Une inspiration en rupture avec la cuisine traditionnelle lyonnaise. Il est à la tête d’un restaurant qui ne propose pas de carte, mais un menu avec 22 créations différentes. Jérémy Galvan propose cette démarche comme une expérience. Avec son originalité, il est devenu le chef de file d'une nouvelle génération de cuisiniers. Confidences sur le plateau de "Vous êtes formidables", sur France3
Né à Saint Julien en Genevois, son premier contact avec la nature et les bons produits a débuté à Billiat, dans l’Ain, où était située la ferme de ses grands-parents, qui étaient maraîchers et éleveurs de moutons et de volaille. Mais ses racines viennent aussi de l’Espagne. “ Oui, c’est mon côté pied noir espagnol. Je suis un mélange des deux”, confirme-t-il.
Son parcours talentueux était loin d’être écrit d’avance. A l’âge de 10 ans, après la séparation de ses parents, il part vivre en Isère. Il vit alors une enfance difficile. "En fait, je ne rentrais dans aucune case” explique Jérémy. "Je faisais partie, comme de nombreux autres, des enfants hypersensibles non-détectés J'en devenais hyper chiant parce qu'aucun adulte ne me comprenait. Dans le schéma classique de l'éducation, c'est souvent comme ça. On est prévu dans une case, soit y entre, soit on n’y entre pas... On trouve que la justice est toujours sur nous, alors on commence à faire des bêtises et on devient violent.” Arrivé en fin de 5e, plus aucun collège de l'Isère ne l'accepte.
Et pourtant, Jérémy avait un projet : reprendre la ferme de son grand-père. “Il m'a toujours déconseillé. C’était lié à son histoire. Il était le petit dernier de la fratrie et a toujours rêvé d'être prof de mathématiques... et n’a jamais pu le faire.” Confronté à cette impasse, il intègre un internat au Château de chapeau Cornu à Vigneu, une école sous contrat avec le ministère de l'Agriculture. ”C’était une idée de ma tante. On y proposait des 4e et 3e technologiques. Avec une semaine de stage par mois, dont certains étaient imposés et d’autres moins. A cette époque, j'ai fait des stages en mécanique et en boulangerie.”
Un lieu qui change la donne, pour ce jeune homme qui cherche sa voie. “Ce que j'ai trouvé dans cette maison familiale, c'est, d'un seul coup, un corps enseignant hyper bienveillant. Et, surtout, qui ne me mettait plus dans une case.” Le directeur, notamment, lui montre le bon chemin. “Dès les premières bêtises que j'ai commencé à faire, il me les expliquait. Il me disait : je vais vous parler en tant que papa comme de directeur. Et, effectivement, quand il m'expliquait l'impact que pouvait avoir ma bêtise sur les autres... d'un seul coup j'ai commencé à mieux voir les choses et j'ai arrêté."
Le destin se met en place. Jérémy se dirige donc vers un CAP de cuisinier. Non sans difficultés. “Les 6 premiers mois en cuisine, c'était hyper dur. Je pleurais tous les soirs et je voulais arrêter. Ma mère et mon beau-père me disaient de tenir au moins un an.” Au bout de 6 mois, un miracle se produit. “Il s'est passé quelque chose de génial. Je cessé de voir le côté militaire et très dur du métier. Il faut dire que cette année-là, on a vécu seulement un jour et demi de congé et, lorsque j’ai commencé, je n’avais que 15 ans. J'ai enfin vu le côté plaisir. Parce que les clients venaient aussi au restaurant de mon maître d'apprentissage, pour nous remercier. J'ai vu qu'on pouvait donner du plaisir et, à 16 ans, je me suis fait un contrat avec moi-même : C'est OK... Je vais dans ce métier parce qu'il me plaît, avec l’objectif d’être à mon compte un jour” témoigne-t-il.
En 2000, la carrière de Jérémy Galvan débute vraiment. Il travaille pour des grandes tables, comme Léon de Lyon, qui affiche deux macarons Michelin. Ainsi que Christian Lherm, la tour rose aux côtés de Philippe Chavent, ou encore Alain Alexanian. Avec ces grands maîtres, il apprend l’essentiel. “Ce qui était hyper important, c'était la rigueur et le cadre que je n'avais pas. Et vraiment le sens de l'équipage. Au restaurant Léon de Lyon, ce fut deux magnifiques années parce qu'on était une équipe hyper soudée. On était vraiment une famille tous ensemble.”
Il y découvre aussi des désirs d’émancipation. “Je venais d'arriver à Lyon seul, à 17 ans, donc c'était la liberté pour moi. Il y avait cette famille là... Chacun m'a apporté des choses différentes... Mais le plus gros virage, ce fut 2003 quand j’ai rencontré Nadia, mon épouse. J’ai découvert le milieu artistique et la liberté des gens.”
Un désir de liberté qui a même failli les emporter au Québec. “On voulait être immigrants permanents”, confirme-t-il. “ On avait fait tous les papiers avec Nadia. C'était un pays de nos rêves. En revanche, on n’y avait jamais mis les pieds. Au bout de 6 mois, le latin que je suis s'est dit : Ah non la France me manque beaucoup ! C'est très américanisé ce pays... trop pour moi. Pourtant j'y retourne parfois voir des amis là-bas. J’adore ce pays...mais en tant que touriste.”
Impressionné par Gagnaire
Côté cuisine, son plus grand choc est lié à Pierre Gagnaire. “Je suis allé manger dans son restaurant et, à chaque plat, c’était les émotions folles en bouche. Quelque chose de fou et un univers émerveillant. Tout le repas était magnifique. Juste après je suis monté dans un taxi et j'ai eu comme un halo d'amour qui m'entourait et qui m'a tenu une semaine. J'avais ces émotions comme si cet homme-là m'accompagnait pendant une semaine”, s’enthousiasme Jérémy, qui continue d’entretenir cette admiration sans bornes.
“ Je l'ai rencontré dans plein de réunions de chefs... Je l'ai même rencontré sur une aire d’autoroute un jour à Avignon. Il était à côté de moi, et je fumais une cigarette dehors. Je n'ai jamais osé lui parler. Il m'impressionne tellement. Il m'a tellement touché profondément ! Et pourtant j'aurais tellement de choses à lui dire... mais je n’arrive pas à lui parler !” regrette-t-il.
Après un passage auprès du chef Joseph Viola au restaurant lyonnais “Daniel et Denise”, il reprend enfin un restaurant en 2011. Le “happy Friends Family by Jérémy Galvan” est né. Au bout d’un an, il portera simplement son nom. “J'ai fait des brainstormings... mais jamais très concluants. Et puis ça ne me parlait pas trop. Ce que j'avais vraiment envie de sortir, c'est quelque chose au fond de moi. Le restaurant ne pouvait donc pas s'appeler autrement que Jérémy Galvan. Ce que je veux exprimer, c'est vraiment mon histoire, mon être et le partager avec mes clients.”
Aujourd’hui Jérémy est considéré comme le chef de file de la nouvelle génération de cuisiniers lyonnais. Il aborde le métier d’une manière innovante, sans pour autant se sentir un rôle de leader : “Pas spécialement. Je me sens libre, voilà. Je suis moi-même, ça me suffit. Je sais que je m'entends très bien avec tous les autres chefs, tout en montrant cette image d'un être libre. Et ça, pour moi, c'est hyper important. Être libre de faire ce qu'on a envie... de montrer que c'est possible” explique le jeune chef.
Galvan, tu nous saoules avec tes idées !
Une liberté qui prend une distance -assumée- avec la cuisine traditionnelle lyonnaise. “Ce qui est super, c'est qu’avant, effectivement, c'était que la tradition, quoi. Il y avait la chapelle “tradition lyonnaise” et maintenant il y a les 2 rouages qui se mettent en route. Depuis une dizaine d'années, on peut manger dans un étoilé franco-péruvien, un étoilé coréen...Il y a des bistrots... enfin il y a tellement d'offres géniales, quoi” se satisfait Jérémy.
Il faut dire que Jérémy a sans doute été le premier à s’inscrire dans cette nouvelle lignée. “C'est vrai qu'en 2011, pendant 2 ou 3 ans, je me sentais un peu seul. J'étais là avec ma démarche et mon état d'esprit... Quand je bossais chez les autres chefs et que je leur parlais de mes idées, ils disaient toujours :” Galvan, tu nous saoules avec tes idées ! Et ils n’arrivaient pas à y répondre, de toute façon...” sourit-il.
une bulle hors du temps
Le temps lui a donné raison, sans provoquer de jalousies particulières. “Je pense qu'on est hyper-complémentaires. Vous savez, quand le 14 février, mon ami est venu s'installer en face de chez moi... Cela signifiait deux étoilés en face. On pouvait redouter cette concurrence mais en fait c'est génial !”
Jérémy Galvan définit sa cuisine comme étant celle d'un homme libre : “J'ai réussi à me détacher du regard des autres chefs, du regard des critiques culinaires, et à n’avoir qu'un seul baromètre : c'est mes clients. Pour aller au bout de ma réflexion, qui était d'amener une expérience sensorielle et nourrir autant l'âme que l'homme. C'est une expérience, toute la soirée... 8 séquences qui représentent 22 créations et on va solliciter un sens à chaque fois. Et de m'autoriser à avoir la vision que j'ai toujours rêvé, globale, de mon métier. Se mettre dans une bulle hors du temps.”
Un esprit créatif qui n’empêche pas sa clientèle de repartir satisfaite. On ne ressort pas de chez Galvan avec l’estomac qui crie famine. “Non c'est sûr. Il être vraiment dans l'équilibre parce qu'il ne faut pas non plus trop en donner... L'idée n’est pas non plus qu'on sorte ballonné. Les gens qui commencent à manger un peu trop de temps au début finissent par regretter parce que, lorsqu’ ils arrivent à la création du fromage... c'est un peu dur”, s’amuse-t-il.
Au passage, ce fils de maraîchers ne néglige jamais son respect pour les productions locales. “Cela fait vraiment partie de mon identité. Ayant grandi dans ce milieu-là, voyant le labeur, la dureté du métier. Nourrir les gens à quelque chose qui est vraiment essentiel. Le faire de manière saine, c'était, pour moi, important. Que je porte vraiment ce flambeau et que je défende ces gens.” Il veille donc à se fournir le plus près possible. “C’est ça. Le plus loin, ça va être Avignon pour les huiles d'olive, les agrumes... sinon ça reste vraiment territorial…”
Jérémy ne s’est pas plaint particulièrement des périodes de confinement liées à la crise Covid. Il a mis de côté les contraintes financières, et en a profité pour développer ses créations. “ J'ai toujours rêvé d'avoir un labo de création -que j'aurais un jour dans la cuisine. Chaque année, j'essaie toujours d'aller plus loin dans un vrai cheminement depuis 2003. Pendant le confinement, j'avais en tête l'expérience sensorielle des clients ... En fait, on a vécu 8 mois de fermeture. On fait de la vente à emporter pendant 5 mois. Mais au bout de 3 mois, j'ai dit jà mon équipe qu'il n'était pas possible de laisser filer ce temps. Le confinement nous offrait ce temps-là pour se remettre en question. Et surtout, j'ai pu boucler la boucle que j'avais envie de boucler”, témoigne-t-il.
J'ai l'impression d'avoir une bibliothèque de saveurs dans la tête
Il faut dire que l’imagination culinaire de Jérémy est foisonnante. Il explique souvent qu’il possède une bibliothèque de saveurs dans la tête. “ Oui, c'est hyper compliqué. Surtout lorsque les gens me demandent : comment vous avez pensé telle ou telle association ? “ Il développe : “Ce que j'aime dire c'est que j'ai l'impression d'avoir une bibliothèque de saveurs dans la tête et que je mentalise beaucoup les saveurs avant. Je pense à des saveurs et j’essaye de les faire matcher avec d’autres. Ma cuisine, elle est comme ça. Je fais rarement plus de deux essais... Soit ça sort et j'ai accouché... ça va, soit non. Je ne vais pas faire 50 essais” tente-t-il de résumer.
Les grandes maisons font souvent passer leurs équipes par la souffrance dans les horaires, dans le travail, dans la pression, pour donner de l'amour à nos clients. Il y a quelque chose qui ne va pas
Le parcours de Jérémy n’est pas solitaire. Sa rencontre avec sa future épouse, désormais comédienne, a joué un rôle majeur. “On a créé ensemble le restaurant. On l'a acheté ensemble en 2011. Jusqu'en 2018, on l'a géré ensemble et elle a mis son métier de comédienne entre parenthèse. Nadia a donc eu un rôle essentiel sur la réussite du restaurant, sur la manière dont on a avancé et surtout, vraiment, on était un binôme. On dit souvent que moi j'avais toujours la tête dans les nuages, et elle avait les pieds sur terre. Mais c'est vraiment ça.” Finalement, elle est retournée à d’autres activités. “ Plus on grossissait, plus l’administratif l’absorbait. On en parlait... Je lui ai dit : c'est bon je vais m'entourer... Elle a pu reprendre la vie de comédienne et c'est génial” se souvient le chef.
Sur le plan de la vie quotidienne, le couple parvient à profiter d’une vraie vie de famille. Pour y parvenir, le restaurant n'est ouvert que du lundi au vendredi soir et le vendredi midi. Jérémy accorde de vrais week-ends à toute son équipe. Un vrai luxe pour un cuisinier. “ Il y a quelques années, j’ai réfléchi à ça et je me suis dit... Un jour je me suis dit y'a déjà depuis quelques années je réfléchis à ça. Les grandes maisons font souvent passer leurs équipes par la souffrance dans les horaires, dans le travail, dans la pression, pour donner de l'amour à nos clients. Il y a quelque chose qui ne va pas et on ne peut plus penser comme ça. J'ai aussi été marqué par des récits d'enfants de chefs qui disent toujours “t'as tout donné à tes clients” tout ça... Mais moi je ne veux pas entendre ça de la bouche de mes enfants.”
Il a donc tranché pour un bonheur... communicatif général : "Je me suis dit qu’en fait il fallait que je trouve un équilibre. Une sphère vertueuse, comme ça, qui amènerait autant d'amour à mes collaborateurs, à ma famille, à mes clients. En prenant vraiment le parti de fermer à midi, de donner presque 14h de repos à mes équipes, avant qu'elles puissent revenir au travail... Qu'ils soient là à 200%, que je puisse aussi prendre les week-ends pour avoir une vie de famille et profiter des personnes que j'aime. Tout simplement parce que me ressourcer est un besoin.”
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