Après 22 ans de procédure dans le procès de l'amiante, la Cour de cassation a prononcé le 11 septembre le troisième non-lieu en faveur de Claude Chopin, dernier patron de l'usine Amisol de Clermont-Ferrand. Un revers pour les victimes, qui y voient une erreur de la Justice.
"L'enfer blanc". C'est le surnom que les journalistes ont donné à l'usine d'Amisol à Clermont-Ferrand. Durant des années, des salariés ont travaillé au filage et au tissage de l'amiante, sans protection, jusqu'à sa fermeture en 1974. Plusieurs vont mourir, d'autres déclarer des maladies et réclamer justice 20 ans plus tard. Mis en examen depuis 1999 pour homicides et blessures involontaires, le dernier patron de l'usine, Claude Chopin, vient d'obtenir un non-lieu définitif dans ce dossier. Il avait pris la tête de l'usine à l'âge de 26 ans, au cours des 6 derniers mois, succédant à son père qui est décédé depuis.Dans son arrêt, la haute juridiction a validé les conclusions de la cour d'appel de Versailles, selon laquelle "les parties civiles ne rapportent pas la preuve de l'existence d'un lien de causalité réel entre l'exercice des fonctions de M. Claude Chopin entre juin et décembre 1974, et le développement ou l'aggravation de la maladie à l'origine de leur préjudice durant cette seule période". L'espoir d'un procès au pénal est fortement compromis, malgré des indemnisations au civil. Pour Josette Roudaire, porte-parole du comité Amiante Prévenir et Réparer (CAPER), cette décision est une "faillite absolue" de la justice.
Question : Comment accueillez-vous ce non-lieu définitif ? Vous devez renoncer définitivement à l'espoir d'un procès au pénal ?
Josette Roudaire : On ne renonce pas du tout. On pense que la justice s'est enferrée dans ce dossier, il lui a fallu 22 ans pour rendre une décision qui ne repose sur rien du tout. Leur explication, c'est qu'il est impossible de dater précisément la poussière qui a rendu les gens malades, mais personne ne peut le faire. Donc c'est du foutage de gueule, mais tant pis, la justice est ainsi, injuste. Nous, on a mené un combat qui était juste. Ce qui est dramatique, c'est qu'il y aura encore de nombreux décès liés à l'amiante, mais la justice refuse de le voir.
Allez-vous tentez de lancer d'autres procédures judiciaires ?
C'est possible, il y a la Cour européenne, mais cela mérite encore réflexion, nous devons nous renseigner. Et d'autre part, nous allons réfléchir à une procédure par rapport au fait que la justice ait mis 22 ans à rendre une décision sans queue ni tête, ignorant la souffrance des victimes.
Les fautes lourdes, d'une exceptionnelle gravité, ont été reconnues par le tribunal des affaires de sécurité sociale, elles ont été confirmées par la cour d'appel. Donc la justice pour les victimes ouvrières consent à une indemnisation, et refuse le droit à la justice. C'est le chèque contre le silence, et c'est tout à fait insupportable.
Finalement, 20 ans de combat pour en arriver à ce non-lieu … qu'avez-vous pensé en apprenant le non-lieu définitif ?
C'est un fiasco total, une faillite absolue. La justice a pris notre plainte, a mis le patron en examen, il y a eu des commissions rogatoires, les victimes ont payé en portant plainte, les gendarmes qui instruisaient le dossier nous disaient "Il y a un tel dossier, avec tellement de preuves, vous ne pouvez que gagner". Et voilà où on en est aujourd'hui. Donc oui, c'est une faillite du système judiciaire. Il lui a fallu 20 ans pour dire qu'il n'y avait en fait rien ? Bah ce n'est pas vrai. Il y a chaque année 3 000 décès causés par l'amiante, et des dizaines de milliers de malades. Et la justice regarde ailleurs.
Mais honnêtement, on s'en doutait avant, c'est dans l'air du temps de ne pas donner aux victimes la possibilité d'accéder à la justice … On est en train de casser la médecine du travail, l'inspection du travail, le tribunal des prud'hommes, bientôt les retraites, la sécurité sociale, etc. Nous on apparaîtrait au milieu de tout ça en ayant droit à la justice ? Non, ce sont des décisions politiques, même si elles ne viennent pas d'un parti précis. La société actuelle s'étrangle quand il s'agit de condamner un patron au profit d'un ouvrier. C'est ça le nœud du problème.
Mais l'histoire n'est pas finie, on ne peut pas dire qu'on a perdu ce combat. Au contraire, on a gagné le combat l'amiante, puisqu'on l'a faite interdire en 1997 ! Regardez le glyphosate, on a bien du mal à le faire interdire aujourd'hui. Et par ces luttes, on a sauvé des vies, et c'est le plus important. Il ne s'agit pas de savoir si on gagne ou si on perd, ce n'est pas un match de foot, il n'y a ni gagnant ni perdant. Mais c'est la vie, la civilisation qui perd ici.