Témoignages. Hausse du prix du tabac : « Les gens vont se serrer la ceinture sur autre chose »

Publié le Écrit par Solenne Barlot et AFP

A partir du 1er janvier 2024, les cigarettes coûteront 40 à 50 centimes de plus aux fumeurs. Si certains sont résignés à payer plus cher, d’autres espèrent diminuer leur consommation, trouver des alternatives, voire totalement arrêter. Ils se confient.

Comme presque chaque année, en 2024, le 1er janvier sera synonyme de bonnes résolutions, mais aussi d’augmentation du prix des cigarettes. Les prix devraient augmenter, cette fois sous l'effet de l'inflation, de 40 à 50 centimes, selon des estimations de la Confédération des buralistes communiquées lundi à l'AFP. Le prix plancher sera porté progressivement à 13 euros d'ici au début 2027, avec une première étape à 12 euros en 2025, pour inciter les fumeurs à arrêter, car le tabac reste la première cause de mortalité évitable, avec 75 000 morts par an. Chez les fumeurs, on grince des dents.

"Je plains ceux qui n’ont pas beaucoup de moyens"

Laurence a 61 ans. Installée à la terrasse d’un bar de Clermont-Ferrand malgré le froid, son chien sur les genoux, elle explique fumer depuis l’âge de 16 ans. Maquillage assorti à son manteau, coiffure impeccable, Laurence est élégante jusqu’au bout de la cigarette, une Vogue : « Effectivement, devant mon ordinateur, je fume beaucoup », raconte cette professionnelle de la vente en ligne. Elle soupire, face à l’annonce de cette nouvelle augmentation. « Les vrais fumeurs n’arrêteront pas, de toute façon. Peut-être, et je dis bien peut-être, ce serait le cas si le paquet arrivait à 20 euros comme dans certains pays. Mais sinon, je n’y crois pas. Je plains ceux qui n’ont pas beaucoup de moyens et pour qui la cigarette est indispensable, entre guillemets. De toute façon, nous les fumeurs, on ne peut qu’être catastrophés par les augmentations, d’autant qu’on en a eu beaucoup ces dernières années. »

Je sais ce que ça me coûte tous les mois… 600 euros !

Laurence, fumeuse

Alors, pour essayer de moins fumer, Laurence a pris les devants : « Je viens d’acheter une cigarette électronique. C’est surtout pour des raisons de santé, la toux, le cœur… Ce n’est pas vraiment pour des raisons économiques. Je n’aimerais pas arrêter totalement. Mon objectif, ce serait de ne fumer que 5 cigarettes par jour. Pas par addiction, juste pour le plaisir. Par rapport aux 2 paquets par jour que je fume, ce serait mieux pour la santé… et pour le portefeuille ! » Même si ce sont les recommandations de son médecin qui priment dans son choix, Laurence le sait, son addiction lui revient cher : « Je sais ce que ça me coûte tous les mois… 600 euros ! Le paquet est à 10 euros environ, multiplié par 2, puis par 30. C’est énorme ! Sur une année, je n’ose même pas calculer. »

Des buralistes résignés

Eux ne sont pas toujours fumeurs, mais sont directement concernés par ces hausses de prix régulières : les buralistes. C’est le cas de William, gérant d'un bar-tabac et restaurant de Chamalières. Les clients défilent devant lui, résignés à mettre la main au portefeuille : « Ils sont blasés, mais ils acceptent sans rien dire. Ils nous disent « De toute façon, on a l’habitude, ce sont des voleurs. » Ils subissent, un peu comme l’augmentation de l’alimentation ou du prix de l’essence. » Pour ce professionnel, ces augmentations régulières alimentent les commerces parallèles : « Cela fait 22 ans que je suis installé et sur les 10 dernières années, on a perdu 30% en volume. Les gens se fournissent ailleurs. Il y a certainement des gens qui s’arrêtent de fumer, mais il y a aussi des cigarettes de contrebande. C’est connu qu’il y a des établissements qui en vendent, sous le comptoir. En été, il m’arrive d’avoir 6 ou 7 paquets de contrebande, sur la terrasse, dehors. C’est énorme. »

"C’est du vol"

Bonnet sur la tête, Saïd s’arrête prendre un café, dans cet établissement qu’il connaît bien. « Ça fait 22 ans, à peu près, que je fume. Vingt-trois ans même », raconte-t-il. Il fume environ un paquet chaque jour, alors cette augmentation va grever son budget, encore une fois : « C’est du vol. C’est de l’arnaque. Ça ne s’arrêtera jamais d’augmenter. Toutes ces augmentations ne sont pas faîtes pour que les gens arrêtent de fumer. C’est juste pour nous voler. » Il semble désabusé : « On ne va pas arrêter de fumer », martèle ce cariste. « Simplement, on va en acheter un peu au marché noir. On n’a pas le choix », ajoute-t-il en haussant les épaules.

Comme je suis dépendant, je n’ai jamais regardé le prix des cigarettes.

Philippe, fumeur

Chemise élégante et pantalon ajusté, Philippe, 55 ans, fait à son tour son entrée dans le bar, où il commande un café. Il vient également acheter un paquet de cigarettes, une mauvaise habitude qu’il a « depuis l’armée ». Il se souvient : « J’ai fait l’armée à Djibouti et le paquet valait 3 francs à l’époque. J’avais 20 ans ». Depuis, il a gardé cette manie : « Je fume de tout, je suis intoxiqué », plaisante ce restaurateur. Il est ce que l’on appelle un gros fumeur : « Là, je fume moins. J’essaie d’arrêter et de me limiter à un paquet par jour. Mais j’ai fumé jusqu’à 3 paquets de cigarettes par jour, plus deux ou trois barreaux de chaise, plus une dizaine de cigarillos. Il faut préciser que je suis insomniaque, ça n’aide pas ». Un budget important, mais quand on lui demande le montant lié à sa consommation, Philippe sèche : « Je ne regarde même pas ! Là, je viens d’acheter un paquet de cigarettes, je ne me souviens même pas combien il m’a coûté. Quand je fumais plus, je les achetais par cartouches, donc je ne regardais pas non plus le prix du paquet. »

Changer ses habitudes

Rodolphe a 54 ans. En promenade, il a sorti son paquet de tabac à rouler. Ce cuisinier se souvient : « Je crois que j’ai commencé à 17 ou 18 ans. » Il a délaissé ses premières cigarettes favorites, industrielles, au profit du tabac à rouler, un peu moins onéreux : « C’est à cause des augmentations successives, bien sûr. » Il a trouvé cette solution pour ne pas avoir à arrêter de fumer : « Comme c’est une addiction, ils en profitent. Au début, quand ils ont commencé à augmenter, il se disait que c’était pour boucher le trou de la Sécu. Je ne suis pas sûr que l’argent de l’augmentation soit réellement allé dans les caisses de la Sécurité Sociale. » Pour lui, la mesure est donc inefficace. « C’est une drogue. On n’arrête pas une drogue comme ça. Les gens qui touchent le RSA et qui prennent de la cocaïne, ils n’arrêtent pas pour des questions d’argent. Le tabac, c’est pareil. Les gens vont se serrer la ceinture sur autre chose pour pouvoir acheter leur tabac. »

C’est vrai que ça encourage à arrêter. 

Léa, fumeuse

Emmitouflée, sacs de courses à la main, Léa s’est arrêtée sous le porche d’une boutique clermontoise pour une pause cigarette. Cette infirmière de 25 ans fume depuis un peu plus d’un an. Plus pour longtemps, elle l’espère. « Je fume un paquet par semaine, à peu près. J’aimerais bien arrêter. Je trouve que l’augmentation des prix incite à lever le pied. Même si quand j’ai commencé, le paquet n’était pas forcément beaucoup moins cher ! » Attendant le tramway, Bernadette a sorti une cigarette. Face à la question de l’augmentation, elle coupe court et lance : « On fumera un peu moins et puis voilà ! »

Le tabac, un marqueur social

A noter que selon une étude de Santé Publique France, la prévalence du tabagisme est la plus élevée parmi le tiers de la population dont les revenus sont les plus bas (33,6 %). La prévalence du tabagisme quotidien est nettement plus élevée lorsque le niveau de diplôme est plus faible : 30,8 % parmi les personnes n’ayant aucun diplôme ou un diplôme inférieur au Baccalauréat ; 16,8 % parmi les titulaires d’un diplôme supérieur au baccalauréat. Enfin, parmi les 18-64 ans, la prévalence du tabagisme quotidien reste nettement plus élevée parmi les personnes au chômage (42,3 %), que parmi les actifs occupés (26,1 %) ou les étudiants (19,1 %). Les plus modestes, ceux qui fument le plus, sont donc les plus affectés par ces augmentations successives. "Les inégalités sociales en matière de tabagisme restent très marquées", indique l'étude. 

Un progamme national de lutte contre le tabac

Cette augmentation du prix du tabac s’inscrit dans un plan de lutte contre le tabagisme pour "relever le défi d'une génération débarrassée du tabac dès 2032", selon le gouvernement. Ce nouveau programme national de lutte contre le tabac (PNLT) 2023-2027 s'appuie principalement sur "le renforcement de la fiscalité et les interdictions entourant le tabac", a exposé le ministre de la Santé et de la Prévention, Aurélien Rousseau. L'objectif est notamment de prévenir l'entrée dans le tabagisme, en particulier des plus jeunes, et de mieux aider les fumeurs à stopper, spécialement les plus modestes. En parallèle, des espaces sans tabac, matérialisés par des panneaux, vont être généralisés à toutes les plages, parcs publics, forêts et près de certains lieux publics, comme les établissements scolaires. 

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