Elle a quitté son pays à 14 ans, adopté une nouvelle vie, une autre langue. Jusqu'à trouver sa voie dans la cuisine de son enfance. Sadia Hessabi, invitée de "Vous êtes formidables", raconte son parcours de femme libre et authentique.
Sadia Hessabi est une orpheline d’origine afghane. Elle a quitté Kaboul à l’âge de 15 ans pour refaire sa vie à 7000 kilomètres de là… en France.
Aujourd’hui, avec « Kaboulyon », cette cuisinière itinérante propose un service traiteur qui s’inspire de son histoire. Avec une démarche de qualité : elle n’a recours qu’à des produits bio, locaux et de saison.
A cette époque, les femmes ne portaient pas encore le tchadri, cette "prison intégrale" qu’on leur impose aujourd’hui. Elles étaient libres.
Lorsqu’elle a quitté l’Afghanistan à l’âge de 14 ans, le pays était en guerre. En 1991, les Etats-Unis avaient aidé les Talibans à en chasser les Russes, et s’apprêtaient à prendre le pouvoir. « A ce moment-là, les écoles commençaient à fermer. La guerre civile était là. Moi, je vivais avec mes parents, et j’allais encore en cours. A cette époque, les femmes ne portaient pas encore le tchadri, cette "prison intégrale" qu’on leur impose aujourd’hui. Elles étaient libres. »
Sadia se souvient avec émotion de Kaboul, ville de près de 4 millions d’habitants, où elle a passé son enfance. « Il y a là-bas toutes mes racines, mes souvenirs d’enfance. C’est aussi le climat, les contreforts de l’Himalaya… »
Des souvenirs plus douloureux aussi, contre le décès de son père à l’âge de 9 ans, puis de sa mère à 14 ans. Issue d’une famille plutôt aisée, elle a décidé de quitter ce pays au bout d’un an de réflexion. « Je me suis retrouvée seule. Une jeune fille en danger. Je voyais que le rationnement se mettait en place. On entendait des bombardements aux alentours. Des cousins éloignés commençaient à partir… »
Elle découvre un nouveau décor, une nouvelle langue
En France, un de ses oncles lui propose de le rejoindre. Une fois sa décision prise, il a fallu user de ruses. « J’ai dû payer pour avancer mon âge sur les papiers d’identité, afin d’avoir 18 ans, et pouvoir prendre l’avion seule. »
Le 5 juin 1991, elle prend le départ. « Une fois dans l’avion, c’est un déchirement total. D’un seul coup, plus personne ne comprenait ma langue, le Perse. Ma ville, mon pays, et mes souvenirs s’éloignaient. Je me mettais à douter, mais c’était trop tard. » Pour se rendre à Paris, elle fait escale à Moscou et Prague. A Moscou, elle s’égare et rate un avion. « Il a fallu que je m’organise pour dormir sur place. Je n’avais jamais vécu dans un hôtel. Rien ne me rassurait. »
Finalement, elle surmonte ses peurs et se retrouve en France, seule, à l’aéroport, avec un petit papier sur lequel se trouvent les coordonnées de son oncle. Le hasard la fait croiser la femme de ce dernier. Elle était revenue sur place pour l’attendre.
Elle s’installe alors dans une nouvelle famille, à Châlons-sur-Saône. Elle ne connaît ni la langue, ni le décor. « Je suis arrivée d’un endroit très montagneux, et j’ai trouvé que cet endroit était plat » sourit-elle. Un jour, Sadia apprend qu’elle était, en fait, une enfant adoptée. A 18 ans, elle perd, à nouveau, tous ses repères.
Direction : Lyon
Elle décide de quitter sa famille, qui n’est plus vraiment la sienne, et de rejoindre un foyer à Lyon. « Intérieurement, je n’existais plus. Tout s’effondrait complètement. » Elle entame des études dans le domaine de la santé et obtient haut-la-main son diplôme d’aide-soignante. Elle exercera en hôpital psychiatrique. « Tout a débuté par un stage, j’étais alors réfugiée politique. On m’a envoyée au centre du Vinatier à Lyon. Je ne connaissais pas du tout la psychiatrie, et j’avais même un peu peur » raconte-t-elle. Elle y restera vingt ans.
Jusqu’à un nouveau virage. Elle décide, une fois de plus, de changer de vie, et de se lancer dans la cuisine. Une véritable résilience.
Elle crée à Décines son magasin-traiteur « Kaboulyon », avec la volonté de renouer avec ses racines. « Quand j’étais enceinte de mes enfants, je n’avais pas envie de fraises, mais plutôt des épices que j’avais connues pendant mon enfance. Celles que ma mère cuisinait, les odeurs… Tout s’est réveillé » s’enflamme-t-elle « J’avais envie de parler enfin de l’Afghanistan, de la réalité des femmes afghanes, toutes autant capables de faire des tas de choses, et complémentaires avec les hommes ».
Revenir à Kaboul
L’actualité, elle-aussi, a bien changé. Assister, vingt ans plus tard, au retour des talibans dans Kaboul, l’a vraiment peinée. « Je trouve anormal qu’un pays tout entier tombe dans des mains d’une telle noirceur. Je n’en reviens pas. »
Elle, qui n’est jamais retournée là-bas depuis 30 ans, aimerait tout de même, un jour, y emmener ses enfants. « Je voudrais leur montrer les merveilles qui entourent ce pays. Ça viendra. »
REPLAY : Voir ou revoir "Vous êtes formidables" avec Sadia Hessabi