A l'Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) Vilanova de Corbas, près de Lyon, le personnel a fait le choix de vivre 24 heures sur 24 avec les 108 pensionnaires. Un choix de confinement pour préserver leur vie mais le lien avec les familles n'est pas rompu.
Alors que le Coronavirus commence à faire des victimes parmi les personnes âgées au sein des maisons de retraite, un Ehpad de la Métropole de Lyon a pris les devants....
"En ces temps de confinement, d'isolement social, ici nous avons pris la décision de rester en permanence dans la maison pendant 2 semaines. Tout d'abord, en qualité de directrice je remercie toutes les femmes et hommes qui se dévouent pour les résidents (...). Les 29 personnes volontaires pour rester confiner, loin de chez eux et de leur famille. Vous êtes superbes !" Le confinement de l'Ehpad Vilanova a débuté le 18 mars au matin par ce long message posté sur Facebook.
Solution radicale dans la lutte contre le Covid-19
Depuis le mercredi 18 mars, l'Ehpad Vilanova de Corbas, au sud-est de Lyon, s'est donc placé en confinement total. "Une solution radicale dans la lutte contre le Covid-19". Une partie du personnel a décidé de rester auprès des 108 pensionnaires durant les 15 jours du confinement. Une adhésion spontanée. Ce matin-là nous sommes arrivés avec nos sacs de couchage et nos valises pour rester auprès des résidents, explique la directrice de l'institution.Elle a installé un lit dans son bureau. "Mais nous ne manquons pas de place," résume-t-elle. Et si le confinement devait durer plus que quinze jours ? "On a voté à main levée, et nous avons pris la décision aujourd'hui même de tenir jusqu'au 8 avril," annonce-t-elle, "ouvrir les portes avant c'est trop tôt !" Et de préciser "mais si c'est trop dur, ceux qui voudront partir avant le pourront...Ils doivent se sentir libres de rester ou de partir! Ce n'est pas l'Hôtel California ici !" ajoute la dynamique directrice avec humour. Une jeune quinquagénaire qui ne mâche pas ses mots.Le personnel doit se sentir libre de rester ou de partir... Ce n'est pas l'Hôtel California ici !
Les salariés confinés étaient 29 au départ, et ce sont aujourd'hui 27 personnes, directrice comprise, qui vivent au quotidien auprès des pensionnaires. Du personnel qui travaille en deux équipes, de 6h30 à 20h30 et de 20h30 à 6h30.
En résumé la vie à l'Ehpad Vilanova aujourd'hui, c'est "énormément de travail pour les équipes" mais "une ambiance sereine et privilégiée". Le confinement et la décision prise dans cet établissement pour personnes dépendantes a visiblement "renforcé les liens", crée une solidarité au sein des équipes. Ce sont des infirmières, des aides soignantes et du personnel d'entretien qui sont confinés et restent 100% du temps avec les pensionnaires.Je sais qu'on est au bon endroit, au bon moment !
Le personnel administratif a été mis en télétravail. Les personnes avec enfants à charge, ou à risques sont rentrées chez elles.
Une équipe soudée. La directrice a rendu hommage à chacun.
Comment ont réagi les pensionnaires lorsqu'ils ont compris que le personnel resterait confiné ? "Ils étaient rassurés. Et certains ont réagi avec amusement en voyant par exemple la directrice en robe de chambre le matin au petit déjeuner, ou l'équipe de nuit en pyjama, en plein jour..."
Pour Lidia Urbano, dont la mère âgée de 90 ans réside dans cet établissement depuis novembre, la directrice a pris "la meilleure décision possible" dans un premier temps en confinant les pensionnaires le 6 mars dernier, puis en prenant la décision de fermer totalement l'Ehpad avec du personnel volontaire. Comment a-t-elle pris le fait de ne plus pouvoir rendre visite à sa mère ? "Au début, avec ma soeur et mon frère, on était attristés. C'était une grosse déception, ne pas pouvoir aller la voir chaque jour," explique-t-elle, "mais à présent on sait que Mme Martin a pris la meilleure décision."Rester auprès des pensionnaires, c'est héroïque ce qu'ils font...ils ont droit à toute notre admiration !
Lidia se souvient d'ailleurs une conversation avec l'énergique directrice : "Elle m'a dit - "On passe pour des barges en voulant confiner tout le monde et on est les premiers en France à l'avoir fait!-"
La déception s'est envolée au bout de quelques jours et elle veut saluer aujourd'hui l'engagement du personnel de l'Ehpad et la décision courageuse de rester auprès des pensionnaires : "C'est héroïque ce qu'ils font, abandonner leurs enfants, parfois en bas-âge, leurs conjoints ou leurs parents, pour être auprès des pensionnaires. Ils ont droit à toute notre admiration et je ne sais pas comment on va les remercier !" et d'ajouter : "il faut parler d'eux, les mettre en avant...".
Dépendante, Gina, la maman de Lidia Urbano, souffre de la maladie d'Alzheimer et sa fille est rassurée de la savoir dans cet établissement, à moins de deux kilomètres de chez elle. Un réconfort psychologique: "malgré le marasme ambiant, je suis rassurée de la savoir à Corbas, dans un cadre chaleureux, loin de l'ambiance d'un hôpital, entourée par un personnel investi et bienveillant." Ce qui la rassure et la réconforte: "Maman est avec du personnel qu'elle connaît, dont elle a retenu les prénoms, et surtout des personnes qui la connaissent! Elle voit des visages connus." Le lien est maintenu ...
Un contact quotidien avec le "reste du monde" et les familles
"Je vous invite à suivre l'extraordinaire histoire de vie des résidents et du personnel de Vilanova," écrivait au premier jour du confinement Valérie Martin.Cette aventure humaine rare, la directrice voulait la partager avec le "reste du monde" sur les réseaux sociaux. Des messages qui ressemblent à ceux que l'on trouvait dans les livres de bord de capitaines partant pour de longues expéditions en mer.
Depuis le 18 mars, elle poste deux fois par jour des photos et petits mots pour rassurer les familles et donner des nouvelles de leurs proches. Ils relatent la vie quotidienne dans cette maison de retraite pour personnes dépendantes et surtout tentent de rassurer les familles : "Tout le monde va bien. Le moral est bon. Cela fait 3 jours que nous vivons auprès de vos parents et soyez assuré de notre dévouement." Un petit message posté aussi en fin de journée pour faire le point... "et rassurer, toujours rassurer". Mais parfois la tâche est difficile auprès des enfants ou de ceux dont le conjoint est pensionnaire de l'établissement.
Pour Lidia Urbano, pourvoir avoir des nouvelles via la page Facebook de l'Ehpad, est d'un grand réconfort. "J'ai pu constater parmi les photos postées par la directrice que ma maman était avec les autres, dans la salle de repas et pas seule et alitée." Pour la Corbasienne, le personnel confiné fait son maximum et elle tient à le souligner :"On a pu avoir ma mère au téléphone, elle a entendu notre voix...". De petites gestes qui allègent l'inquiétude de cette famille et adoucissent le quotidien.
La directrice a aussi pris l'initiative de maintenir le lien d'une manière originale : "Aujourd'hui, tous les résidents ont été photographiés individuellement. dans les meilleurs délais, les familles recevront via leur adresse mail, la photo de leur parent," écrit-elle sur Facebook le 22 mars dernier. "Nous avons testé les tablettes, mais ça n'a pas marché ..." a-t-elle confié.
Personnel sans masque, pas d'isolement des pensionnaires, "nous allons à l'encontre des préconisations de l'Etat..."
L'isolement des résidents dans les chambres n'a pas duré, pas plus que le port du masque pour le personnel n'a pas duré. Pourquoi avoir décidé d'abandonner les masques ? "On a essayé avec des masques pendant deux jours mais les pensionnaires ne nous comprenaient pas quand on leur parlait et c'était très anxiogène pour eux," explique Valérie Martin, "tout comme le confinement dans les chambres, c'est augmenter leurs troubles et leur stress !".J'ai 50 personnes avec des troubles cognitifs, les maintenir en chambre n'est pas possible !
Grâce à la présence non-stop du personnel et à son engagement, les pensionnaires de l'Ehpad Vilanova ont presque retrouvé leur routine, même si leur famille n'a plus l'autorisation de leur rendre visite depuis le 6 mars. "On essaye de garder leur rythme, à l'inverse des préconisations de l'Etat," indique la directrice.
"Nous avons décidé d'ôter nos masques et de cesser l'isolement des résidents. Les résidents sont ravis de retrouver leurs habitudes de vie. Les discussions fusent dans toute la maison qui, d'un coup reprend toute sa splendeur. Chaque heure passée est une victoire !" a écrit la directrice sur Facebook le jour où il a été décidé d'aller à l'encontre des préconisations officielles.
Une photographie de groupe a été postée mardi dernier comme un jour de libération, le jour où les masques sont tombés !
Hygiène et précaution face à ce qui vient de l'extérieur
Pas de masques alors la priorité a été portée sur l'hygiène avec un grand H et surtout un grand "ménage de printemps". "Durant deux jours, on a fait un grand nettoyage dans l'établissement et on a confiné les pensionnaires dans leur chambre, mais c'était l'horreur". Elle explique que cette opération de grand nettoyage sera renouvelée la semaine prochaine. Une précaution nécessaire. Quant aux gestes d'hygiène et de nettoyage des points de contact, "ils sont devenus automatiques," explique-t-elle. "Nous avons des lingettes désinfectantes dans nos blouses et des distributeurs de gel hydroalcoolique au mur." Et elle précise :" on a tous les ongles courts, plus aucun bijoux..." et les gestes barrières sont appliqués à la lettre.
Des précautions sont prises également vis à vis du courrier ou des journaux qui arrivent à l'Ehpad, tout reste 24 heures sans contact. "Certains de nos résidents sont d'ailleurs mécontents de lire le journal de la veille," indique non sans humour la directrice. Ce jeudi 26 mars, l'Ephad a reçu une livraison de 900 masques, bien insuffisante. Mais le colis restera isolé durant 24 heures. Et lorsqu'un médecin entre dans la structure, il a le droit au même traitement :"on prend sa température, il a droit à un masque et à des gants," résume la directrice.
Aujourd'hui, pas de contamination dans l'établissement mais la directrice ne cache pas son inquiétude pour les pensionnaires mais aussi pour le personnel. Tous ont signé un consentement écrit et "des directives anticipées". Aujourd'hui, Valérie Martin se dit aussi très inquiète pour les résidents et professionnels des autres EHPAD et l'affirme "on ne peut pas échouer!"