Chaque semaine, à Clermont-Ferrand, une maraude statique vient en aide aux plus démunis. Avec le froid de l'hiver, des dizaines de personnes précaires viennent chercher un repas chaud. Et surtout un peu de chaleur humaine.
Les bras chargés d’un carton rempli de croissants, Nora patiente debout sagement. Elle tapote ses jambes pour se réchauffer. Il est presque 19 heures et le thermomètre ne dépasse pas les 5°C. Quelques minutes plus tard, elle est rejointe par d'autres personnes. Elles ne sont pas venues les mains vides. Elles arrivent, les bras chargés également de gâteaux et autres plats chauds, sur l’une des places glaciales du centre de Clermont-Ferrand. Chaque lundi, c'est le point de rendez-vous donné aux plus démunis pour bénéficier de quelques repas “faits maison et avec amour” par l'association Maraude Clermont-Ferrand. Différents profils viennent se servir auprès des bénévoles : des SDF bravant le froid aux pères de famille précaires qui n’arrivent plus à manger dignement.
“On n’est pas le profil type”
Doucement, un ballet se met en mouvement autour de cette maraude statique. Deux personnes arrivent timidement. “Je peux ?”, chuchote l’un d’eux. Il demande la permission. Pourtant, en discutant avec lui, on apprend que ce n’est pas la première fois qu’il vient se servir pour manger un plat chaud. Jean vit dans un appartement situé non loin du lieu de distribution. Depuis l’inflation, ce quinquagénaire ne s‘en sort plus et compte sur la nourriture offerte par les bénévoles pour le soulager un peu. Avec sa nouvelle vie de père de famille recomposée, son salaire d’intérimaire ne lui suffit plus : “Je ne gagne pas plus de 300 euros par mois. Avec ma femme, on a 10 enfants à deux et la dernière a deux ans et demi. Je ne peux pas faire de courses en quantité suffisante. Alors je préfère me priver, ne pas m’acheter de nourriture et venir ici pour que ma famille mange à sa faim”. "Regardez ! dit Jean en montrant les bénéficiaires.
On n'est clairement pas le profil type pour les maraudes. On n'est pas des SDF. On est des gens normaux, qui travaillent, mais en galère”
JeanBénéficiaire des maraudes
Le père de famille n’a pas essayé de passer par les Restos du Coeur ou le Secours Populaire. Ayant un travail, il estime que “d’autres en ont plus besoin que lui".
Trouver du réconfort
Alors il se serre la ceinture, achète le minimum, de quoi “survivre” finalement. Face à ce quotidien qui le pèse, Jean essaie de trouver du réconfort auprès des bénévoles. “On discute, on boit un petit café. Je me fais des amis aussi”, sourit le père de famille. Alors il rit, fait des blagues, taquine et tape l’épaule un camarade un peu moins volubile. Casquette vissée sur la tête et les mains dans les poches, Raphaël sourit timidement, presque gêné du bagou de son copain. Pourtant, c’est essentiellement ce que cet homme de 45 ans est venu chercher ici. Après une longue période d’errance dans la rue, Raphaël a réussi à trouver un appartement mais pas à renouer avec ses proches. Loin de son Paris natal, il n’a plus aucune nouvelle de sa femme et de ses enfants. Alors la maraude, c’est sa deuxième famille : “Ça fait bientôt deux ans que je n’ai pas vu ma fille, évoque-t-il d’une voix tremblante. Elle me manque. Alors au lieu de manger chez moi, seul en regardant le mur, je préfère être dehors avec eux. Je galère toujours. J’ai toujours des problèmes d’argent que j’essaie de régler. Ils sont mon soutien moral quand je broie du noir. Ils m'aident à aller de l'avant”. Ce père de famille a un besoin viscéral d’être entouré, surtout en cette période de fêtes. “Quand je vois ces illuminations, les parents qui vont acheter des cadeaux pour leurs enfants, les familles réunies, ça me fait pleurer. Je ne peux même plus regarder la télé. Il suffit que je regarde un film de Noël pour que j'aie la larme à l'œil. Tout me rappelle ma fille”.
L'espoir d'une vie meilleure
Après avoir discuté et échangé quelques regards complices, il est temps pour les bénévoles de prendre la direction de la gare SNCF où d’autres personnes les attendent avec impatience. Nora monte dans sa voiture, suivie par les autres volontaires. Au volant, elle me parle de ces nouveaux profils dont le pouvoir d’achat est mis à rude épreuve par l’inflation. “On n’aide pas que les SDF, précise la bénévole. On a des étudiants et même des personnes qui travaillent. Le profil des bénéficiaires a changé et c’est de pire en pire”. Aussitôt garé sur le parvis de la gare, un groupe s'agglutine aux portes du véhicule. Parmi eux, Derbélé. En sillonnant les rues de Clermont-Ferrand, il est tombé, par hasard sur cette distribution. Une barquette de lentilles entre les mains, il profite, enfin d’un repas chaud. Avec un bonnet sur la tête pour se protéger du froid, il s’éloigne du groupe pour raconter son histoire : “Je suis demandeur d’asile. Je viens du Cameroun. Ça fait quatre mois que je vais de foyer en foyer. Je rencontre des difficultés pour manger le soir. Il m’arrive de dormir sans dîner”. À 22 ans, il espère s’en sortir et réaliser son rêve : devenir champion de MMA. “Cyril NGannou (célèbre champion de MMA NDLR) était SDF lui aussi en arrivant en France. Regardez ce qu’il est devenu ! Je serai le futur Cyril NGannou, j'en suis sûr”, assure-t-il. Avant d’ironiser : “Mais bon avec un bol de lentilles, je ne vais pas aller bien loin”.
De belles histoires
Retour en voiture. La maraude n’est pas finie. Il reste un dernier lieu de distribution. Nora l’avoue, il est parfois dur de relativiser face à tant de misère. “Tu as de l'espoir pour ces gens. Tu veux qu’ils s’en sortent. On est là que le temps d’un instant. Moi, je vais rentrer chez moi au chaud pendant qu'eux vont continuer à dormir dans le froid. C'est dur de les laisser”. Avec un autre bénévole, assis sur la banquette arrière de la voiture, Nora retrace quelques belles histoires : “Tu te souviens de David, Mehdi ?”. “Non, il devient quoi ?”. “Il s’en est sorti”, se réjouit la bénévole. David était un habitué des maraudes. Nora raconte : “C’était vraiment le SDF tel qu’on l’imagine, avec ses chiens, son penchant pour l’alcool, son côté anti-social, etc… Il cochait vraiment toutes les cases. On avait tort de penser ça mais on s’était dit qu'il n'avait pas de grandes chances de s’en sortir. Un jour, je ne le voyais plus aux maraudes. J’ai pensé au pire. Et plus tard, je le croise, par hasard, tout sourire, le visage illuminé. Il m'annonce la bonne nouvelle : il s'en est sorti. Il a réussi à trouver un appartement, à s’éloigner des addictions, et à trouver un petit job. Ça fait chaud au cœur de voir ça et ça nous pousse à continuer”.
"Il ne me reste plus rien. Si, il me reste les amis de la rue"
Les bénévoles descendent des voitures pour la dernière distribution. Il y a personne sur le lieu de rendez-vous. “Quand on tarde un peu, les personnes ne nous attendent pas dans le froid. Ce qui est normal”, explique Nora. Alors elle et sa troupe vont à leur rencontre. Assis sur une marche d’escalier, un homme emmitouflé, bonnet sur la tête, se frotte les mains. Nora se penche pour lui donner un sandwich. Petit à petit, le SDF se livre : “Cela fait 17 ans que je vis dans la rue. Je suis dans cette situation depuis le divorce de ma femme. Et depuis, rien ne va plus. Depuis quelques jours, je vis dans un camion sans chauffage et mal isolé. Le matin, j’ai des gouttes d’eau qui me tombent dessus”. Sylvain refuse d’être hébergé au 115. Il en garde un souvenir amer : “La dernière fois que j’y suis allé, on m’a volé mes pompes. J’ai dû rentrer avec des sacs en plastique aux pieds. Et puis, il n’y a que des bagarres. À 54 ans, j’en ai marre des bastons”. Sylvain vient de perdre sa fille, décédée dans un accident de la route. Le quinquagénaire perd espoir : “Il ne me reste plus rien. À quoi ça sert de me battre ? Je n’en ai plus la force. Si, il me reste les amis de la rue”. Nora tente de le consoler. “On organise une distribution de cadeaux de Noël, le soir du 25 décembre. Si vous voulez, on peut se retrouver ici. Ce n’est pas grand-chose mais…”. Sylvain répond, ému : “C’est déjà énorme que ce que vous faites. Énorme”.
La bande d’amis repart. Ils reviendront lundi prochain, avec des plats chauds, des cadeaux, mais aussi et surtout avec un peu de réconfort.