Des volcans d'Auvergne à la Méditerranée, le parcours d'Alice Modolo, une championne d'apnée qui tutoie les abysses de la planète

Elle est la première Française à avoir atteint les 100 mètres de profondeur. Alice Modolo bat les records du monde d'apnée. Cette championne est pourtant née loin de la mer, à Clermont-Ferrand au coeur du Massif central. Une passionnée qui a su suivre ses intuitions et vivre ses rêves. Une leçon de vie au rythme des palmes.

Un mouvement du bassin et des bras et la voici qui plonge vers les profondeurs dans une eau verte, digne des tropiques. Nous sommes aux Bahamas le 6 août 2022.

Une descente le long d’un câble qui trace le chemin. Elle poursuit sa route. Tout en ondulation, en quête des 101 mètres. Alice Modolo accomplira ce voyage aller-retour en 3 minutes et 4 secondes.

Le corps se meut avec légèreté et grâce. Une vision hypnotique. « Je garde une ondulation assez fluide pour économiser au maximum l’oxygène et l’énergie. Et très rapidement il y a cette pesanteur, je deviens aussi lourde qu’une pierre qui coule. A partir de 40 mètres, je cherche à me débrancher, je me laisse couler en utilisant cette pression. Je n’ai plus besoin de palme pour descendre. »

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Le 6 août 2022 aux Bahamas, Alice Modolo a plongé jusqu'à 101 mètres en apnée • ©Alice Modolo

Alice Modolo, l’Auvergnate, la Clermontoise, la fille des montagnes. Aujourd’hui apnéiste attirée par la profondeur des abysses. Une sirène qui affronte les océans du globe en quête de records.

 « J’étais complètement fascinée par ce que le corps humain peut faire en se privant de cette fonction vitale qu’est la respiration », explique cette jolie blonde qui a commencé à 13 ans à plonger à la piscine d’Issoire dans le Puy-de-Dôme.  Aujourd’hui, âgée de 38 ans, elle défie les lois physiques.

Challenge

Dans les eaux des Bahamas, la marque « 101 » est atteinte, l’athlète entame sa remontée. Avec assurance et fluidité. La vitesse paraît impressionnante. « C’est la phase où l’on doit se rebrancher parce que la remontée est hyper physique. Cela fait deux minutes que je ne respire plus et en même temps, c’est là où je vais avoir besoin de mon physique car mon corps commence à m’alerter qu’il manque d’oxygène. C’est un petit challenge physique et mental. »

 A la surface, c’est le retour à la réalité. « On reste concentré car on respire pour la première fois. C’est un peu comme si on se réveillait d’un rêve. C’est un électrochoc. On doit réaliser un protocole, il faut rester concentré. Ensuite seulement vient la joie. »

L’apnéiste clermontoise est à l’apogée de sa carrière. En 2021, elle a battu le record du monde en bi-palme en atteignant 95 mètres. Quelques jours plus tard, elle touche les 100 mètres en mono-palme. « Je suis devenue la première Française et la 8^e femme au monde à atteindre cette profondeur. C’était incroyable ! », s’enthousiasme-t-elle, des rayons de soleil plein la voix.

Et cette année, nouveau record du monde en bi-palme avec une profondeur de 96 mètres et les 101 mètres atteints en mono-palme.

Flamme intérieure

 « Je ne m’attendais pas à vivre tout ça ! Je me suis laissée porter ! », confie cette jeune femme attachante qui aujourd’hui vit à Nice pour être près de la mer. «  Tout ce qui est sûr, c’est que l’apnée m’a arrachée à mon Auvergne natale en 2013 quand j’avais 29 ans. J’ai renoncé au cabinet dentaire de mes parents que je devais reprendre à Brassac-les-Mines. Cela a été une décision pas facile à prendre mais il y avait cette flamme à l’intérieur qui me disait : "  Continue ! Ne lâche pas ! C’est ton truc ! " Et en 2018 quand je reprends l’entraînement d’apnée, tout remarche d’un coup ! »

Parce que la sportive n’a pas connu que des lignes droites toutes tracées vers la cible. A peine arrivée sur la Côte d’Azur, la voici qui replonge non pas dans les eaux bleues de la Méditerranée mais dans le long et prenant parcours d’une carrière de dentiste. Elle se consacre à temps plein à son métier, ouvre un cabinet, passe des diplômes, devient chirurgien. L’apnée se transforme en loisirs. 

Tête à l'envers

Les projets artistiques prennent le pas sur la compétition. Deux pubs télé où elle nage pour une marque de thé et un site de pari en ligne. Et puis, il y a eu ce coup de fil en 2015. « En fin de journée, on m’appelle à mon cabinet dentaire : " Est-ce que dans une semaine tu  peux partir en Polynésie ? " J’ai imaginé l’eau turquoise, les cocotiers, la plage de sable blanc, j’ai décalé mes patients. Et lorsque je suis arrivée sur place, j’ai vu que c’était tout sauf des vacances ! » Alice Modolo éclate de rire.

Elle passe 4 jours à tourner pour un clip de musique sans en connaître l’artiste. « A ce moment-là, j’avais arrêté la compétition, je ne m’entraînais plus et on m’a mis un jean, on m’a demandé de courir la tête à l’envers, j’avais les sinus remplis d’eau, c’était très douloureux ! C’était plutôt une performance de nageuse synchronisée ! Les réalisateurs voulaient du mouvement, il fallait que j’arrive à courir à la surface de l’eau. Cela m’a pris des heures et des heures pour arriver à effleurer la surface avec mes pieds et à donner cette sensation que je cours ! »

Mais à l’arrivée, Alice Modolo devient l’héroïne d’un clip pour Beyoncé. « Moi, je viens de Clermont-Ferrand, j’étais sensée être dentiste à Brassac-les-Mines et je me retrouve dans un clip d’une star américaine. C’est juste drôle ! Si je l’avais imaginé, jamais je n’aurais pensé ça ! Il faut suivre ses envies et ses rêves ! »

Car en 2018, la dentiste a de nouveau pris une décision difficile : dire au revoir aux caries et aux implants, quitter une bonne situation pour glisser exclusivement vers les profondeurs. « Beaucoup de gens n’ont pas compris, dont ma famille. Ils se sont dit : " On l’a perdue ! " Je me suis sentie seule mais il y avait cette force qui m’animait et je n’ai rien pu faire. »

Les entraînements sont de retour avec un  préparateur mental. « Et j’ai vu que je n’avais rien perdu, j’avais même progressé ! J’ai mis en évidence ce qu’est la force mentale. Plus je m’épanouis, plus je transcende les difficultés sur terre et plus cela se matérialise sous l’eau. »

 Et la voici aujourd’hui championne. Et reconnue.

« La vie est courte ! Elle réserve de belles surprises si on sait prendre des décisions pas faciles qui nous amènent sur notre voie. Je me suis souvent sentie seule mais la vie m’a récompensée de ces prises de risque et elle m’a fait vivre des aventures incroyables ! »

Quête ultime

 Avec l’apnée, Alice Modolo a trouvé la liberté. Sa liberté. « C’est pour moi ma quête ultime et si je pouvais ressentir cette même liberté sur terre, ce serait le paradis ! »

 Une femme près de la quarantaine et déjà prête pour le grand voyage. L’autre, le définitif. « Si je devais partir demain, ce serait ok ! Ma vie est tellement riche, tellement intense ! J’ai l’impression d’être acteur de ma vie ! »

 Alors autant qu’elle continue encore un peu, chère Alice. Vous, si touchante, si inspirante...