Dans le documentaire "Celles qui restent" de la réalisatrice clermontoise Lucie Villevaud, six femmes témoignent des violences physiques et morales qu'elles ont subi et dont elles se sont délivrées. Parmi elles : Stéphanie, 50 ans, veut porter un message d'espoir et de soutien aux autres victimes.
Il y a dix ans, Stéphanie n'aurait jamais raconté ce qu'elle a vécu. Les insultes, les menaces, les coups de son ex-mari. La peur, la honte et le silence de l'entourage. En début d'année 2024, elle a finalement accepté d'être filmée par la réalisatrice clermontoise Lucie Villevaud. Aux côtés de cinq autres femmes, elles aussi victimes de violences physiques ou morales, elle se livre sur ce quotidien traumatisant et la façon dont elle s'en est sortie. Un témoignage adressé à "Celles qui restent", comme est intitulé le documentaire, pour leur venir en aide.
"Être utile à d'autres femmes"
"J'ai pris suffisamment de recul pour pouvoir parler. Je me suis dit que ça pourrait être utile à d'autres femmes qui vivent ou ont vécu la même chose que moi", explique la Puydômoise de 50 ans, soutenue dans ce projet par ses deux filles. Toutes les trois ont quitté la maison de famille en fin d'année 2011. Les filles avaient 9 et 13 ans. Stéphanie et leur père étaient mariés depuis plus de dix ans. "Les trois dernières années ont été les pires. Cela faisait longtemps que ça n'allait pas mais c'est insidieux, ça s'installe progressivement et on ne se rend pas forcément compte. Ce sont d'abord des petites paroles et puis ça monte progressivement", détaille-t-elle.
Du plus loin qu'elle se souvienne, les premières violences ont surgi autour "d'une histoire d'omelette aux pommes de terre". "Elle n'était soi-disant pas cuite correctement. Cela a pris un débordement énorme. J'ai eu des insultes, que je n'étais bonne à rien", se souvient-elle. Le quotidien familial est ponctué de ces "crises de colère" qui surgissent au moindre prétexte.
Je me suis empêchée de vivre. Le soir, il fallait vite que les filles aillent se coucher et moi aussi pour que l'on soit dans le noir et que l'on n'ait pas à vivre toutes ces violences.
StéphanieAncienne victime de violences conjugales
Cela a duré des années. "Quand je rentrais chez moi avec la boule au ventre, je n'avais pas le déclic. Quand j'entendais mon mari menacer de se suicider en se baladant avec un fusil devant nous, toujours pas de déclic. Je pense que j'avais peur, je ne savais pas quoi faire, ni vers qui me tourner. Un soir, il m'a secouée par les cheveux et a tenté de m'étrangler. J'ai attendu qu'il s'endorme, on a fait une petite valise et on est parties", se remémore Stéphanie.
Le silence de l'entourage
La mère de famille a trouvé de la force auprès de ses proches. Elle s'est réfugiée chez ses parents, pendant deux ans. Le temps de "se retourner" et que ses deux filles finissent leur scolarité dans les établissements où elles étaient inscrites. Avant de prendre la décision de partir, elle n'était jamais parvenue à mettre des mots sur ce qu'elle vivait. "Je ne ressentais que de la honte : de vivre avec cet homme, d'élever mes filles dans cet environnement, de ne pas réussir à partir. Dans ces situations, certaines personnes de l'entourage ont l'air de ne pas voir ce qu'il se passe, alors qu'elles entendent les propos... Mais elles ne font rien. Ça aussi, c'est difficile."
Il y a aussi eu cette fois où ses filles se sont retrouvés enfermées dehors, lors d'un week-end chez leur père. Une séquence que Stéphanie raconte dans le documentaire. "Au commissariat, nous nous étions face à une femme très froide. Je ne devais surtout pas parler. C'était très dur parce que j'avais le sentiment d'être jugée et de ne pas être crue. Des gens n'imaginent pas ce que l'on peut vivre. On a l'impression de toujours être accusée de quelque chose. En fait, on sort de violences et on se retrouve de nouveau face à une autre sorte de violence."
Stéphanie se dit aujourd'hui "guérie" de cette période traumatisante. "Maintenant, j'avance dans la vie en sachant ce que je veux. J'ai toujours été féministe, mais je crois que je le suis devenue encore plus", estime-t-elle. Cette ancienne victime encourage toutes les femmes à se tourner vers des associations à la première alerte. "Il ne faut pas avoir peur. J'ai envie de leur dire "Vous n'êtes pas seules". Il ne haut pas hésiter à parler et à prendre tout le soutien que l'on trouve autour de nous. Je pense qu'il y a une sororité, de plus en plus forte, et il y a peut être des femmes qui seront prêtes à ouvrir leur porte pour aider."
Avec du recul, je pense que dès que l'on ne se sent pas à l'aise, c'est un signal. Une relation et une vie de famille doivent être un cocon. On doit avoir envie de rentrer et de partager des choses. Si ce n'est pas le cas, il y a un problème.
StéphanieAncienne victime de violences conjugales
Se livrer face à une caméra a fait resurgir en elle beaucoup d'émotions. "Je pense qu'il y a des choses enfouies en nous, que l'on cache et que l'on ne voudrait pas voir ressortir. J'ai beaucoup pleuré lorsque j'ai vu le documentaire. Je suis contente de l'avoir fait", confie-t-elle. Diffusé en ligne sur la chaîne youtube de la réalisatrice Lucie Villevaud, le documentaire "Celles qui restent", sera projetté au café-théâtre Défonce de rire de Clermont-Ferrand le 23 juin à 18 heures et au tribunal judiciaire de Moulins, dans l'Allier, le 28 juin à 18 heures.
Les victimes de violences cojugales, sexuelles ou sexistes ainsi que les témoins dans leur entourage peuvent contacter le 3919, numéro national de référence pour l'écoute et l'orientation. Gratuit et anonyme, il est accessible 24h/24 et 7j/7.