Victor Mornac : ce bandit auvergnat qui a terrorisé le Puy-de-Dôme au XIXème siècle

Au XIXème siècle, l'Auvergne avait son Jack l'éventreur. Contrairement au londonien, il n'a éventré personne mais la simple évocation de son nom faisait trembler, de Laqueuille, d'où il était originaire, à Clermont-Ferrand. Il se nommait Antoine Victor Mornac mais tout le monde l'appelait Mornac.

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Durant une trentaine d'années, en plein milieu du XIXème siècle, le bandit auvergnat Victor Mornac sème la terreur dans les campagnes du côté de Laqueuille ou Rochefort-Montagne dans le Puy-de-Dôme. Mornac était fort, vigoureux et impulsif. Il aurait battu à mort un paysan pour lui voler son argent, rossé sans pitié un compagnon de beuverie ou encore étranglé une jeune femme à mains nues. 

Mais était-il véritablement le monstre que la rumeur a fait de lui ? Une chanson, écrite par un certain Marchal après le procès qui envoya Mornac au Bagne, alimente le mythe : « Dans les montagnes de l'Auvergne / régnaient la terreur et l'effroi. / Et jusqu'aux plaines de la Limagne / Ton nom mettait tout en émoi. » Sanglant, effroyable, assassin, épouvantable... Le champ lexical utilisé par Marchal pour décrire le personnage et ses crimes ne laisse pas de place au doute : Victor Mornac est un tueur sanguinaire ! Christian Robert dans « Histoires d'Auvergnats » ( Editions des Monts d'Auvergne ) rappelle, dans le chapitre qui lui est consacré, que de son vivant, « l'histoire de Mornac était racontée dans les campagnes auvergnates lors des veillées. On allait même jusqu'à s'en servir auprès des enfants turbulents : "si tu n'es pas sage, je vais faire venir le père Mornac !" »

Depuis, deux romans ont raconté sa vie. Le premier a été publié en 1892, « Les exploits de Mornac » (Editions du Miroir), sous la plume de Jean de Champeix. Ce dernier laisse libre court à son imagination pour combler les lacunes de l'Histoire. Un an plus tard, peut-être exalté par la puissance romanesque et romantique du personnage, l'auteur signe un second ouvrage intitulé « La fille de Mornac » dans lequel notre incorrigible auvergnat séduit une princesse qui lui donnera un enfant. Cet épisode, nous explique Bernadette Foll qui a longuement étudié le personnage, n'est relaté dans aucun ouvrage ou document historique.
Le second témoignage, écrit par Pierre Balme en 1944, s'accorde davantage avec la réalité : « Parmi nos lectures sur le sujet, seul un ouvrage historique, "Mornac, La terreur des montagnes" (Editions REVOIR), par Pierre Balme, s'est avéré fidèle aux informations recueillies dans les archives départementales du Puy-de-Dôme » écrit Bernadette Foll dans son mémoire publié sur le site internet du CGHC, Cercle Généalogique et Historique Champanellois. 

Légende ou réalité ?

Pour défricher la légende et en extraire quelques pousses de vérité, Bernadette Foll s'est engagée dans une enquête minutieuse. Il y a de cela une vingtaine d'années, nous raconte-telle, l’infirmière décide de passer une maîtrise de sciences-sociales. Elle choisit Mornac pour son mémoire d'Histoire et pour enquêter, elle sera largement épaulée par le Cercle Généalogique et Historique Champanellois, une association dont l'objectif est de recueillir un maximum d'informations sur la commune de Saint-Genès-Champanelle et de ses environs. On y apprend qu'à l'époque de Mornac, le rouleau compresseur des fake news tournait déjà à plein régime et pouvait vous faire une réputation malgré vous. Avant de s’apitoyer sur les victimes du tueur sanguinaire, Bernadette Foll, sans pour autant réhabiliter Mornac, rappelle que le « folklore auvergnat » a bien entretenu la légende : « Du roman aux archives, la trame de la vie de notre héros est la même mais des détails diffèrent. ».

Son visage est expressif quoique sombre, garni d'une longue barbe, le rendant mystérieux.

Bernadette Foll

Tous les textes s'accordent sur un point : Victor Mornac est un gaillard impressionnant. De ses lectures, Bernadette Foll tire un portrait saisissant du personnage : « Sa stature est grande (…) Son visage est expressif quoique sombre, garni d'une longue barbe, le rendant mystérieux. On lui prête une rudesse de la voix ainsi que des façons brusques et ce, dès son plus jeune âge. Sur la route, il est croisé muni d'un chapeau de montagne aux bords rabattus sur son visage, protégeant une certaine clandestinité... » Le document qui atteste de la présence de Mornac au bagne de Toulon corrobore avec ce portrait. Il y est consigné sa taille ( un mètre soixante-seize, un géant pour l'époque), la couleur de ses yeux (gris), la vigueur de sa barbe (forte).
 

Sous le chapeau, la brute dissimule aussi une intelligence et une éducation. Une lettre de Mornac adressée au procureur de la République retrouvée par l'auteur Pierre Balme prouve que le gaillard savait écrire. Les ouvrages et les actes de naissances attestent de ses origines : l'homme est né dans une famille instruite (un père chirurgien) et il aurait commencé sa carrière comme instituteur libre. Le premier méfait qu'on lui prête date d'ailleurs de cette époque. Il aurait violemment admonesté un autre instituteur qui lui reprochait d'exercer ce métier sans diplôme. Plus tard, il s'en prend aux gendarmes, ne retenant ni sa langue, ni ses poings. Sa violence le conduit au bagne de Toulon où il effectuera dix ans de travaux forcés. 

Et c'est à partir de là que tout bascule. Dès lors, Victor Mornac vagabonde et partout où il passe, sa réputation le précède. Un édifice auquel Mornac lui-même aurait ajouté quelques pierres : une lettre écrite par deux forçats du bagne de Toulon adressée au Procureur de la ville de Clermont-Ferrand, raconte l'assassinat d'une jeune fille pour de l'argent. L'auteur du crime ? Mornac. Mais il semble qu'il soit aussi l'auteur de l'histoire puisque c'est lui-même qui aurait conté l'épisode aux deux forçats. 
 

« Je me précipite sur elle, la prend au gosier et je l'étrangle. »

La mort mystérieuse d'Anne Gaudet fait beaucoup parler les habitants du village de Laqueuille (Puy-de-Dôme) à l'époque. Le corps de la jeune fille avait été retrouvé dans une rivière près du village. Selon l'enquête, elle se serait noyée. Personne ne cherche à trouver une autre explication jusqu'à ce mois de juillet 1836, lorsque le procureur du Roi reçoit la lettre des deux compagnons de bagne de Victor Mornac. Un extrait des, soit-disant, aveux du criminel est retranscrit dans le registre de greffe de la Cour d'assises de Riom qui renvoya Mornac au bagne jusqu'à la fin de ses jours : « Sur la fin de 1827 ou au commencement de 28, me rendant dans les environs de ma commune pour dépouiller un jeune homme, je vis une fille que je croyais malheureuse, compter une pile d'écus ; enchanté de ma découverte, je frappe à sa porte, en la nommant ; elle s'empresse de venir m'ouvrir, je me précipite sur elle, la prend au gosier et je l'étrangle. Je m'empare de la gamelle qu'elle avait déposée sur son lit et dans laquelle se trouvaient 700 francs en argent et 2 pièces d'or de 40 francs. Je portais son cadavre à côté d'une rivière et l'on crut qu'elle s'était noyée. »

Au bagne de Toulon où il confie cette histoire à ses co-détenus, Victor Mornac restera dix ans. A sa sortie, son nom est de nouveau très rapidement lié à de sales histoires. La mort de Marien Bony d'abord, retrouvé gisant dans un fossé après avoir passé la nuit à festoyer aux côtés de Mornac. Il décède de ses blessures, quelques heures plus tard, avant d'avoir pu révéler ce qui lui était exactement arrivé. 

Le même voile de mystère recouvre la mort de Jean Barrier. Ce dernier revenait du marché de Montferrand, enrichi par la vente de ses brebis. En route, il aurait croisé le chemin de Mornac et même diné en sa compagnie à l'Auberge de la Mort Raynaud (aujourd'hui Moréno). Le lendemain matin, on le retrouve inanimé dans un fossé. Le blessé affirme avoir été attaqué, puis revient sur ses déclarations. Il aurait désigné Mornac comme son agresseur quelques jours avant d'expirer, « sous la pression de son entourage » nous rappelle Bernadette Foll dans son mémoire.

Les récits de ces deux épisodes pour lesquels Victor Mornac finira ses jours au Bagne sont racontés dans tous les ouvrages qui lui sont consacrés. Mais que ce soit dans le roman de Jean de Champeix ou dans celui de Pierre Balme, ces récits divergent sur de nombreux points. 

Le manque de preuves de la culpabilité de Victor Mornac ne distillera pas le doute dans la tête des huit jurés qui le déclareront coupable des faits qui lui sont reprochés lors de son procès. En revanche, le bénéfice du doute lui sera accordé, presque cent-cinquante années plus tard, par l'auteur d'une bande dessinée. Georges Begon collabore depuis de nombreuses années à la Galipote lorsque le journal satirique auvergnat publie en 1991 « Sur les traces de Mornac », une bande dessinée qui fait davantage du « bandit de grand chemin » une victime de la vindicte populaire et d'une justice trop pressée de trouver des coupables qu'un réel meurtrier sanguinaire. « Le pouvoir se sert de ma personne pour refroidir les vrais coupables ! » fait-il dire à son personnage principal, le croquant le visage scandalisé par l'injustice dont il fait l'objet. Selon Bernadette Foll, Georges Begon voyait en Mornac « un rebelle épri de liberté, victime de sa marginalité. »

De l'Auvergne à la Bretagne

Beaucoup d'incertitudes ont entouré la mort de Mornac. Les uns l'ont fait mourir au bagne de Cayenne, d'autres dans celui de Toulon. Finalement, un article du quotidien La Montagne, paru en 2004, retrouve les preuves de son transfert à la forteresse de Belle-Ile-en-Mer lorsque, le jour de ses 60 ans, il bénéficie de la loi du 30 mai 1854 instaurant la retraite à 60 ans pour les bagnards. Sept ans plus tard, déclaré aliéné mental, il rejoindra l'asile de Léhon en Bretagne où il décèdera en 1869, à l'âge de 68 ans. 
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