“C’est le drame de trop” : une adolescente placée retrouvée pendue dans un hôtel près de Clermont-Ferrand

Placée dans un hôtel près de Clermont-Ferrand par les services de la protection de l’enfance, Lily, 15 ans, s’est donné la mort le 25 janvier. Cette adolescente au parcours complexe avait-elle sa place dans cet établissement ? Ce drame aurait-il pu être évité ? Le placement des enfants dans des hôtels conventionnés est ainsi remis en question.

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Le 25 janvier à Aubière, près de Clermont-Ferrand, Lily, une adolescente de 15 ans, est retrouvée pendue dans un hôtel où elle avait été placée par la Protection de l'enfance, d'après le parquet de Clermont-Ferrand. Selon une enquête de Mediapart, l'adolescente avait "un papa SDF, une maman toxicomane" et était entrée à trois ans dans la protection de l'enfance. “Ce n'est pas un hôtel au sens où on l'entend. C'est un établissement privatisé par le Conseil départemental avec un cahier des charges et un gérant qui est en lien avec le Conseil départemental. S'il y a des incidents, si besoin, il y a des veilleurs 24/24h”, nuance Dominique Puechmaille, procureure de la République de Clermont-Ferrand. Alerté, le parquet a lancé une enquête en recherche des causes de la mort. 

Un placement du juge des enfants

L’enfant ayant été placée par le juge des enfants, le drame a immédiatement fait l’objet d’une réunion entre les services de la protection de l’enfance et la justice : “Il y avait un accompagnement éducatif et de nombreuses personnes qui se penchaient sur cette situation, mais avec beaucoup de difficultés parce que c'était une jeune fille extrêmement rebelle et qui n'acceptait que très difficilement les prises en charge qui lui étaient proposées”, indique la procureure. Tenue vendredi, la réunion avait pour objet de “disséquer la prise en charge qui avait été mise en place” pour cette jeune fille. “Il est ressorti que, compte-tenu de la personnalité de cette adolescente et de la complexité de sa prise en charge, il me semble qu'il aurait été difficile de faire vraiment mieux”, regrette Dominique Puechmaille.

Un établissement "pas adapté"

Mais cet avis n’est pas partagé par tous. En 2022, le Parlement a voté la loi Taquet du nom de l'ancien secrétaire d'Etat, Adrien Taquet, prévoyant l'interdiction au 1er février 2024 des placements de jeunes de l'ASE (Aide sociale à l'enfance) en hôtel, sauf "à titre exceptionnel pour répondre à des situations d'urgence ou assurer la mise à l'abri des mineurs" et pour pas plus de deux mois. Une loi qui n’est, pour l’heure, pas en vigueur, faute de décrets d’application. La situation a scandalisé la députée du Puy-de-Dôme Marianne Maximi (LFI), qui a effectué un signalement auprès du parquet : “Il y a une défaillance sur 2 aspects. Au vu de l'âge de l'enfant qui est décédée, ce genre d'établissement n'est pas adapté, pas plus que la durée depuis laquelle elle y était. La 2e chose, c'est que nous avons une loi qui a été adoptée mais qui n'est pas appliquée. Je voulais faire remonter ces éléments à la procureure pour, si elle le souhaite, instruire cette affaire. C'est une loi qui vise à interdire les placements hôteliers pour les enfants. Il devrait y avoir des décrets d'application qui n'ont jamais été pris par le gouvernement. Ils permettraient justement d'interdire de manière simple et définitive les placements en hôtel.” Le délai de deux ans entre le vote de la mesure et son entrée en vigueur devait permettre aux départements, chargés de la protection de l'enfance, de s'organiser. 

Faire appliquer la loi

Un premier décret censé fixer les modalités pour cette période transitoire n'est jamais paru. Un autre, censé définir "le niveau minimal d'encadrement et de suivi" pour ceux qui resteraient hébergés à titre exceptionnel dans des hôtels, est lui aussi toujours attendu. “Je me bagarre au niveau politique pour que la loi soit appliquée entièrement et de manière ferme par rapport à ces dérives, dues à un manque de place, un manque de moyens. Je le dénonce et il entraîne des enfants dans des lieux qui ne sont pas du tout adaptés à leurs besoins et, surtout, à leur vulnérabilité. Mon travail de politique, c'est d'alerter et de faire en sorte que les lois soient appliquées”, martèle Marianne Maximi. 

Ce sont des enfants qui sont encore plus vulnérables que les autres du fait de leur parcours de vie problématique.

Marianne Maximi, députée LFI du Puy-de-Dôme

Elle souhaite même aller plus loin que la loi Taquet, en votant des mesures de renforcement pour ce service public en difficulté : “Il faut des lois beaucoup plus fortes. Il faut donner des moyens humains et financiers à la protection de l'enfance. On a un véritable échec par manque de moyens avec des besoins qui augmentent. C'est une vraie bataille politique à mener. Il faut que les départements puissent revendiquer des moyens supplémentaires. Le problème, c'est qu'ils le font parfois en stigmatisant d'autres mineurs, qui sont les mineurs étrangers. Ils seraient ceux qui mettent en échec la protection de l'enfance, ce qui est absolument faux d'un point de vue statistique. On a un effondrement de ce service public dans le silence le plus total, qui entraîne des vies d'enfants dans sa chute.” Pour elle, placer des enfants dans des établissements hôteliers est impensable : “Qui apprécierait, en tant que parent, que son enfant de 15 ans soit seul dans un hôtel ? Personne. C'est juste un non-sens en termes d'accompagnement, en termes de droits de l'enfant. Personne n'accepterait que son enfant soit, à 15 ans, dans un hôtel. C'est un danger absolu.” 

C'est l'hôtel ou la rue.

Association des départements de France

Elle reconnaît cependant la difficulté des collectivités à trouver d'autres hébergements : “Les départements n'ont pas d'autre alternative, évidemment, mais n'ont pas non plus revendiqué le fait de prendre ces décrets. Il y a une telle impréparation vis-à-vis d'alternatives à ces placements hôteliers que la situation est bloquée. Il faut des moyens, il faut réformer de fond en comble la protection de l'enfance pour qu'elle puisse fonctionner correctement, à savoir protéger les enfants.” L'Association des départements de France (DF) assure à l'AFP que, dès le vote de la loi Taquet, les départements ont "ouvert des structures, voté des budgets" pour se passer des hôtels. Mais le secteur souffre de manque de personnels. "Parfois nous n'avons pas le choix", a affirmé DF dans un communiqué. "C'est l'hôtel ou la rue", ajoute-t-elle, jugeant que "face à l'arrivée massive de MNA (NDLR : Mineur non-accompagné), nous n'avons plus de possibilités d'accueil dans nos départements". Près de 20 000 nouveaux MNA lui ont été confiés en 2023 et ils constituent 21% des 208 064 enfants placés à l'Aide sociale à l'enfance (ASE), selon DF. La loi Taquet est "irréaliste et inapplicable", dans "les conditions actuelles de saturation des structures de l'ASE et de chute des recettes des départements", déplore François Sauvadet (UDI), président de DF, qui demande sa "révision". 

Une cellule psychologique mise en place

“C’était un hôtel, mais qu'il ne l'est plus depuis des années. C'est un établissement dédié”, insiste le Conseil départemental du Puy-de-Dôme. Refusant tout commentaire sur la situation de la jeune Lily dans le cadre d’une enquête en cours, le Département a cependant indiqué : “Le président, la vice-présidente et le cabinet du président sont mobilisés. Ils sont allés sur place. Il y a une cellule psychologique mise en place pour apporter le soutien psychologique nécessaire à l'équipe éducative, de santé et administrative sur place, au personnel et aux autres jeunes qui sont placés dans cet établissement”. Quant au manque de personnel encadrant ces jeunes, le Conseil départemental tranche : “Il n'y a aucune considération de ce type”.

De nombreux drames dans des hôtels

Mais pour Lyès Louffok, militant des droits des enfants, “c'est un drame qui aurait pu être évité” et qui n'aurait même "jamais dû se produire”. Il renvoie lui aussi à la loi Taquet : “Le placement d'enfants le dans des hôtels a normalement été interdit dans le cadre de la loi de 2022 qui réformait la protection de l'enfance. On s'était rendu compte, quelques années auparavant, qu'il y avait eu un certain nombre de scandales dans des hôtels où l'aide sociale à l'enfance plaçait des enfants et même des drames”. Il cite notamment la mort de Jess dans un hôtel des Hauts-de-Seine qui a été poignardé par un autre enfant dans le même hôtel que lui, ou la mort d'Anthony, dans un camping. L'enquête judiciaire est toujours en cours. Ou encore le cas de Nour, qui a été placé dans un hôtel et qui s'est jeté dans la Seine de désespoir et d'absence d'accompagnement. Mais on pourrait aussi citer le cas de 2 jeunes qui, toujours placés par l'aide sociale enfance dans des hôtels, mais cette fois-ci à Orléans, sont morts d'overdose parce que leurs addictions n'ont pas du tout été prises en compte. Des drames dans des hôtels, il y en a eu”, dénonce-t-il. 

Un manque "d'accompagnement éducatif" dénoncé

Depuis des années, Lyès Louffok lutte contre le placement d’enfants dans des établissements hôteliers : “On avait alerté dès 2019 en expliquant que ce n'était pas possible, pour un système qui avait la prétention de protéger les enfants, de placer des enfants dans des structures comme celle-ci où ils n'avaient ni accompagnement éducatif, ni présence d'adultes de référence à leurs côtés, ni soins, ni écoute, ni sécurité, ni vigilance. Quand la loi a été votée en 2022, le Parlement a laissé 2 ans aux départements pour s'organiser, pour trouver des moyens qui permettent de pallier la prise en charge dans des hôtels et de créer de nouvelles structures, de recruter de nouveaux professionnels. On se doutait bien que ça n'allait pas se faire du jour au lendemain.”  

Une loi pas appliquée

Selon lui, des réglementations transitoires prévues dans la loi auraient pu éviter ce drame, si elles avaient été respectées : “Le Parlement a également voté, dans le cadre de cette loi, une mesure qui visait à organiser la phase transitoire. Il y avait des conditions qui interdisaient dès 2022, à l'aide sociale à l'enfance, de placer des enfants de moins de 16 ans ou des enfants en situation de handicap dans des structures comme celle-ci. Pour les autres, ce placement ne devait pas excéder deux mois et il devait être effectué sous la surveillance de professionnels du travail social, dûment formés et diplômés. Malheureusement, le gouvernement n'a pas publié le décret d'application de cette loi et notamment dans son volet transitoire, ce qui fait que les départements n'ont pas été soumis à l'interdiction de placer des enfants de moins de 16 ans.” 

Au-delà d'être profondément en colère, je suis profondément triste qu'on ne se donne pas les moyens de prendre en considération les erreurs du passé pour qu'elles ne se reproduisent plus à l'avenir.

Lyès Louffok, militant des droits de l'enfant

Pour Lyès Louffok, la mort de cette jeune fille est directement liée à un manque d’encadrement dans les établissements hôteliers spécialisés : “Cette gamine, Lily, qui avait 15 ans, s'est retrouvée dans un hôtel. C'est un scandale absolu. Si le gouvernement avait publié le premier décret en 2022, on n'aurait jamais eu le cas de figure où une enfant, ayant déjà fait a priori des tentatives de suicide dans le passé, en vulnérabilité psychique, aurait été placée dans un hôtel. Quand bien même elle l'aurait été, il y aurait normalement dû y avoir des professionnels dûment formés et diplômés en nombre suffisant jour et nuit pour veiller à sa sécurité. Ce drame est l'illustration de notre propre incapacité à apporter une protection à des enfants en grande souffrance. C'est le drame de trop.” 

Se donner "les moyens de sauver des vies"

Selon Lyès Louffok, le suicide de Lily a remis la loi Taquet au coeur de la politique, qui devrait prochainement faire appliquer la loi. Il craint cependant qu’il ne s’agisse que d’une application incomplète : "Encore la semaine dernière, c'était non pas une interdiction, mais un encadrement du placement hôtelier. Cela laissait la possibilité au département d'habiliter les hôtels, ou les associations ayant recours à des hôtels, de sorte qu'ils ne soient pas soumis à l'interdiction prévue dans le cadre de la loi de 2022. J'espère qu'on ne va pas se faire avoir sur ce coup-là, parce que sinon, on aura d'autres drames, c'est une évidence. Comme tous les ans, comme quasiment tous les 6 mois d'ailleurs. Donnons-nous les moyens de sauver des vies. C'est la moindre des choses.” 

Des établissements pas toujours sécurisés ?

Ces enfants, particulièrement fragiles, ont besoin d’un accompagnement plus poussé et les établissements hôteliers présentent parfois de grands dangers, selon Lyès Louffok : “On parle d'enfants qui ont été placés sur décision de justice parce qu'ils étaient en danger dans leur famille. C'est absolument inadmissible qu'on les remette en position de danger en les laissant livrés à eux-mêmes dans des structures qui ne sont pas habilitées à recevoir des enfants sous protection de justice. Souvent, ce sont des hôtels miteux, parfois même ce sont des marchands de sommeil. On finance des marchands de sommeil avec l'argent de l'aide sociale à l'enfance ! On a des conditions d'hygiène qui ne sont pas toujours satisfaisantes, voire parfois carrément insalubres. On a des hôtels qui sont situés dans des zones plutôt isolées, où, souvent, on peut retrouver des points de deal à proximité ou des points de prostitution. Il y a beaucoup de jeunes filles de l'ASE qui sont placées dans des hôtels et sont en situation de prostitution, alors même que le département est parfaitement au courant et continue de financer des hôtels dont ils savent qu'ils offrent la possibilité à des mineures d'être prostituées.”  

Une situation "d'urgence"

Si la situation s’est dégradée, c’est en raison d’un manque de moyens humains et financiers, dénonce Lyès Louffok : “Je crois qu'on est arrivé à un tournant aujourd'hui en matière de protection de l'enfance. On est confronté à un déficit de places, on a une pénurie de professionnels alors que le nombre d'enfants placés augmente considérablement d'année en année. Les moyens financiers, eux, par contre, n'augmentent jamais. Il faut de nouveaux établissements, recruter de nouvelles familles d'accueil, augmenter les budgets. Il va falloir que le gouvernement entende ce diagnostic-là, ce constat-là et débloque un fonds d'urgence, une enveloppe financière exceptionnelle qui viendrait se greffer aux dotations des collectivités territoriales pour leur permettre de financer convenablement leur système de protection de l'enfance. Ça relève de l'urgence. Ce n'est pas non plus ce qui résoudra la situation sur le long terme. Il va falloir que les départements trouvent le moyen de de sécuriser davantage les modes de financement, mais aussi de faire sortir l'argent qui part dans les caisses. Quand je vois le nombre de départements qui sont excédentaires budgétairement, sans que cet argent soit utilisé pour financer les politiques d'aide sociale, ça me pose aussi un sérieux problème.”  

Un rapport commandé à l'Inspection générale des Affaires sociales (Igas) avait estimé qu'au moins 5% des jeunes de l'ASE étaient hébergés en hôtels, surtout dans quelques départements franciliens et du sud de la France. Environ 95% d'entre eux étaient des Mineurs non accompagnés étrangers (MNA), jugés plus indépendants, l'hôtel étant "une solution par défaut face à un flux difficile à prévoir et à maîtriser". Dans les hôtels étaient placés aussi des "cas complexes", présentant de "forts troubles de comportement" ou des mineurs ayant des besoins spécifiques (psychiatriques...), relevait l'Igas. Des jeunes que les services de l'ASE, en manque de professionnels spécialisés, ont du mal à gérer et qui mettent en danger les autres mineurs dans les foyers. 

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