Depuis les attentats antisémites de Toulouse en 2012 et de l'Hypercacher à Paris en 2015, 40.000 Français de confession juive sont partis s'installer en Israël. Pour plusieurs parents lyonnais, l'inquiétude est permanente depuis l'offensive de samedi.
Depuis samedi, Thierry ne quitte pas son pavillon de Villeurbanne. Il scrute les réseaux sociaux et zappe constamment sur les multiples chaînes info pour se tenir informé des frappes en Israël. "A chaque fois, notre fils, sachant qu'on peut être inquiets, devance notre appel pour nous dire que tout va bien."
C'est le réflexe de tout parent qui a un enfant en Israël, c'est d'avoir tout de suite un contact.
Thierry, son fils Solal vit en Israël
Son fils Solal vit à Ashdod, à 25 km de Gaza. Il témoigne alors qu'une personne vient d'être écacuée devant son immeuble, touchée par l'éclat d'une roquette. "Dès qu'on entend une sirène, on a 15 secondes pour arriver dans les chambres fortes." Solal vit avec sa femme et ses deux enfants de quatre ans et de six mois. "On reste dans la chambre, on ferme la porte et on reste dix minutes. On entend que ça pète au-dessus de nous car le Dôme de fer (système israélien de défense aérienne) intercepte les missiles au-dessus de nous." Comme son père, Solal a surtout peur pour ses enfants.
"Un état de choc"
Sarah* tient fermement la main de sa fille Maayan, comme pour ne jamais la quitter. "On a envie de la retenir par égoïsme".
La jeune femme fêtera ses vingt ans jeudi. Le lendemain, elle prendra l'avion pour Israël pour rejoindre l'armée de l'air, où elle s'est engagée il y a deux ans. Elle reste déterminée. "Bien sûr, je vais y aller, j'ai de moins en moins de nouvelles de mes amis. Il faut que j'y aille."
Sa maman se veut compréhensive. "Je comprends son engagement même si on a très peur pour elle, mais on sait que son rôle et sa place est là-bas aussi." Elle n'envisageait pourtant pas un tel avenir pour Maayan. "On s'imagine dans des situations de guerre que nous, parents, on n'a jamais connu et qu'elle va devoir vivre avec la peur au ventre. On ne sera jamais tranquilles. C'est un état de choc."
Les attentats de Toulouse comme déclencheur
Il y a 10 ans, Thierry ne s'attendait pas non plus au départ de son fils. "Quand j'étais jeune, j'avais des amis musulmans. Il y avait bien eu l'attentat de la rue des rosiers, mais perpétrés par des fanatiques venus de l'étranger." Et puis il y eu le meurtre d'Ilan Halimi en 2006 et l'attentat de Toulouse contre une famille juive en 2012. "Là, Solal m'a dit, c'est plus possible. Je ne veux pas rester dans un pays où je me sens tellement en insécurité."
Cette situation, Henri l'a aussi vécue. "C'était il y une dizaine d'années. Mon fils était à un feu rouge à Villeurbanne et quelqu'un lui a crié "sale juif!". Il a aussi découvert une croix gammée sur la porte de son appartement. Tout cela a précipité son départ." Réserviste, son fils âgé maintenant de 41 ans a dû laissé sa femme et leurs quatre enfants pour partir combattre. Le papa, lui, n'en dort plus de la nuit. "C'est une inquiétude de chaque seconde, une grosse, grosse boule d'angoisse. C'est un traumatisme parce qu'il se passe quelquechose d'inédit en Israël. C'est l'horreur, devant nos yeux, de ce qui peut se passer en Israël."
"Ils ont quitté un pays en insécurité pour un pays en guerre"
Comment se prémunir contre les risques pris par ses enfants quand on n'a jamais connu la guerre soi-même? "En tant que juifs français, on n'est pas armés pour ça", se désole Henri. Un sentiment partagé par Sarah* et Thierry, qui regrettent que le communautarisme se soit imposé au fil des décennies.
Entre crimes et attentats, Henri décrit les 15 dernières années comme une "période noire". "Nos enfants ont quitté un pays où il se sentaient en insécurité pour un pays en guerre. Pour nous, parents, c'est une situation très compliquée et terrible à vivre. On s'aperçoit qu'en France, la grande majorité de nos concitoyens sont dans l'ignorance des crimes antisémites et ça continue. Lundi matin, ma femme s'est rendue à son travail et la quasi totalité de ses collègues n'étaient pas au courant des événements du week-end."
Chaque parent espère désormais pouvoir accueillir à nouveau, chez lui, ses enfants et ses petits-enfants.