Bertrand Tavernier, président de l'Institut Lumière depuis sa création, est au cœur d'un hommage pour l'édition 2021. Ce réalisateur couronné dans le monde entier a toujours eu un lien intime avec ses deux passions. Le cinéma, bien sûr, et sa ville de naissance : Lyon.
« Bertrand Tavernier, disparu en mars dernier, nous manque » rappelle sobrement le site internet du festival Lumière de Lyon. Afin de lui rendre hommage, une soirée, animée par Thierry Frémaux, est programmée à l’auditorium de Lyon ce dimanche 10 octobre à 20h45.
Elle se déroule en présence de ses comédiennes et comédiens Marie Gillain, François Cluzet, Mélanie Thierry, Lambert Wilson, Nicole Garcia, Jacques Gamblin, Marina Vlady, Raphaël Personnaz, Charlotte Kady, Samuel le Bihan, Gérard Jugnot et Grégoire Leprince-Ringuet, de Jeanne Cherhal et du Trio Henri Texier, ainsi que les invités du festival.
Bertrand Tavernier est né le 25 avril 1941 à Lyon, haut lieu du cinéma avec l'Institut Lumière dont il était président. "Lyon m'a appris un enracinement dans un lieu. Je suis provincial et content de l'être, je ne me sens pas parisien", disait-il.
La libération, premières images de l'enfant de Lyon
En mai 2016 à Cannes, Tavernier accepte de revenir sur ses attaches avec Lyon et répond aux questions du journaliste Julien Sauvadon. Il a alors 75 ans et 23 films à son actif. Il présente ce jour-là au festival un documentaire de 3 heures sur le cinéma français.
« J’étais cinéphile avec le désir de devenir cinéaste. J’ai vu beaucoup de films, notamment français, qui m’ont bouleversé, marqué, touché, remué, dès mon plus jeune âge » commente-t-il. Et c’est bien à Lyon, où le cinéma est né, que sa passion a débuté.
« Mon enfance est à Lyon. Mon premier souvenir d’images –comme je le dis- c’est la libération de Lyon, les fusées, tout ça. » se souvient-il « Je me souviens surtout d’une après-midi où mes parents m’avaient emmené sur la terrasse qui dominait Lyon. J’avais 3 ans, c’était en septembre 44. Là, j’avais vu plein de fusées éclairantes dans le ciel. Cela marquait l’entrée des troupes américaines ou françaises qui libéraient Lyon. Et quand j’allais au cinéma et que, tout d’un coup, la lumière commençait à éclairer un écran, que le rideau s’ouvrait, je revoyais ces lumières dans le ciel. » se remémore-t-il.
Pour Tavernier, les salles obscures lyonnaises sont presque une sorte de thérapie : « J’avais une enfance difficile, pour des problèmes de santé. Et c’est vrai que le cinéma était une béquille. C’est quelquechose qui m’aidait à vivre. La tuberculose, ça m’empêchait de courir, de marcher. Et donc, pour réagir, il fallait que je rêve à des ciels, à des grands espaces. »
Premier long métrage à Saint-Paul en 1974
Le premier vrai film de Tavernier tourné à Lyon « L’horloger de Saint-Paul », est sorti en 1974. Jean Rochefort y incarne le commissaire Guiboud, qui enquête sur un meurtre commis par le fils d’un horloger (Philippe Noiret) du quartier Saint-Paul à Lyon. Le film a obtenu le prix Louis-Delluc en 1973 et le prix spécial du jury au festival de Berlin en 1974.
Lionel Lacour, historien du cinéma et réalisateur, y voit le lien entre ce film et la vie personnelle du réalisateur : « On va avoir, dans ce film, toute une représentation des lieux symbolique de la ville. Et bien sûr, le Vieux Lyon. Mais également le parc de la Tête d’Or, où se trouve un monument en hommage à la résistance. Or, le père de Tavernier avait accueilli des résistants pendant la guerre. » décrit l'expert.
Tavernier lui-même a évoqué son souvenir de ce tournage, il y a quelques années : « Cela a été une expérience prodigieuse. L’épanouissement de l’amitié avec Noiret, Rochefort… Je filmais ma ville, je filmais mes souvenirs. Je filmais mon enfance, les ruelles de Saint-Paul, de Saint-Jean… J’ai toujours trouvé ça tellement plus beau que Paris » souriait-il.
Tu as deux choses en toi. La fiction et la réalité.
En 1987, Philippe Carry, horloger lyonnais dans le quartier de Saint-Paul et collectionneur cinéphile, avait demandé à Tavernier l’autorisation de nommer sa boutique « L’horloger de Saint-Paul ». Le réalisateur accepte...
Philippe Carry raconte, que, des années plus tard, Bertrand Tavernier se présente, en compagnie de Jean-Pierre Marielle, dans son magasin. « Je travaillais sur une montre à double face. Ce double aspect des choses a fait dire à Jean-Pierre Marielle : « Bertrand, c’est une montre pour toi » parce que, toi aussi, tu es une personne qui est double. Tu as deux choses en toi. La fiction et la réalité. »
Défenseur du patrimoine cinématographique lyonnais dans les années 70
Retour en mars 1895, alors que les Frères Lumière tournent à Lyon le premier film de l’histoire : "la sortie des usines Lumière". A Lyon, il aura presque fallu attendre le centenaire du cinéma en 1995, pour que la Ville célèbre cet héritage exceptionnel.
Dans les années 60, ce patrimoine a même failli disparaître. La vente du site par la municipalité entraîne alors la démolition des usines Lumière et de leur maison personnelle. Le hangar du premier film est même partiellement détruit. Mais le château Lumière a pu heureusement, être sauvé in extremis.
En 1978, Bertrand Tavernier, Président, et Bernard Chardère, alors Délégué général de l’Institution Lumière lui redonnent une nouvelle vie. Après rénovation, les espaces sont aménagés en salle d’exposition et de projection dans le respect du style d’époque.
Malheureusement, dans les années 80, le décor naturel du premier film "la sortie des usines Lumière" a lui aussi été détruit. A part le portail d’origine, qui avait été changé, le hangar et le mur, rue du Premier-Film, avaient pourtant résisté aux transformations du quartier, et notamment à la démolition des usines dans les années 70.
En 1984, il est détruit par la mairie du 8ème arrondissement de Lyon. Robert Batailly, le maire, demande le nettoyage de ce terrain, qui jouxte le « château Lumière », un espace envahit d’immondices et cadre de « fréquentations étranges » afin d’y réaliser une zone de loisir pour le quartier. Bertrand Tavernier, en tant que président de l’Institut Lumière, crie au « Sacrilège ». Robert Batailly assure de son côté que le hangar sera entouré d’une « barrière élégante et transparente », et le « mur rebâti à 80 centimètres de hauteur». Sur le « site Lumière » une nouvelle page historique est tournée.
Son combat en soutien aux victimes lyonnaises de la "double-peine" en 2001
En novembre 2001, à quelques mois des élections présidentielles, le réalisateur présente à Lyon un documentaire pour dénoncer « la cruauté de la double peine ». Pendant trois ans, il a suivi le combat de 10 hommes et 10 femmes, victimes de cette incohérence juridique, à partir de leur grève de la faim à Lyon en 1997.
Des témoignages de vies brisées. Une réinsertion rendue impossible par des délits commis 15 ans plus tôt, et pour lesquels des peines de prison ont déjà été vécues. « Ces gens-là, on continue à les précariser, les rejeter, et à ne pas les écouter » commentait le réalisateur, dont le film se termine avec peu d’optimisme. « Je suis obligé d’aboutir à cette fin qui est un semi-constat d’échec. Mais si les personnages gardent une dignité, ce qui est le plus important. Et un désir de résister… »
Il ne le sait pas encore, mais son combat mettra encore plusieurs années avant d’aboutir. « J’aurais aimé que les politiques se montrent un peu moins frileux et viennent davantage voir le film. Ils se sont défilés comme ils se défilent d’ailleurs, dans le soutien aux grévistes » déclarait-il.
C’est Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur en 2003, qui va finalement aménager « la double peine » pour exclure son recours dans plusieurs cas.
La peine d'interdiction du territoire ne peut alors plus être prononcée contre un étranger qui vit en France depuis l'âge de 13 ans, celui qui est présent sur le territoire depuis plus de 20 ans ou encore le parent d'un enfant mineur en France depuis plus de 10 ans et qui s'occupe de son éducation. Pour autant, ces exceptions ne s'appliquent pas si l'étranger est condamné pour acte de terrorisme ou atteinte aux intérêts de la Nation, par exemple. Dans ce cas-là, tout étranger peut être expulsé après avoir purgé sa peine.
En 2020, il déclare son amour de Lyon pendant le confinement
Dans un documentaire réalisé lors du confinement intitulé « Les secrets de la belle endormie », Bertrand Tavernier décrit, par téléphone, les bâtiments et les cours d’eau lyonnais : « Ils ont retrouvé maintenant, en partie grâce à mes films, leurs couleurs d’origine. Ses façades colorées, ses teintes ocres, vertes, roses, qui avaient disparu sous la suie, la pollution industrielle. Ils illuminent et réchauffent ces berges. Enfant, j’adorais rêver sur les berges du Rhône pas encore domestiquées. Quand on voit ces quais, ces rives, on sent, même en cette époque de confinement où ils sont déserts, comme inanimés, qu’ils ont été conçus pour accueillir, échanger et redistribuer des voyageurs, des marchandises… qu’on doit là imaginer. Ces deux voies d’eau, comme deux immenses avenues font respirer la ville et l’ouvre sur le monde. Ils mettent à mal cette réputation de soi-disant repli sur soi qu’on accole à Lyon et à ses habitants. »
L'hommage unanime des Lyonnais
« Il était, avec Thierry Frémaux, l'âme du l'âme du festival Lumière » écrira simplement l'ancien maire de Lyon Gérard Collomb sur les réseaux sociaux après l'annonce de son décès le 25 mars 2021
Je viens d’apprendre avec beaucoup d’émotion le décès de Bertrand Tavernier. Ses films resteront comme des chefs d’œuvre du cinéma français. Il était avec Thierry Fremaux l’ âme du Festival Lumière . Il va nous manquer.
— Gérard Collomb (@gerardcollomb) March 25, 2021
Le nouveau président écologiste de la Métropole de Lyon, qui lui a succédé, inscrit son oeuvre dans l'histoire de Lyon : « Avec sa disparition, c’est un peu de la mémoire de notre ville qui disparaît et, à l’heure où les salles de cinéma sont fermées, nous devons tout faire pour poursuivre le travail qu’il a mené tout au long de sa vie en faveur d’un cinéma populaire et exigeant » écrira Bruno Bernard.
L'hommage est également unanime chez les habitants, pour lesquels il était très populaire.
« On fait des films pour le public, et, tout d’un coup, même un public restreint, s’il réagit comme ça encore quinze ans, vingt ans après un film, ça justifie tout ce que vous avez dû endurer pour le faire », répondait déjà Bertrand Tavernier à la fin de sa vie, à cet attachement des spectateurs pour son oeuvre.