Une foule de corps immobiles créés par les grands artistes du mouvement de l'hyperréalisme. Avec « Ceci n'est pas mon corps », Lyon se transforme en capitale de ce mouvement artistique qui cherche à imiter les formes et les textures du corps humain pour en offrir l’illusion parfaite. Une exposition inédite en France, à découvrir à la Sucrière
Dès l'entrée de l'exposition, une jeune femme brune, visage caché, corps ployé face à un mur… Comme une réplique exacte de la réalité qui interroge: que fait-elle ? Pleure-t-elle ? Existe-t-elle ? Mais non, « Caroline » n’est pas vivante. C’est une sculpture de résine de polyester de l'artiste français Daniel Firman. C’est ça, l’hyperréalisme. Imiter la réalité pour brouiller le réel.
Imiter le réel pour le sublimer
Nus ou habillés, debout, assis ou couchés, célèbres ou inconnus, les personnages de l'exposition itinérante "Ceci n'est pas un corps" se sont installés cette semaine au dernier étage de la Sucrière, à Lyon. Une quarantaine d'œuvres, une quarantaine de corps. Leurs formes, leurs contours, leurs textures troublants de réalités. "Au-delà de la performance technique des statues de cire proposées par les musées type Grévin ou Tussauds, l'hyperréalisme veut capter l'âme humaine: il s'agit d'exacerber le réel pour nous atteindre", souligne Benoit Remiche, l’organisateur de l’exposition.
Un mouvement poétique et politique
L'hyperréalisme est né aux Etats-Unis dans les années 60, en même temps que le pop art d'Andy Warhol. Un contrepoint à l'esthétique dominante de l'art abstrait. Des sculptures qui utilisent des techniques traditionnelles de modelage, de moulage et de peinture et permettent à chaque artiste de délivrer son propre message… « A force de vouloir représenter le réel , le réel s'échappe, donc c’est une création mais dans cette création on fait vivre les sentiments. On a envie de savoir au fond quelle est cette personne qui se cache derrière, quelle est son histoire ? Quand on voit la mendiante marocaine, par exemple, on a envie de savoir quel est son destin, d’où vient-elle, pourquoi est-ce qu’elle est dans cette misère mais aussi dans ce sentiment d’abandon ? », ajoute Benoit Remiche.
Car à travers ces ongles, ces poils, ces rides saisissants de réalisme, les artistes racontent le corps humain avec une maîtrise épatante. Des histoires métaphysiques qui interrogent et que le spectateur se plait à observer sous tous les angles, jouissance voyeuriste aussi inédite qu'éphémère.
Troublant reflet de la société
De l'Australien Ron Mueck, surnommé le "Pape de l'intime hyperréaliste" pour ses créations d'une précision saisissante, à l'Américain Duane Hanson, un des pionniers du genre, l'exposition présente une trentaine d'artistes internationaux.
Nouveau-né géant encore gluant de placenta, nageuses de silicone au buste perlé d'eau, un sans abri au corps distendu par un empilement de cartons. Des œuvres très différentes qui illustrent la diversité du mouvement. Comme la variété des réactions qu'elles peuvent susciter.
Émotion, malaise, dégoût, curiosité, pour ces similis de vie qui se figent sous les yeux du spectateur. Miroirs de notre époque et de nos sociétés tourmentées… Une imagerie humaine saisissante de vérité, à découvrir jusqu'au 6 juin à la Sucrière…