La justice lyonnaise interpelle les parlementaires de la région pour lancer un appel au secours. Unanimement, la profession dénonce le manque de moyens qui perturbe au quotidien le bon fonctionnement des tribunaux. Avocats, greffiers et magistrats nous décrivent leur quotidien.
C'est le 3ème tribunal judiciaire de France. Chaque jour, 2.000 personnes se croisent dans un dédale de couloirs et d'escaliers au palais de justice de Lyon. Un environnement stressant pour tout premier venu qu'il faut rapidement rassuré. "C’est immense le tribunal, nous explique Lory Linguet à l'accueil. Tous les gens sont perdus et en plus ils arrivent avec déjà un petit peu d'appréhension, des choses comme ça. Donc nous on est là aussi pour donner la juste dose d'empathie et surtout de l'aide."
L'attente, dès 9 heures pour un passage express
Une fois passer cette étape vient le temps de l'attente. Et dès 9 heures, ça patiente, ça trépigne dans la fameuse salle des pas perdus. Celle-ci donne sur les salles d'audience pour les affaires familiales. Ici, la juge Corinne Roucairol doit instruire une quinzaine de dossiers par jour. "On ne peut pas accorder une demi-heure à chaque dossier, explique-t-elle, sinon on aurait 8h d'audience. Donc on est obligé de faire un tri des dossiers. Et sur les dossiers les plus simples effectivement, on est obligé de limiter le temps de parole. Les justiciables ont l'impression qu'on bâcle leurs affaires alors que ce n'est pas forcément le cas, mais du coup ils ont le sentiment de ne pas avoir assez de temps pour parler."
Dans la salle des pas perdus ce jour-là, Stephane attend dans son fauteuil roulant. "3 heures d'attente pour 5 minutes, comme à Eurodisney, s'étonne-t-il avant de poursuivre, comment ça se fait? On n'a pas assez de juges et de magistrats? Un pays comme la France, je comprends pas."
Un dossier peut prendre la poussière 18 mois avant d'être traité
Submergée, la justice civile du quotidien doit prononcer des divorces, se décider sur des gardes d'enfants ou sur des pensions alimentaires. Un dossier peut parfois n'être traité qu'au bout de 18 mois. De quoi créer le malaise chez les professionnels de la justice. "On est obligé de travailler en urgence et pour nous, c'est comme si on bâclait notre travail, nous explique une greffière. C'est un sentiment d'impuissance devant la détresse des gens qui font face à un service public qui est dans l'incapacité de répondre à leurs besoins dans des délais raisonnables."
Véronique Gazzo est avocate et partage la frustration de ses clients. "On essaie d'aller à l'essentiel. Mais des fois, si vous demandez à quelqu'un, tout est essentiel dans son dossier, voilà, c'est sa vie. Et quand on dit "Soyez bref", ça quelque part, c'est violent."
Une course contre la montre
Cette course contre la montre se joue dans de nombreux services. Dans les étages,
des magistrats du parquet assurent la permanence du "samu judiciaire". Ils répondent toute la journée aux services de police et unités de gendarmerie. Ils sont une quarantaine d'agents contre 150 dans certains tribunaux européens. "C'est stressant de par le volume des appels parce que vous avez en flux continu, nous décrit le magistrat Olivier Rabot. C'est un service d'urgence judiciaire et on vit avec cette pression-là de la succession d'affaires à traiter, avec cette réactivité qu'on doit avoir parce qu'on passe d'un domaine d'activité à un autre. La permanence, elle traite de la circulation à l'homicide, en passant par les violences conjugales, la délinquance de voie publique."
La baisse des moyens semble atteindre ses limites
Au rythme de 80 décisions judiciaires par jour, de nombreux parquetiers réclament des renforts. Cette surcharge de travail se traduit par des journées interminables. Les audiences pénales s'éternisent faute de greffiers et de magistrats. Ce qui était une exception est devenu la norme. "25% de nos audiences pénales se poursuivent après 21h et 5% se poursuivent après minuit, note Nicolas Jacquet, procureur. Au cours du dernier trimestre 2021, deux audiences se sont d'ailleurs poursuivies jusqu'à 5h du matin. Il y a aussi aujourd'hui des magistrats et des fonctionnaires qui s'interrogent sur le sens de leur mission, qui ont le sentiment qu'à 5h du matin, rendre la justice dans des conditions où finalement l'écoute est peut-être moins attentives, où les débats sont peut-être de moindre qualité à un moment, ça pose aussi la question du sens."
Les moyens alloués à la justice baissent depuis de nombreuses années. Mais aujourd'hui, et c'est inédit, le monde judiciaire crie au secours pour ne pas sombrer.