Le lyonnais Hugo Martinez, président de l'Association Hugo! qui lutte activement contre le harcèlement scolaire, est en colère. Le texte de loi, élaboré depuis des mois et voté en première lecture à l'Assemblée, en vue de créer un délit spécifique, a été totalement détricoté par les sénateurs. Il compte en appeler aux candidats à l'élection présidentielle.
« On dit que les sénateurs sont les sages de la République. Alors soit ils se sont levés du mauvais pied, soit ils n’ont rien compris à ce fléau. Il faut voir le travail mené par les députés sur ce sujet. Les sénateurs ne s’y sont mis qu’en juin dernier, et ils croient tout révolutionner. Ils vont surtout supprimer un nouvel outil pour les familles !» résume, d’une colère froide, Hugo Martinez.
Un scandale national
Le lyonnais, fondateur de l’association Hugo!, connue pour son combat sans relâche contre le harcèlement scolaire, n’en démord pas. Après avoir été votée en première instance par les députés, le texte de loi, comprenant de nouvelles mesures pour stopper les harceleurs, dont la principale était le « délit de harcèlement scolaire » a finalement été décousu et rejeté par les élus du Sénat. Pour ce militant médiatique et déterminé, c’est un scandale.
Depuis le début de son combat, Hugo milite pour la création de ce délit spécifique, afin de « mettre en place un interdit ». Depuis plusieurs années, avec son association, il a démarché les parlementaires pour travailler autour de ce sujet. « En 2019, on est parvenu à obtenir dans la loi la définition du harcèlement scolaire, dans le cadre du projet de loi « Ecole de la confiance ». »
Une proposition de loi votée par tous
Soutenue par le député Modem du Finistère Erwann Balanant, nommé à la tête d’une Mission inter-ministérielle « éducation et justice », l’association Hugo ! a été auditionnée dans le cadre d’un rapport. En octobre 2020, ce rapport a finalement émis 100 propositions concrètes pour lutter contre le harcèlement scolaire, parmi lesquelles ce fameux délit.
En mai 2021, une proposition de loi a donc été déposée. « On a réussi, à force de maintenir la pression, que cette proposition soit examinée avant la fin de la législature, soit en novembre et décembre 2021. D’une façon unanime, les députés ont voté, quel que soit leur bord politique, en faveur de cette proposition. » Ce qui laissait espérer une suite favorable.
Le Sénat refuse le texte
Arrivées au Sénat début janvier 2022, les choses se compliquent. « En commission, les sénateurs ont littéralement détruit le texte. Ils ont transformé le délit en simple « circonstance aggravante » du harcèlement entre adultes. Et cela n’est pas applicable dans la réalité. Les policiers et les magistrats nous le disent. On reste, de fait, dans le statu quo actuel. » Hugo Martinez détaille les différentes dispositions également annulées par cette commission. « Avec les députés, on avait prévu que des moyens soient alloués au Crous pour lutter contre le harcèlement en milieu étudiant. Ca, ils l’ont retiré. Mais aussi cette idée de proposer un stage de sensibilisation aux auteurs de harcèlement scolaire. Bref, ils ont vraiment détruit ce texte », résume-t-il.
Et pourtant, le sujet est de plus en plus d’actualité. En France, on compte environ un million d’élèves victimes, chaque année, de harcèlement scolaire. « Ce sont les propres chiffres du Sénat, issus de la mission d’information qui a rendu son rapport en septembre dernier », souligne Hugo Martinez. « En France, cela correspond à au moins 22 enfants décédés, des suites de harcèlement scolaire. Et je précise : il ne s’agit pas uniquement de suicides. Par exemple, Alysha (adolescente de 14 ans a été retrouvée morte, rouée de coups et noyée, sur les bords de Seine, à Argenteuil le lundi 8 mars) ou Marjorie (adolescente de 17 ans tuée vendredi 14 mai à Ivry-sur-Seine après avoir été victime d'un coup de couteau) ont été victimes d’assassinats. »
Quand on dit ça alors qu’en France, en 2021, un enfant meurt tous les quinze jours des suites de ce fléau, il faut se poser des questions !
L’association Hugo! considère qu’environ un jeune sur 10, en France, est visé par du harcèlement scolaire. Un jeune sur trois à travers le monde. Et pourtant. Lors de la séance publique au Sénat ce jeudi 27 janvier, malgré deux amendements déposés par deux sénatrices afin de tenter de rétablir le délit, les sénateurs sont restés sur leurs positions. « Ils considèrent qu’aujourd’hui, en France, tout est déjà fait en matière de législation contre le harcèlement scolaire. Quand on dit ça alors qu’en France, en 2021, un enfant meurt tous les quinze jours des suites de ce fléau, il faut se poser des questions !» regrette Hugo Martinez.
L'espoir d'un accord paritaire
Et maintenant ? La « navette parlementaire » suit son cours. Ce mardi 1er février, dans le cadre de la Commission mixte paritaire, 7 députés et 7 sénateurs vont se retrouver autour de la table, afin de tenter de trouver un accord, autour d’un texte commun. Un nouvel espoir pour l’association. « Il y a trois cas possibles. Soit ils trouvent un accord prévoyant le délit de harcèlement scolaire, et on aura gagné. Soit ils ne trouvent pas d’accord, et le texte doit repasser à l’Assemblée avant le 28 février prochain, fin de la mandature. Et la pire des issues, ce serait qu’ils trouvent un accord sans le délit. Là, on aura vraiment tout perdu. La politique politicienne l’aura emporté sur la réalité des familles. »
Je sais que les candidats fonctionnent en termes de calculs électoraux
Dépité par ce manque de réalisme, Hugo Martinez ne baisse pas les bras pour autant. Il compte bien profiter de la prochaine élection présidentielle pour poursuivre son combat. Aller voir chaque candidat et l’amener à fournir des engagements forts en matière de lutte contre le harcèlement scolaire. « C’est devenu un enjeu de société. Je sais que les candidats fonctionnent en termes de calculs électoraux. Combien telle mesure peut me faire récupérer d’électeurs potentiels ? Le harcèlement scolaire, c’est un million de victimes, soit de familles. Donc au minimum deux millions d’électeurs, sans compter les témoins. »
Pousser chaque candidat à s'engager
Plus globalement, Hugo fait ce triste constat : « Il est incroyable que dans les débats de la présidentielle, à seulement quelques semaines du premier tour, on n’ait toujours pas parlé de la jeunesse. Récemment un débat a été organisé à la télévision entre les porte-paroles « jeunes » des candidats. Pas un mot sur le harcèlement scolaire ! ».
Ils peuvent compter sur moi. Dès la fin de l’examen du texte, je pars en croisade
D’une manière étonnante, les sujets liés aux enfants semblent oubliés. « Il y a plein de sujets autour de l’enfance pour lesquels les principaux candidats ne font aucune proposition. On préfère nous parler d’immigration et de sécurité à longueur de journée. Dans la santé, il y a aussi le problème de la santé mentale, et surtout des jeunes ! »
Engagé dans cette lutte depuis son adolescence, Hugo Martinez se dit plus déterminé que jamais. « On a vraiment l’impression qu’il y a un tabou autour de ces sujets. Ils peuvent compter sur moi. Dès la fin de l’examen du texte, je pars en croisade. S’il n’est pas voté par le parlement, je m’assurerai de faire savoir quels candidats sont en défaveur ou en faveur du délit de harcèlement scolaire, et s’engage à le faire voter, une fois élu. »