Il a la culture du trait d'union. Ancien boxeur pro issu de Vaulx-en-Velin, où il a été l'un des premiers médiateurs de quartier, Abdel Belmokadem et son entreprise "Ness et Cité" se donnent pour mission de dénicher des talents dans les cités... et de les présenter aux entreprises qui recrutent. Il s'appuie sur son expérience personnelle, et met son réseau à la disposition des candidats, qu'il accompagne. Rencontre sur le plateau de "Vous êtes formidables"

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Le monde de l’emploi est parfois comme un ring. Ancien boxeur, Abdel Belmokadem le sait parfaitement. Il dirige depuis plus de 20 ans le cabinet « Nes et Cité », qui œuvre pour l’égalité des chances face à l’emploi. Permettre à des jeunes, garçons et filles, originaires de banlieue comme de zones rurales, de trouver leur place dans la société par le travail, alors qu’ils ne disposent d’aucun réseau professionnel, est, plus spécifiquement, sa vocation.


Il a passé ses 25 premières années à Vaulx-en-Velin, dans le quartier du Mas-du-Taureau. Un quartier dont la réputation a été marquée pour longtemps, après les émeutes qui s’y sont déroulées en octobre 1990, après la mort d’un jeune habitant dans un accident de moto. 


Il en gardé un souvenir très fort. « Les gens le vivaient très mal. Ils avaient du mal à sortir de chez eux. C’était compliqué, même pour aller acheter sa baguette de pain. Une solidarité s’est mise en place, notamment pour aider les seniors » se souvient-il. « Avec ma bande copains de l’époque, on savait, alors qu’il était déjà difficile de trouver un emploi, que cela allait devenir très compliqué. »

Je me suis un peu improvisé Superman en culottes courtes

C’est alors qu’Abdel est devenu le premier médiateur entre les jeunes du quartier et les forces de l’ordre. Une fonction qui, à ce moment-là, n’existait pas. « J’étais sportif de haut-niveau, en tant que boxeur professionnel. Les gens me connaissaient. Je me suis un peu improvisé Superman en culottes courtes, en essayant de convaincre tout le monde de rentrer chez soi pour créer, ensuite, les conditions du dialogue avec la police, les institutions, les politiques… » 


L’image lui est restée collée à la peau, et, un an plus tard, le premier poste de médiateur, en France, a été créé dans le cadre de la politique de la Ville. « C’est Vaulx-en-Velin qui a hérité de l’expérimentation. Et le maire de l’époque et son équipe m’ont appelé pour jouer ce rôle. »


La boxe, il l’avait choisie pour de bonnes raisons. « C’est l’école de la vie. J’y suis tombé dedans par hasard à l’âge de 6 ou 7 ans. J’ai ouvert un livre et j’ai vu le peignoir de Mohamed Ali, avec son nom brodé dessus. Le soir, quand je suis rentré, j’ai écrit mon nom sur celui de mon père. Je me suis pris pour un boxeur, et c’est parti comme ça…» sourit-il.


Il croit en l’universalité du sport. « Il permet aussi le dépassement de soi, la rigueur, le travail… Il apporte aussi la souffrance, pour obtenir des résultats. La boxe, en particulier, c’est l’art de savoir donner des coups sans en prendre», ajoute-t-il.

Quand on voit son père se lever à 4h30 du matin pour aller au boulot, alors qu’il est analphabète, et qu’il nourrit toute une famille, ça donne envie de travailler


Mais il n’y a pas eu que le sport pour lui permettre de ne pas sombrer dans la délinquance. Il le dit lui-même « La tentation était grande » Mais il a résisté. « Tout simplement, j’ai eu une éducation. Mes parents étaient derrière moi. Et puis, le sport, ça aide aussi à se structurer, à sortir de son environnement quotidien, de son quartier, à voir d’autres personnes», précise Abdel.


Lorsqu’on lui demande des détails sur cette éducation, les exemples lui viennent spontanément. « Nous, on était réputés pour ne pas sortir avant 16 ou 17h, parce qu’on faisait la sieste. Mon père nous l’imposait à la maison, alors qu’on avait plutôt envie de trainer dans le quartier. Aujourd’hui, je remercie mes parents parce que, moi, j’étais un garçon turbulent qui faisait beaucoup de sport. Et j’avais besoin de récupération. Le week-end, grâce à eux, je ne perdais pas ce temps précieux à faire des conneries… »


Plus encore, ses parents étaient des modèles pour lui. « Quand on voit son père se lever à 4h30 du matin pour aller au boulot, alors qu’il est analphabète, et qu’il nourrit toute une famille, ça donne envie de travailler », assure notre interlocuteur. 


De quoi évoquer d’autres jeunes, qui, aujourd’hui, n’ont pas toujours ce genre de modèle sous les yeux, ne serait-ce que parce que leurs parents n’ont pas d’emploi. « Il est certain que, lorsqu’on ne travaille pas, c’est beaucoup plus compliqué d’assoir sa légitimité. Mais, même quand on connaît des accidents de parcours, cela n’empêche pas de tenir ses responsabilités. Quand on est chef de famille, il faut les tenir », réplique sans hésiter Abdel.

Le nerf de la guerre, dans les quartiers, il est là : l’éducation et l’emploi.


Pour devenir un bon médiateur, il a appris… sur le terrain. « Il faut être à la rencontre du public et des jeunes, au quotidien. Au début, c’était plus facile parce que j’ai exercé dans mon quartier. Et ensuite, lorsque j’ai dû en sortir, c’était plus difficile, mais j’avais quelques bases. Les gens adhéraient à ce que je leur proposais. C’est-à-dire, essentiellement, de trouver un boulot. »


Pour Abdel Belmokadem, c’est le nerf de la guerre. « Quand vous allez vers les gens qui ont besoin de travailler, de s’inscrire dans un parcours, et qui ont aussi besoin de rêver, et que vous leur permettez d’accéder à cela… Et puis, surtout, qu’il y a une finalité… Le but, c’est la formation ou l’emploi, et, quand ça marche, cela produit des résultats. »


Il a fait preuve de persévérance. Mais cela n’a pas suffi. « Il a fallu du réseau, notamment dans le monde économique. Encore une fois, le nerf de la guerre, dans les quartiers, il est là : l’éducation et l’emploi. »


Plus tard, le médiateur a franchi un pas en rejoignant l’équipe municipale. Abdel Belmokadem est devenu adjoint au maire de Vaulx-en-Velin. Il a pourtant hésité. « Je n’avais pas envie, pour être honnête. Cela ne me correspondait pas. J’avais alors décidé de tenter l’aventure entrepreneuriale et de redonner à mon quartier ce qu’il m’avait donné. Je me suis dit qu’en m’engageant politiquement, je pourrai changer le cours de l’Histoire, et la faire évoluer comme la mienne a évolué. En réalité, c’est beaucoup plus compliqué », résume-t-il.


Il fera deux mandats avant de démissionner. « Je ne faisais pas partie du sérail, et je n’en avais pas envie. Je n’en avais pas les codes, et je ne voulais pas les avoir. Et, surtout, j’ai découvert qu’avec mon entreprise, je faisais davantage de politique où je voulais, comme je voulais, et avec qui je voulais », explique Abdel. « Le pouvoir de choisir sa vie, je me le suis aussi appliqué à moi-même… Pour aider encore plus efficacement les Vaudais et tous ceux que l’on rencontre en France aujourd’hui. »

Rapprocher deux mondes qui s’ignorent


Il a donc créé « Nes et Cité », avec l’objectif d’aider les jeunes –et les moins jeunes- à trouver un emploi. L’idée principale étant que les banlieues, comme les zones rurales, sont pleines de talents qui s’ignorent, et que les entreprises ignorent aussi. « Absolument, il s’agit de rapprocher deux mondes qui s’ignorent. Le monde de l’entreprise et celui des jeunes des quartiers qui n’ont pas de réseau. C’est un trait d’union. »


Avec un pied dans les deux mondes, Abdel met son expérience au bénéfice des publics qui en ont le plus besoin. « J’ai travaillé pendant plus de 20 ans à développer mes propres réseaux. Aujourd’hui, les actions que l’on développe en faveur de l’emploi et du recrutement, permettent donc à chacun, à travers nous, de pouvoir y accéder. »


Il crée notamment des forums de rencontre. Mais pas n’importe comment. « Pour réussir cette mission, il faut mettre les moyens et les meilleurs. L’idée est de ne pas faire des choses en concurrence avec ce qui se fait aujourd’hui, notamment par Pôle emploi et les Missions locales. »


Il lance une idée un peu folle. Faire venir des camions 33 tonnes de luxe, en Ile-de-France, pendant trois ans, pour y organiser ses forums. « Cela a plutôt bien marché », souligne-t-il. Il a aussi implanté ses rendez-vous au Stade de Gerland, à Lyon, en étant inspiré par les loges VIP. « Comme c’est un lieu inaccessible pour le commun des mortels, j’ai décidé d’organiser là un job-dating. Jean-Michel Aulas a été la première personne à croire en ce projet. Et je l’en remercie… »

face à Alain Fauritte ©francetv


Abdel Belmokadem fait partie de ceux qui estiment que l’on gâche beaucoup d’argent public dans les cités. « Moi, j’ai vécu pendant 25 ans dans un taudis. Cela ne m’a pas empêché de vouloir réussir ma vie. Au contraire, cela a même été une source de motivation. Aujourd’hui, les choses ont changé. On a mis beaucoup d’argent pour démolir et reconstruire les quartiers. Sur les 30 ou 40 dernières années, cela représente des milliards. Alors que, dès le départ, c’est sur l’emploi et l’éducation qu’il fallait investir », regrette-t-il.


Mais la politique évolue. « Depuis quelques années, notamment à travers le Plan d’Investissement dans les Compétences, porté par Pôle Emploi et l’Etat, on voit une manne financière enfin dédiée à ces territoires que sont la formation, l’éducation et l’emploi. On aurait dû le faire il y a 50 ans », insiste notre expert.

Les publics qui viennent de ces territoires ont vraiment envie de s’en sortir. Et ils s’engagent.


Du côté des entreprises, les mentalités ont, elles-aussi, beaucoup évolué. « On leur a fait découvrir, parmi d’autres, des niches de talents qui ont envie de s’investir dans l’entreprise. Aujourd’hui, c’est une denrée rare. » Il développe : « Les publics qui viennent de ces territoires ont vraiment envie de s’en sortir. Et ils s’engagent. Quand les entreprises découvrent ça, elles ont encore plus envie de nous accompagner sur ces sujets. »


Tout le système y trouve son compte. « Ce n’est pas un geste de bon Samaritain. C’est aussi une démarche pour l’entreprise, qui a besoin de faire du business. Aujourd’hui, pour gagner de l’argent avec une activité professionnelle, il faut trouver des personnes qui répondent présent », rappelle Abdel.


Et ça donne des résultats concrets. « En 20 ans, on a croisé plus de 30 000 personnes sur nos événements. Et plus de 8000 personnes ont trouvé un emploi grâce à nous », détaille le chef d’entreprise. « Il y a trois ans, nous avons lancé notre offre de recrutement et de placement sur le thème de l’égalité des chances. Environ 200 personnes supplémentaires ont trouvé un emploi en plus », ajoute Abdel Belmokadem.

Le rêve fait partie des ingrédients qui permettent d’avancer dans la vie


« Ness et Cité » se développe. Une antenne a été ouverte à Marseille, ainsi qu’en Ile-de-France. « C’est assez nouveau pour nous. On essaye de raisonner au niveau national, comme au niveau local », se réjouit ce patron, qui est aussi Conseiller à la Commission européenne sur l’emploi et l’insertion. « On discute avec pas mal de pays étrangers, qui s’intéressent à ce que l’on fait. »


On dit souvent que l’ascenseur social est cassé… « Je pense, moi, qu’il n’y en a jamais eu. En tout cas, dans la facilité…», rétorque Abdel. « Aujourd’hui, le combat consiste à démontrer que tout est possible. Notre travail quotidien, c’est de continuer à faire rêver ces jeunes. La meilleure façon de les faire rêver, c’est de les mettre en situation. De les accompagner, de les aider à définir un objectif pour l’atteindre. »


Pour Abdel, le rêve n’est pas un ingrédient négligeable. « Inconsciemment, à travers mon parcours, j’ai envie de dupliquer ce que j’ai connu et qui a marché. Le rêve fait partie des ingrédients qui permettent d’avancer dans la vie », avoue ce fan de Mohamed Ali. « J’ai surtout rêvé d’être comme lui, d’avoir mon nom sur mon peignoir quand je montais sur le ring, et je l’ai eu. »

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