rassemblement avait eu lieu devant l’établissement. La Région Auvergne-Rhône-Alpes et son président Laurent Wauquiez évoquaient un « rassemblement communautariste », pour le droit de porter le voile. Le rectorat souligne : « L’abaya n’est pas un sujet sensible dans ce lycée, d’après le proviseur. Sur 1 300 élèves, il a eu quelques discussions avec des élèves pour qui il fallait clarifier un certain nombre de choses. Mais il ne qualifie pas cela de sujet sensible. Il n’y a pas un sujet abaya. L’incident de l’année scolaire dernière était aussi téléguidé par l’extérieur. Là, on pense que c’est un cas isolé ».
"On condamne les menaces à l’encontre du chef d’établissement"
Fabien Claveau, secrétaire académique du SNES, est choqué par ses menaces proférées contre le proviseur : « Pour nous les choses sont très claires. On condamne les menaces à l’encontre du chef d’établissement. Il n’y a pas d’ambiguïté. On se dit aussi qu’on n’est pas complètement surpris. Malheureusement, on craint que cela ne se multiplie. On a toujours dit qu’il fallait passer par la voie du dialogue. Dans certains propos, il y a une forme de stigmatisation et avec toutes cette polémique de rentrée qui cache les vrais problèmes de l’Education nationale. Dans notre académie, on est très peu concernés par cette histoire d’abaya. L’an dernier, la voie du dialogue avait fonctionné. Il n’y avait pas eu de soucis. Aujourd’hui, c’est un sujet brûlant qu’on aurait pu éviter ». Pourtant, il s’interroge sur la nécessité d’une telle polémique sur l’abaya dès la rentrée : « Ce sujet de l’abaya attise les braises. On n’est pas naïfs. On sait qu’il peut y avoir des problèmes çà et là. Mais ce sujet est très polémique. On est enseignants. A chaque fois qu’on a un problème, on essaie de le résoudre par le dialogue. Cet embrasement sur le sujet depuis la rentrée va multiplier les problèmes au lieu de les résoudre. Il faut bien sûr faire respecter la laïcité ».
De nombreuses réactions
Sur X (ex-Twitter), Olivier Bianchi, le maire PS de Clermont-Ferrand, réagit : « Plein soutien à ce proviseur menacé pour avoir justement fait appliquer la règle. La laïcité à l'Ecole ne doit souffrir d'aucune exception. Il faut accompagner nos enseignants dans cette sanctuarisation de l'Ecole ».
Marianne Maximi, députée NUPES-LFI du Puy-de-Dôme, insiste : « Les menaces de mort sont inacceptables et j’apporte mon soutien à la communauté éducative du lycée Ambroise-Brugière. Nous avons aussi un contexte qui est inquiétant : celui du choix du gouvernement de placer la rentrée sous le signe de la discrimination, qui crée des conditions de montée des conflits aux portes des écoles. On aurait pu avoir une rentrée qui parlait des vraies questions mais nous parlons de la police du vêtement. Ce choix est un choix politique. Un choix de division. Cela n’excuse en rien ce que vient de faire cet homme mais nous avons un contexte politique qui attise les tensions et les alimente. En quoi cette circulaire est une préservation de la laïcité ? Le Conseil du culte musulman dit que l’abaya n’est pas une tenue religieuse. Seules 64 jeunes filles ont refusé de se changer à la rentrée : c’est très minoritaire. Quand on choisit de faire la police du vêtement, à l’entrée des lycées, cela crée ces conflits. Ce n’est pas qu’une question de laïcité, mais de diversion et de division. Cela met aussi en difficulté les équipes éducatives. Pour l’abaya, on n’a pas le même regard quand on est supposé musulman, on pose un jugement en fonction de la couleur de peau et la culture des élèves ».
Toujours sur X (ex-Twitter), la députée MoDem du Puy-de-Dôme Delphine Lingemann "apporte son soutien au proviseur. Nous sommes dans un État de droit où la loi doit être respectée par tous", ajoute l'élue.
Sur le même réseau social, le parti Renaissance du Puy-de-Dôme, de la majorité présidentielle écrit : « Total soutien au proviseur, cela ne fait que confirmer que la décision de Gabriel Attal est la bonne décision, la Laïcité ne tolère aucun compromis ».
Cinq jours seulement après la rentrée scolaire, cet incident majeur suscite de nombreuses réactions, notamment au sein du corps enseignant. Le Conseil d’Etat a avalisé l’interdiction du port de l’abaya dans les écoles, collèges et lycées publics dans une décision rendue ce jeudi 7 septembre.