Au pied des tours d'un quartier populaire de Clermont-Ferrand, la montée du vote RN alimente les conversations. Entre "rejet" et "dégoût" de la politique, ils nous ont confié leur inquiétude ou leur espoir à l'approche des législatives.
Sabrina est une habituée du centre commercial du quartier de Croix-de-Neyrat, une banlieue populaire au nord de Clermont-Ferrand. L’arrêter pour parler des élections législatives lui provoque un rire jaune. « Moi, ça fait bien longtemps que je ne crois plus au Père Noël», ironise-t-elle, appuyée sur son chariot de courses. Quand on lui demande pour qui elle a voté, elle souffle : « Pour le changement ». On lui demande de préciser : « Oh ! Vous savez de qui je parle ». Elle avoue à demi-mot vouloir voter pour le Rassemblement national le 30 juin prochain. Elle ne prononcera pourtant jamais le nom du parti pendant la conversation, seulement celui de Bardella qu’elle « admire ». La montée du Rassemblement national n’a pas épargné les habitants de ces barres d’immeubles et de leurs centaines de logements relevant majoritairement du secteur social. Aux européennes du 9 juin, la tête de liste du RN, Jordan Bardella, s’est placée en deuxième position des résultats des bureaux de vote de ce grand ensemble. Une montée du parti qui divise un peu plus le quartier.
Une montée du RN
Sabrina a du mal à mettre des mots sur son lien avec l’extrême droite. Cette Gaulliste - qui a longtemps voté à droite - préfère cogner sur les dirigeants au pouvoir sans oublier ceux du passé. La rupture avec la droite conservatrice est officielle après le quinquennat de François Hollande. Elle a décidé de « muscler » son vote. Les promesses oubliées ne passent pas. La rancune résiste. Comme explique-t-elle concrètement son choix ? « Je ne suis pas raciste. Je n’ai rien contre eux, lâche sèchement la mère de famille au chômage. Ils ne sont pas méchants, ni agressifs. Il faut juste qu’ils aillent bosser. Je suis pour la préférence nationale. Ce qui est normal pour moi. Ceux sont toujours les mêmes que l’on aide ». Qui sont les mêmes ? Comme pour son vote pour le Rassemblement national, c’est à nous de le deviner. Elle les décrit : « Ce sont ces jeunes qui se posent ici, et roulent des joints sans que personne ne leur dise rien. C’est devenu une zone de non-droit, ici. Trouvez-leur du taf, bon sang ! ».
« Ils s’en foutent de nous. On s’en fout d’eux »
Les « profiteurs», cibles de sa colère, sont postés plus haut. Assis sur des chaises, grande cigarette dans la main, deux jeunes posent les bases : « Nous, c’est le taga (NDLR la drogue) qui nous intéresse, pas la politique ». Ils ont 22 et 26 ans. C’est tout ce qu’ils voudront dire d’eux. Côté politique, ils sont bien renseignés mais ce n’est pas pourtant autant qu’ils iront aux urnes. « Gros, je ne sais même pas si j’ai une carte d’électeur, lance l'un d'eux à son ami. J’ai voté en 2017 pour Macron parce qu’il fallait le faire. Et je regrette. Maintenant, je m’en fous des élections, je ne te mens pas ». Le jeune homme de 26 ans, que nous appellerons Sam, livre son analyse tout en léchant la feuille de sa cigarette :
La jeunesse n’emmerde plus le Front National
SamHabitant du quartier de Croix-de-Neyrat
Il poursuit : "Voilà pourquoi, ça vote pour eux. On n'essaie plus de faire barrage maintenant. Ils (les politiques) s’en foutent de nous, on s’en fout d’eux. C’est comme cela que ça marche". Pourtant certains politiques se sont frottés à l’exercice du dialogue avec ces jeunes. Parmi eux, Raphaël Glucksmann, candidat aux élections européennes du 9 juin dernier. Le leader du parti PS/Place Publique, situé à gauche de l’échiquier politique, s’était rendu le 9 février dernier dans ce quartier populaire pour parler Europe. Bilal* était présent lors de sa venue. Il en garde un souvenir amer : « Je te dis la vérité, j’ai rien appris de lui. Il est venu faire son show, prendre deux, trois photos et c’est tout. Il a écouté ce qu’on avait à lui dire, mais entre nous, tu penses qu’il en a quelque chose à f*utre des problèmes de jeunes d’une cité de Clermont-Ferrand ? ».
Lutter contre l’abstention
Les quartiers populaires ont toujours été un lieu difficile à conquérir par les hommes et femmes politiques. Tout bord confondu. La France Insoumise en avait fait son cheval de bataille pendant la campagne des Européennes. Mais les candidats pourraient se heurter à un autre adversaire : l’abstention. Dans les deux bureaux de vote du quartier, près de deux électeurs sur trois ont boudé les urnes lors des élections européennes du 9 juin, avec environ 62% d’abstention. Parmi eux, Sofiane. Il se dit tout simplement « dégoûté » de la politique. « Chaque fois, ce sont les mêmes candidats. Rien ne change. Ils promettent mais ne font jamais rien une fois au pouvoir ». Le chauffeur livreur de 29 ans ne se sent pas inquiet. « Le Rassemblement national ? Ils ne passeront jamais », prédit le Franco-Algérien, cigarette au bec. Avant de dresser un terrible constat : « La France devient de plus en plus intolérante. On ne veut pas de gens comme nous. Le message est clair maintenant ».
Un bloc d’immeubles plus loin, Noura s’inquiète. Recluse dans le bureau de son association de quartier, elle confie : « Les jeunes n’ont plus d’espoir et ne croient pas en ce qu’on leur propose. Cela laisse un boulevard à l’extrême droite qui, jusqu’à aujourd’hui, n’avait pas réussi à gangrener le quartier». Engagée auprès des jeunes depuis plusieurs années, la mère de famille tente de convaincre les habitants de la petite banlieue de se déplacer le 30 juin. « On essaie de tout faire pour leur faciliter le vote. On sait que les élections tombent pendant le début des vacances pour certains. On leur propose donc la procuration, et on les accompagne dans la démarche. Certains n’ont pas eu le temps de se renseigner sur le programme et les candidats, on essaie de les éclairer sur ça ».
L’association multiplie les campagnes de sensibilisation au vote. Une stratégie qui s’avère payante. Najwa a pu glisser son premier bulletin dans l’urne lors des Européennes grâce à la persévérance de Noura. La jeune femme de 19 ans souligne : « Avant, je m’en foutais de l’Europe et des élections. Je ne savais même pas ce que c’était. Je ne me sentais pas concernée. Mais, grâce à Noura, j’ai pu comprendre le rôle de l’Europe et pourquoi c’est si important de voter. Quand j’ai mis le bulletin dans l’urne, j’avais le sentiment du devoir accompli». La jeune femme tente alors de convaincre à son tour ses proches. « Tu ne sais pas pour qui tu vas voter ? Mais tu sais ce que c’est l’extrême droite non ? », interpelle Najwa. Son amie botte en touche : « Non. Je n’ai pas le temps de me renseigner et je ne vais pas voter pour quelqu’un que je ne connais pas. J’ai des choses plus importantes à faire ».
Posté devant le supermarché, Farid lui n'est pas inquiet. "Tout se passe comme prévu", se réjouit le quinquagénaire. Cet ouvrier avoue n'avoir pratiquement jamais voté de sa vie et encore moins pour les dernières élections. Mais en voyant la percée du RN, il fera le déplacement au bureau de vote, le 30 juin prochain. Et il glissera un bulletin Rassemblement national. Il explique son choix : "On a essayé la droite, ça n'a pas marché. On a essayé la gauche, ça n'a pas marché. Essayons l'extrême droite !". Et pourquoi pas l'extrême gauche ? "Ah, non ! Ils font peur, surtout Mélenchon, je le trouve dangereux. Bardella, lui, est plus posé. Il inspire la confiance. Il n'a pas une tête de méchant. Il a de la gueule quoi !".
En 2022, aux législatives, la représentante du RN de la 1ère circonscription de Clermont-Ferrand recueillait 12,31% des voix contre 8,73% quand le parti s’appelait encore le FN.
- Prénom modifié